On lui avait dit de se reposer, d'éviter de trop bouger pour ne pas rouvrir ses blessures et guérir plus vite ; et s'il avait écouté ce sage conseil au début, très vite il n'avait pu supporter rester à ne rien faire
aime prétendre, Perceval, que c'est parce qu'il s'ennuie, qu'il en a marre de rester à ne rien faire et attendre que le temps passe en fixant le plafond ─ mais ce ne sont que prétextes, que doux mensonges pour cacher ce qu'il ressent réellement

Rien, au début, ne semblait avoir changé  
alors il prétend, Perceval, que tout va bien, qu'il n'allait pas se laisser démonter pour si peu ─ ce n'était pas la première fois qu'il s'en prenait à lui, alors pourquoi irait-il plus mal cette fois-ci ?
pourquoi ?

C'est pendant l'une de ces nuits où l'insomnie est reine que Perceval en secret s'éclipse
Fait une entorse aux règles aux bons conseils dans le vain espoir de fuir les cauchemars qui le hantent et le tourmentent
désireux de s'aérer l'esprit et de penser à autre chose
évitant soigneusement toute âme qu'il pourrait croiser sur son chemin ─ n'a guère envie, Perceval, de devoir inventer des excuses ou ne serait-ce que mouvoir ses lèvres pour parler
(et surtout, ne pas se retrouver nez à nez avec lui, car il ne pourra lui faire face)

Alors c'est seul dans un coin du jardin que peu fréquentent qu'il s'assied difficilement, adossé à un arbre
tentant de s'occuper l'esprit ─ de ne pas penser à ça
s'autorise, Perceval, à (tenter de) s'apaiser un peu ─ et ainsi ne prête pas attention aux alentours

Perceval ailleurs Perceval dans ses pensées
soudain deviennent noires et ça revient
y songe encore et encore, à cet événement, s'il ne garde pas son esprit occupé
il ne t'a pas vu approcher ─ alors quand ta voix s'élève c'est par un sursaut qu'il l'accueille
brusquement se tourne vers toi, sans te reconnaître d'abord ; te détaille, Perceval, sans te reconnaître, jusqu'à ce qu'il aperçoive ce sempiternel collier dont tu ne pouvais te débarrasser

Balth...? C'est toi ?

Les muscles se détendent alors ─ avec toi, il était en sécurité, pas vrai ?
cache ses mains, Perceval, comme il peut ; mais ne se relève pas, préférant rester assis ─ il avait été suffisamment douloureux de s'assoir
tu ne lui en voudras pas, pas vrai ? s'il ne t'accueille pas comme il le devrait
Sourire maladroit, à ta remarque ; ah, c'est vrai, qu'il venait te voir souvent, avant

Oh, euh... désolé, j'étais assez occupé, ces derniers temps

Esquive soigneusement ton regard pendant qu'il parle
la vérité, c'est qu'il n'osait pas te dire qu'il avait songé plusieurs fois à venir te voir
mais qu'à chaque fois il y avait renoncé ─ il ne voulait pas que tu le vois dans cette état, il ne voulait pas t'inquiéter
(il n'avait pas réussi à trouver l'envie et la motivation nécessaire malgré toute l'affection qu'il te portait)
ah, c'était plus simple de (se) mentir

Tu... Tu as changé constate-t-il après avoir osé un coup d’œil dans ta direction

Puisses-tu ne pas voir son mal-être qu'il tente désespérément de te cacher

Oz, maintenant, plutôt que Balthazar
hoche simplement la tête ─ ainsi commençait pour toi un nouveau cycle là où pour lui débutant la descente aux enfers
étrange chose que de devoir t'appeler autrement, mais il finira par s'y habituer ─ comme il finira par s'habituer au reste, n'est-ce pas ?

Et il voit bien, Perceval que tu n'es pas dupe
et il espère, Perceval, que tu ne poseras pas de question, que tu feras comme si de rien n'était et que tout allait bien
(parce que tout allait bien, il n'allait pas être perturbé pour si peu
pas vrai ?)

