je sens leurs cris dans mes entrailles. je sens leurs larmes sur ma peau - je sens l'empressement de la peur, l'agonie du chagrin. je sens la terreur qui s'installe, je suis habitée, il me semble, de tous les instincts maternels. ils pénètrent ma chair, me rendent humaine, c'est une odieuse métamorphose.

dans ma main, luit la lame du couteau de cuisine. long, aiguisé, j'en admire la brillance expressément. dans cette maison, toutes les armes sont bien aiguisées et l'amour dort encore. il ne se réveille qu'au petit matin, moi je suis une bête qui veille le jour et la nuit, moi je ne meurs jamais tout-à-fait, je suis aux aguets, j'expire d'un long souffle infâme qui t'empoisonnera, démone, si tu t'approches trop de mon coeur. sous le tissu de ma robe, mon corps est nu et mes cheveux sont lâchés, fous, j'irai au contact de ta gorge si tu m'empêches de récupérer ce petit être qui crève peu à peu contre ton sein juvénile. il n'aime que le mien. ne voit que mon regard. te déteste déjà, démone, car les enfants n'aiment que leur mère.

la porte s'ouvre dans un fracas, et je sais que tu es là, je sais car la fréquence de ce cri était étrange je t'ai dit, leur existence est une extension à la mienne ; tu n'es qu'une enfant. je n'ai pas de pitié pour les enfants. "lâche le mioche ou je te crève les yeux." à la lumière de mon affection, la lymphe coulera s'il le faut, mon corps est un temple maternel dont on ne vole pas les offrandes. je m'approche d'un pas de toi, de lui, élève la lame - c'est ainsi que souffrent les traîtres pour l'éternité. aveugles et profanés par le sang.

ma race pullule rapidement. je produis des rejetons comme je respire, mon corps est une difformation entière de mon estomac à mon coeur : ce n'est pas tant la vie de l'enfant qui m'importe, du moins pas avec l'attachement tendre que nous pourrons l'imaginer. pire encore, je pense intimement que tu ne serais pas capable de le faire tomber car toi tu as la faiblesse d'être humaine ; tu es de ceux - de ceux que je déteste. de ceux que je méprise, de ceux dont l'existence est vouée à un échec.

sais-tu que les bébés de notre espèce sont fragiles, à côté des animaux : il faut plus d'un an pour qu'ils marchent. au moins quinze pour qu'ils soient indépendants. leur crâne n'est pas totalement terminé à leur premier cri, et ils ne parlent qu'après de longs mois - les bébés sont des excréments vivants. si tu les abandonnes, si tu les isoles, ils pourrissent sans survivre. je crois que c'est pour ça que mary aime tant les alices : ce sont des enfants dans ce monde. à peine nés, elle se voit mère de ces âmes éperdues. mais les gens comme toi, seuls, meurent.

je te dis, je n'ai pas peur : s'il tombe, tu auras sa mort sur la conscience. moi je ne verrai qu'un cadavre et je te tuerai avec la paisibilité des criminels qui agissent pour la vendetta. je m'approche et je me demande quelle est la couleur de tes prunelles d'adolescente car je crains ne jamais les voir sous le faisceau d'une jolie lueur des beaux jours, car tu les perdras avant. "impertinente." veux-tu que je le tue d'abord, puis toi ensuite ? est-ce cela ? ton existence est unique et indésirable, mais la sienne pourra vite être remplacée par la naissance d'un autre. plus je t'approche, plus je suis près du mur, du berceau, et plus je t'accule. veux tu que je referme ma toile autour de toi ? mon bras s'étend dans un craquement indolore, tremble de sa nouvelle existence. la peau est distendue, irréelle. monstrueuse. et serre plus que jamais le couteau qui s'approche de ton visage. pour l'instant, je ne te touche pas, je te laisse une dernière chance. salue mon extrême clémence. "lâche-le, je me fous s'il crève. c'est toi que je buterai comme ça." je sens ma sueur animale, sous l'adrénaline, je sens le tambourinement de mon coeur, l'extase d'un futur accomplissement si elle ne le lâche pas correctement.