La nuit dans sa froide aura accueille les âmes égarées les plus anonymes
la lune de son œil bienveillant veille sur les esprits brisés qui errent dans son domaine
et les étoiles de leur pâle lumière tracent le chemin de l'éternelle solitude

Perceval arpente l'obscurité sans but, si ce n'est celui d'apaiser son esprit tourmenté
vain espoir que de trouver le sommeil pendant sa promenade nocturne ─ rituel qu'il suit depuis quelques temps, qui détend un peu son esprit sans cesse sur ses gardes
car Perceval jamais ne relâche sa vigilance ─ car ses pires cauchemars au détour des virages peuvent surgir à tous moments

Son âme semble un peu plus apaisée, Perceval, depuis son entrevue avec Balthazar ─ non, c'était Oz, maintenant ; peut-être aura-t-il encore du mal à s'y faire pendant quelques temps
âme apaisée un peu moins vigilante ; s'assoit, Perceval, souhaitant simplement profiter du calme de la nuit, de son reposant silence assourdissant
et dans son tintamarre cache les angoisses cache ces cauchemars rampants avide de sa terreur
(masque ces affreux monstres qui de sa peur se nourrissent et sont avide)

Et soudain s'abat la peur quand tes serres sournoises délicatement passent dans ses cheveux
se raidit et se fige, Perceval, en entendant la mélodie funèbre de ta voix
cœur qui s'accélère autant que le souffle quand la pâleur s'empare de son être
frisson de terreur qui le parcourt alors que tout revient
savais-tu, Knave, tous les efforts qu'on avait fait pour ne plus te voir, pour ne plus se souvenir ?
pourquoi Knave venais-tu les annihiler comme tu annihiles les êtres ?

Je... ne peux dormir car tu me tortures jusque dans mes nuits J'avais... quelque chose à faire ment-il en précipitation

Il ne devait pas, Perceval, te montrer ses craintes et son angoisse ; il sait que s'il venait à croiser ne serait-ce que brièvement ton regard tu verrais tout
sait que tu savourera jusqu'à la moindre miette de ses terreurs
vaine tentative, Perceval, de refouler ces bribes de souvenirs insidieuses qui tentent de s'accaparer de l'esprit pour l'emplir entièrement
Perceval proie tombée entre les griffes du plus cruel des prédateurs ne peut qu'attendre le moment de sa salvation

Joues encore avec ses cheveux, alimentes ses peurs les plus profondes et t'en délectes avec un plaisir non dissimulé
Tente de se contenir, Perceval, tente de ne pas se laisser submerger par ces ignobles souvenirs qui sans cesse reviennent à son esprit lorsqu'il laisse celui-ci errer
(quand ta simple présence suffit à tout raviver)

Il sent tes doigts se poser contre son cou et se crispe encore plus, Perceval ─ s'attend à ce que tu le brises encore une fois, comme cette fois-là
mais rien ne vient et le contact dure bien trop longtemps
ne réponds pas, Perceval ; ne savais-tu pas déjà ce qu'il se passait ? Ou avais-tu oublié ce à quoi tu étais associé ?
Fuit ton regard, Perceval, comme si le simple fait de le croiser allait l'achever ─ peut-être bien était-ce le cas ; ou ne voulait-il pas voir cet éclat sadique qu'il ne te connaissait que trop bien
(ce même éclat que tu avais ce jour-là)

Serre la mâchoire face à tes insultes à peine dissimulée
à la peur se mêle soudain la colère ; mais elle est encore trop ténue pour éclater, et bien plus faible que les souvenirs
te place finalement face à lui, et lui encore se refuse à te voir ─ et pourtant tu es bien là, fier de ta victoire à ce jeu du chat et de la souris dans lequel Perceval ne pouvait de toute façon gagner, si ce n'est un peu de temps
le contemple d'en bas mais pourtant le prend terriblement de haut
et les souvenirs soudain éclatent, se substituent à la réalité ─ et il se revoit là-bas, impuissant, à subir ta fureur que rien ne peut arrêter ; moment suspendu où le temps s'arrête, revient en arrière et lui revit la scène
(lui assis sur la chaise et toi admirant ton œuvre macabre)
ferme les yeux un court instant, Perceval, le temps de revenir au présent et de chasser ces pensées mortifères ─ et lorsqu'il les rouvre il est de nouveau dehors, sur ce banc indifférent à ses malheurs, face à toi
(malheureusement)

N... Non... te répond-t-il enfin Qu'est-ce qui vous fait croire ça...?