Tu t'assois en face de lui et son cœur loupe un battement quand tu lui fait remarquer qu'il a changé
qu'il avait l'air en miettes
et cette fois il ne parvient à échapper à ton regard, alors il le laisse planté dans le tiens pendant longtemps
trop longtemps
sans rien dire
que pouvait-il dire, de toute façon ?
ses yeux fatigués ne parlaient-ils pas pour lui ?
il n'avait ni la force de confirmer, ni celle de nier
(à peine avait-il la force d'essayer de comprendre ce qu'il lui arrivait)

Tu... Tu trouves ? demande-t-il finalement, fuyant de nouveau du regard Je n'ai pas changé d'apparence, pourtant

Il essaie, Perceval, de rire, mais ce n'est qu'un faible sourire qui vient encore étirer ses lèvres ─ se force à le faire, même, comme pour te dire
tu vois, je n'ai pas changé
tout va bien

Faible sourire, Perceval, à tes mots
peut-être en aurait-il rit, avant, sûrement aurait-il renchérit, mais aujourd'hui il n'en avait ni l'envie ni la force
peut-être ne voulait-il tout simplement faire face à lui-même et constater les dégâts depuis ce jour-là ; ou n'avait-il pas conscience qu'il n'était plus tout à fait le même qu'avant
qu'une partie de lui était restée là-bas, gisant dans son propre sang

et de nouveau silence éternel où l'on rumine où l'on tente de trouver en vain une conversation ─ où on profite simplement de cette absence de parole
ta question lui fait relever la tête ─ tu savais pourtant qu'il ne fumait pas, alors pourquoi...?
ah, tu avais deviné
en même temps, comment avait-il pu penser une seule seconde que tu ne remarquerais rien, Perceval ?
la honte, soudain, d'avoir été ainsi découvert ─ et il aimerait s'enterrer profondément sous terre et ne jamais en ressortir
(rester caché à jamais)

Oh... hum, ce n'est... pas grand-chose, t'inquiète

Tente vainement, Perceval, de faire en sorte que tu ne t'attardes pas sur ses blessures ─ ça allait guérir tout seul, avec un peu de temps, alors pourquoi s'en soucier ?
Essaie Perceval de cacher un peu mieux ses mains pour ne pas que tu y prêtes trop attention
il sait que tu n'es pas dupe, que tu finira bien par voir qu'elles sont plus graves que ce qu'il essaie de te faire croire ─ alors il essaie vainement de détourner ton attention, de les alléger par la simples force de ses mots
(mais elles sont si lourdes à porter)

Et euh... j'en ai pas, non, désolé dit en un souffle

Tu sors finalement ton briquet de la poche comme si de rien n'était ─ bien évidemment que tu l'avais sur toi, alors pourquoi lui en avoir demandé un ?
ne comprends pas vraiment, Perceval, jusqu'à ce que tu lui demandes de lui montrer ses mains

Quelques instants te regarde, comme s'il faisait face à la demande la plus impromptue et indiscrète qui soit
cœur qui s'accélère alors qu'il tente de contenir le tremblement de ses mains
il ne sait s'il peut te les montrer sans que tu ne le juge, sans que tu deviennes aussi enragé que Romane
il ne veut pas que tu te retrouves mêlé à tout ça malgré toi, que tu t'inquiète trop pour lui
(il allait très bien, après tout, nul besoin de s'inquiéter
tente-t-il de se convaincre)

Fuit encore ton regard, hésitant
débattant intérieurement pour savoir s'il pouvait te les montrer
et timidement peu à peu les mains se révèlent légèrement ─ même s'il n'ose les montrer entièrement, et encore moins les regarder pour ne pas se rappeler
(ose encore moins te faire face)
il aimerait essayer de dire quelque chose, au moins détendre la situation ─ mais rien ne lui vient, et ses lèvres refusent de bouger
il ne peut que sentir son cœur s'emballer encore, une angoisse et une honte inexplicable valser au fond de lui
(par pitié ne regarde pas)

Tu tends les mains pour voir les siennes ─ l'invite sans forcer à te laisser regarder ses mains
mais hésite encore, Perceval ; qui sait ce que tu diras ? qui sait ce qu'il se passera, si tu venais à les découvrir ? Il ne veut pas, Perceval, que tu te mêles de ses affaires, que tu cherches à comprendre ce qu'il s'était passé
(que tu ravives ce qui était trop douloureux à affronter)

et finalement, doucement, montre enfin ses mains blessées, tremblantes reflet de son âme brisée ; il a le cœur qui bat à tout rompre, Perceval, s'attendant à ce que tu éclates en colère indomptée et que tu t'empresses à aller voir le responsable de tout ça
relève les yeux, Perceval, pour croiser ton regard ─ vois-tu, Oz, la détresse latente dans son regard, cette angoisse tapie dans le fond des yeux qui a chassé toute joie et insolence ?
mais bien vite il fuit encore, ne parvenant à te regarder plus longtemps
(ne veut pas te laisser entrevoir plus longtemps son état)
il sent sa vision se troubler légèrement, Perceval, et sa gorge se serrer à tes mots ─ c'est peut-être aussi pour ça qu'il a détourné le regard, pour ne pas que vois à quel point il était brisé

