« Pourquoi laisses-tu les ténèbres te hanter ? »

Essuyant la dernière larme qui parle de ses yeux, elle cligne à intervalle irrégulier des paupières. La silhouette qui lui fait face, devenu floue par le flot de sentiments qui l'avait envahit quelques minutes auparavant, redevient alors net. La même chevelure dorée, la même ossature du visage, des iris émeraudes identiques. Son propre reflet, tout simplement. Elle doit être tombée bien bas pour avoir l'impression qu'à travers le miroir, Eleanor lui parle alors qu'elle n'a guère ouvert les lèvres. Mais finalement en étant seule dans sa chambre, seulement éclairée par la bougie à ses côtés, qui peut l'engueuler si elle se met à converser avec elle-même. Petit rictus teinté de tristesse qui nait à la commissure, tandis qu'elle laisse sa voix cristalline répondre à son double.

- Père m'a de nouveau frapper. Et mère ne cesse de me répéter qu'il m'aime.

Elle émet une courte pause, déglutissant difficilement. Rien que d'en parler, cela lui noue de nouveau l'estomac. Mais de son repas du soir, il n'en reste plus rien depuis quelques heures maintenant.

- Je ne lui conviens pas, tout simplement. Trop turbulente, peu encline à être modelé selon ses envies.

Elle serre fort le poing droit qui tenait sa brosse à cheveux. Dans la tristesse, se mélange une colère sourde. Est-ce mal de ne pas être comme sa mère ou comme sa grande-sœur ? Après trois ans à se battre pour sa liberté et surtout, être en mesure de choisir l'élu de son cœur, elle a dû se faire une raison. Les hommes ne sont pas ceux qui arrivent à lui faire entrevoir un avenir heureux. Mais elle sait qu'accepter de montrer au grand jour son attirance pour la gente féminine, c'est amorcer la vitesse supérieure. Que celui qui se dénomme père, ne lui fera pas de cadeau et qu'elle ne sera qu'une attraction pour les plus curieux - et haineux -. Alors, elle a accepté la demande de son meilleur ami... Un événement qui doit se dérouler dans quelques jours et qui doit détendre l'atmosphère pesante dans la demeure des Whitlock. Force est de constater que cela accentue juste davantage la pression qui est exercée sur elle.

«  Il veut le meilleur pour sa fille non ? »

Oh oui, c'est ce qu'elle se dit depuis des années, cherchant de simples excuses pour un homme perverti. Alors entendre ses paroles provenant de son propre reflet, rend la chose comique. Elle peut continuer à croire ainsi, si tout son être n'est pas las des excès de violence, verbale comme physique.

*Il veut juste avoir le contrôle et faire bonne figure.* s'est-elle mise à penser en venant poser de façon plutôt brutale, la brosse sur le bois laqué.

Elle peut sortir, voir du monde. Néanmoins, il revient sans cesse la hanter, même dans son sommeil. Elle en est à un point où elle se demande vraiment comment elle a pu tenir aussi longtemps. Il est toujours possible de pouvoir remonter la pente, elle se sait forte. Ou du moins, c'est ce que la blonde souhaite affirmer de source sûre. Mais en cette nuit où une énième concession a été décidée pour un "avenir radieux", son envie n'est guère à la fête. Sa douce Rosalina, cette charmante domestique qui la rend heureuse. Cette femme qui malgré un amour réciproque, doit se contenter de la regarder dépérir à vue d'œil, sans pouvoir élever la voix. Alors, à quoi bon continuer quand tout semble perdu à jamais. Eleanor n'est juste qu'une simple marionnette. Une poupée que l'on vient exhiber selon les envies d'une famille guidée par l'argent.

«  Abandonner n'est pas un choix... »

Ses iris émeraude scrutent avec intensité cette dame aux traits tirés par la fatigue et aux multiples pensées morbides. Abandonner ? En voilà un mot qui sonnait divinement bien à ses oreilles. Car passer au-delà de cette limite va juste prouver une fois de plus qu'elle est apte à se dresser contre autrui. Faire valoir sa voix en ce monde.

- Il s'agit d'une libération. Des mots murmuraient à voix basse, le regard brillant d'une nouvelle lueur.