Car c'était avec lui-même, avec ses propres souvenirs, qu'il jouait à cache-cache ; mais il étaient si doués à ce jeu qu'ils finissaient toujours par le retrouver et le hanter

Ton rire malgré lui le fait sursauter ; ne s'attendait pas vraiment, Perceval, à ce que sa réponse te fasse rire ─ s'attendait à bien des choses mais sûrement pas à ça
Loin de te penser stupide, Perceval, mais comment t'expliquer que ce n'est pas toi qu'il fuyait, mais les pensées funestes que tu laissait dans ton sillage, que ta simple présence suffisait à faire surgir ? Non, tu ne comprendrais pas ─ ne te demande pas de comprendre, ni même de deviner
(ne veut pas exposer plus de faiblesses qu'il ne t'en montre déjà bien malgré lui)

Il ne sait que répondre à ta question, Perceval ; la réponse n'était-elle pas évidente ?
ne l'avais-tu pas assez brisé, que tu en redemandais encore ?
frisson d'horreur quand ton sifflement résonne dans le silence de la nuit ─ encore une fois Perceval se souvient, encore une fois Perceval renvoyé à ce jour-là
mais cette fois Perceval ne peut le supporter, le tourment est bien trop vif ; alors sans prévenir il se relève brusquement, brisant le contact et se fichant bien de te surprendre ou de te bousculer ─ n'a que faire de ta réaction car la raison depuis longtemps s'en est allée, ne pouvant faire face à l'émotion

Je... j'ai à faire, désolé

te fuit encore, Perceval ; toi, partie de ses cauchemars qu'il ne parvenait à affronter
ravivant sans pitié ces scènes qu'il aurait voulu oublier à jamais
du plus profond de son être souhaite te chasser toi et ce que tu représentes, toi et ce que tu réveilles en lui
alors il te fuit, lâchement, tant l'idée même que de te confronter toi ─ non, de confronter ce jour-là au travers de ton existence

S'éloigne Perceval de toi et de ses cauchemars ; ne cours pas encore, ne fait que marcher d'un pas pressé
n'a jamais été aussi sur le qui-vive, Perceval, attentif au moindre bruit ─ car le silence n'aime point qu'on vienne le troubler et fait savoir à quiconque qu'il l'a été en exposant sans honte le bruit importun qui vient le déranger
son de ta voix qui alors résonne et une fois encore laisse ta question sans réponse ─ il n'avait guère besoin d'aide pour fuir ce qui vient délibérément le hanter, pense-t-il, et encore moins quand cette aide est toi
il veut juste, Perceval, que tu le laisses (agoniser) en paix, que plus jamais tu ne revienne à lui ─ tu venais suffisamment le tourmenter à la moindre errance de l'esprit

naïf a-t-il été de penser que tu le laisserait tranquille
car soudain dans ses cheveux s'agrippe et tire
bascule en arrière, Perceval, soudainement arrêté dans sa course
réalise avec effroi qu'il n'a plus aucun moyen de t'échapper, prisonnier de ces doigts qui s'accrochent à ses cheveux et qui jamais ne les lâcheront
réalise avec effroi que c'était un peu comme ce jour-là, où il était à ta merci ─ où il n'avait aucune échappatoire
qu'il revivait le cauchemar
qu'il n'avait aucun moyen cette fois d'en réchapper
parce qu'il ne s'agissait pas d'un mauvais rêve, qu'ouvrir les yeux ne le sauvera pas, cette fois