Triste sourire qui parvient à égayer ses lèvres lorsque tu fait mention de tes propres mains ─ sait très bien à quel événement tu fait référence ; il se souvient encore de ton état pendant cette période

Ne t'embête pas pour moi, elles seront guéries bientôt

Ou peut-être sont-elles perdues à jamais
sûrement en gardera-t-il des traces à vie, des blessures qu'on lui a infligées

Léger sourire qui se dessine sur ses lèvres alors que tu t'obstines à vouloir le réparer lui et ses mains brisées
te sait têtu, Perceval, lorsque tu comptais vraiment faire quelque chose ; sait aussi qu'il était inutile de te convaincre une fois que tu avais une idée en tête
(il n'en a de toute façon pas la force)

Ne te met pas dans la merde à cause de moi

Parce qu'il ne veut pas te tirer toi et tous les autres dans ses malheurs, parce qu'il ne veut pas te mettre en danger à cause de ses histoires
(n'avais-tu pas pas tes propres problèmes, après tout)
oui, ça sera au moins ça de réparé, mais le reste ?
qui réparera son esprit ?
(sûrement pas le temps)
relève les yeux Perceval à ta proposition, surpris par sa soudaineté et sa spontanéité

M... Moi ?

Hésite, Perceval ; valait-il vraiment le coup, la peine pour qu'ainsi tu l'invites chez toi au beau milieu de la nuit ?
Il était déjà venu chez toi un nombre incalculable de fois, Perceval, souvent à l'improviste, sans avoir prévenu qui que ce soit, pas même toi ─ mais celle-là, c'était bien une première
ravale les larmes qui menaçaient de couler, Perceval, avant de timidement à nouveau te regarder

J... Je veux dire... ça te dérange pas...?

N'ose, Perceval, refuser ta proposition, sans pour autant l'accepter franchement
(au moins ne restera pas seul avec ses tourments, ne serait-ce que pour une nuit)

Maigre sourire face à ta moquerie
Il aimerait en rire, répliquer quelque chose comme il aurait pu le faire d'habitude
mais aujourd'hui il n'y arrive pas
comme sonné comme engourdi
émotions tenues qui l'habitent, presque timide
(bombe à retardement inconsciente qui n'attendait que l'étincelle)

Hésitant attrape tes mains tendues
et quand elles se resserrent autour de ses poignets il ne peut réfréner ce sentiment qui soudain l'envahit
ce sentiment d'angoisse qui fait serrer le cœur et hurler l'instinct à un danger proche
il ne sait, Perceval, ce qu'il se passait exactement
et pourtant il savait très bien où il avait ressenti ça
ce sentiment de terreur absolue et d'impuissance
(c'était comme si ça se déroulait encore)

Ce sont tes mots qui le font revenir
désorienté, d'abord, te fixant comme cherchant à comprendre
avant de finalement sourire (légèrement) et de marcher (lentement) vers ta cabane
(ses blessures lui font encore mal et douloureusement lui rappellent ce qu'il s'était passé)
prends parfois appui sur toi pour avancer, Perceval, béquille improvisée
à ta proposition te regarde, surpris, et presque choqué

Je... Ne fais pas ça, tu prendrais trop de risque

Courte pause, comme s'il essayait de rassembler ses pensées
et finalement détourne le regard

Tu te mettrais en danger, moi avec, je...

Je ne pourrais jamais partir même si le voulais
les conséquences sont bien trop grandes

C'est pas grave, tu sais, ça ira mieux dans quelques jours

Comme d'habitude, ajouterai-t-il presque
mensonge à lui-même pour cacher la réalité
ces milliers de morceaux d'âme éparts
ces vides que peut-être jamais personne ne comblera
(ces graines de peur insidieuses qui germent et qui peu à peu finiront par le contrôler)