Incapable d'esquisser le moindre geste, ni même le moindre son
ses lèvres restent scellées malgré ton ordre impérieux
(ne comprend pas lui-même pourquoi il ne parvient à lui répondre comme il le ferait d'habitude)
ne parvient plus, Perceval, à cacher la panique qui s'est emparée de lui et qui maintenant contrôle les moindre de ses faits et gestes, jusqu'à son plus léger souffle et son plus petit battement de cœur

L... Lâchez-moi... faiblement murmuré, à peine audible ─ car c'était là là seule chose qu'il était parvenue à dire

L'emprise sur ses cheveux se relâche enfin, et un court instant Perceval songe à les couper pour que plus jamais tu ne les lui agrippes ─ pour se défaire de l'une de tes emprises
Encore son cœur s'accélère lorsque tu proposes gentiment de lui briser les jambes ; ne cesserais-tu donc jamais ? ne l'avais-tu pas suffisamment brisé ?
n'avais-tu pas finalement eu ce que tu voulais, après tant de temps passé entre tes griffes ?
s'attend, résigné, à ce que tu mettes ton plan à l’œuvre ─ et pourtant rien ne vient et à sa plus grande surprise tu finis par retirer ton pied

S'en étonne, Perceval, daigne tourner la tête et légèrement bouger sa jambe, comme pour s'assurer qu'elle était encore intacte ─ oui, elle était toujours là, en parfait état
surpris encore par ces doigts pleins de sang qui effleurent son visage, Perceval, ces mêmes doigts qui sans état d'âme brisent et taillent jusqu'à ce qu'il ne reste que des milliers de morceaux si épars qu'on ne pourrait les reconstituer
ton regard qui glisse et ta demande soudaine ─ ton ordre auquel Perceval devrait obéir
mais il y a des choses qu'il ne peut accepter, Perceval, malgré son angoisse constante ; craint le pire, Perceval, alors que tu lui demandes simplement d'inspecter ses mains
à peine les paroles que brusquement il se redresse et met ses mains hors de ta vue

... Non.

Perceval d'animal terrorisé passe soudain d'animal farouche ; la peur veille encore et le commande et elle ne s'apaisera que lorsque son propre esprit sera apaisé et loin de ta présence
sur ses gardes, Perceval, observant scrupuleusement le moindre geste de ta part et prêt à y réagir ─ comme si tu étais en train de le menacer réellement
il sait pourtant que si tu le voulais tu les verrais, mais il ne peut empêcher cette vaine résistance
(il ne se comprend même plus)

Son refus ne te plaît pas, il s'en doutait ─ mais comprends-tu, Knave que ce que tu lui demandais coûtait bien trop ; depuis ce jour-là quiconque ose voir ou frôler ses mains s'expose à la plus vive des colères
(non tu ne comprendrais pas, tu ne peux comprendre)
mais tu n'en démords pas, non ; encore une fois tu t'imposes et lui rappelle que face à toi il n'était rien
s'écroule sous ton poids qui soudain s'abat sur lui
ton ordre encore qui s'affirme alors que tu t'approches et cette fois Perceval ne peut se soustraire de ta vue ; cette fois encore Perceval subit ta colère, ton plaisir soudain disparu

Son cœur dans une valse étrange s'accélère et décélère en fonction de tes mots ─ s'accélère lorsque tu prends le soin d'articuler chaque mot que tu prononces, que tu les prendra toi-même
(car tu lui prends déjà tout de force)
décélère quand tu avoues que tu les lui arrachera comme tu lui a déjà arraché tout le reste ─ liberté, rêves et âme, n'en restent maintenant que morceaux illusoires perdu dans le vide firmament du néant
n'en avais-tu pas assez ?
pourquoi t'acharnais-tu ; n'avais-tu pas eu ce que tu voulais ?
que te fallait-il de plus pour qu'enfin tu cesses de le tourmenter ?

Et s'arrête presque finalement
tu es à moi
alors que tu te saisis de sa mâchoire pour le forcer à te regarder ─ et cette fois ne peut fuir ton regard
mots bien plus blessants que n'importe lequel de tes coups
à tes yeux il n'était qu'un simple jouet que tu appelais lorsque tu avais besoin de te défouler, de passer tes nerfs sur quelque chose ─ Perceval soudain réduit à un simple objet dont on dispose à souhait s'est vu retirer jusqu'à sa propre humanité
peux-tu voir dans ses yeux à quel point tu l'as réduit à rien ? à n'être plus que l'ombre de lui-même ? à fuir sans cesse ces cauchemar que tu lui as apportés ?

La pression sur sa mâchoire se relâche et tu rappelles la règle, pourtant simple
tu demandes, il fait
ne sent même plus la rage la révolte qu'il aurait pu ressentir, non ─ cette fois c'est l'infinité du désespoir qui l'envahit, qui sert sa gorge et l'étouffe
n'arrive plus, encore, à bouger, Perceval, si ce n'est baisser le regard, comme s'il cédait après tout ce temps
comme si après tant d'années de résistance il abandonnait, admettait sa défaite dans ce combat (qu'il réalisait enfin) perdu d'avance

et doucement Perceval laisse entrevoir ses mains sans pour autant les dévoiler complètement
(sans avoir le choix)
d'un œil vide les regarde un court instant avant d'en détourner le regard
espérant qu'enfin tu le laisses tranquille après avoir eu ce que tu voulais
(il aura tout le temps de s'en vouloir de sa faiblesse plus tard)

Soudain tu t'affaisses sur lui, l'étouffes encore ─ bien que peu lourd ta simple présence pourtant suffit à l'étouffer et c'est comme si tu l'empêchait presque de respirer
frémit quand ta main encore revient dans ses cheveux pour une caresse faussement chaleureuse ─ humiliation que tu t'es permis nombre de fois mais qui cette fois revêt le goût de doucereux cauchemar
(sais-tu à quel point c'est douloureux, de sans cesse se faire rappeler quelque chose qu'on aimerait oublier ?)

Dans un geste vif tu viens attraper l'une de ses mains pour l'admirer de plus près
mais Perceval n'aime pas qu'on vienne ne serait-ce que frôler cette partie du corps, alors en vain tente de la libérer de ta poigne ─ il est persuadé que tu pourrais les broyer à nouveau rien qu'en les touchant à peine


l... lâ...

et soudain tu serres, serres si fort qu'il a l'impression qu'un à un ses os craquent comme ce jour-là ; étouffe un cri, Perceval, alors qu'encore la réalité se substitue pour laisser place à ces mirages que lui seul peut voir, ces horribles rêves dans lesquels tu lui brises les mains en souriant et en riant ─ affreuses illusions dont il ne peut réchapper tant elles sont réelles
oh, tu n'as pas besoin de le menacer de ne pas crier, l'effroi l'en empêche déjà et le paralyse
t'assures encore de l'étouffer encore un peu plus lorsque tu t'appuies contre son torse, là où tu l'avais frappé ; mais il n'arrivait déjà plus à contrôler sa respiration, c'était comme si tu t'assurais qu'il mourra bien asphyxié par le poids de ses fantômes qu'il ne réussissait à exorciser

Il en aurait presque pas entendu ton ordre, bien étrange ; ordre qui le rappelle à la réalité ─ non, il n'était pas (encore) là-bas, il en était loin
(mais pourtant si proche)
un temps la surprise remplace la terreur et la met de côté
répondre à quoi ?
ne comprend pas, Perceval : car si tu demandais une réponse, c'est bien que tu avais posé une question, non ?
mais Perceval n'a pas souvenir d'une question, ou peut-être ne l'avait-il pas entendue, trop occupé à lutter contre ses démons
alors, à quelle question attends-tu des réponses, Knave ?

... répondre... à quoi...? demande-t-il

S'ose à te regarder, Perceval, l'incompréhension dansant dans son regard
à quoi voulais-tu qu'il réponde, Knave, si tu n'avais rien demandé ?
tu n'aurais quand même pas oublié de poser une question ?
ou attendais-tu quelque chose que Perceval ne pouvait saisir, pas dans son état ?