CARACTÈRE

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il aurait fallu peut-être mourir aussitôt qu'elle soit née, se ravaler soi-même. il aurait fallu sûrement, qu'elle n'existe pas, blasphématoire, indélicate, irrévérencieuse et dont les atouts sont un attrait inexplicable - s'ils la regardent, c'est qu'elle est sale du plus profond de son coeur. l'homme, dans le monde entier, dans toutes les époques, est irrévocablement attiré par ce qui est mauvais ; le vice personnifié attire les curieux. eleanor, par sa crasse à peine dissimulée, juste assez pour que cela fasse bien (après tout elle est mariée et présentable), donne envie de se plonger dans une pièce très noire avec elle.

eleanor n'aime pas les gens.

elle aime l'image qu'elle se fait d'eux, elle aime, la pensée d'eux, mais quand elle aime, c'est avec la vigueur animale ; il faut qu'elle empoigne, qu'elle secoue, qu'elle touche, qu'elle embrasse... il faut qu'elle dévore du regard d'abord s'il le faut, puis qu'elle s'accroche d'une poigne passionnelle dans un silence méticuleux. personne ne veut de ce silence. personne ne veut de cet amour. eleanor évite d'aimer les gens mais sans chagrin, à la place elle mord, elle se moque,

mais elle n'aime toujours pas.

car les gens n'aiment pas les animaux : les gens aiment les philosophes, les grands penseurs, et elle n'a que de la haine en étendoir et elle sait bien, depuis longtemps, que ce n'est pas correct. tout cela, à défaut de le garder secret, il ne faut pas en faire un combat - c'est un instinct animal, de ne pas aller totalement à contre-courant si c'est pour le faire de cette manière. elle se satisfait très bien de sa propre science, et s'enchante certes encore plus qu'on la rejoigne dans une forme de meute difforme où elle n'est ni le gourou ni le cheffe, juste une forme de chuchoteuse dans les moments de doutes. eleanor ne croit pas en le verbe et ses vertus - ah les grands discours ! elle les exècre. elle hait les alices ? eh bien, elle les condamne. de sa chair, elle se multiplie pour laisser moins de place, pullule comme une espèce invasive qui détruira un écosystème qui ne lui convient pas.

si tous les illuminés comme elle aime les appeler, si tous ceux avec autant d'ambition argumentaire agissaient de leurs tripes par la force de leur propre colère, si tous ces gens-là se remuaient - peut-être accepterait-elle d'aimer et d'offrir à l'humanité son coeur tout entier.
"Je lui est montré mes crocs et j'ai lancé une plainte profonde. Je l'ai senti défaillir. J'ai écarté mes mâchoires, comme m'a appris à le faire la chienne qui m'a mis au monde, laissant voir le gouffre au fond de ma gorge, et j'ai mis dans son visage, l'aboiement de ma race, celui qu'aux nuits sans étoiles, sans lune et sans espoirs, dans la crainte de ne plus jamais voir le soleil se lever, nous aboyons pour faire trembler les fondements de la terre, réveiller la lumière et faire advenir le jour. Il est devenu blème, il s'est pétrifié, ses yeux se sont retournés dans leurs orbites, ses pupilles se sont couchées, l'odeur de ses intestins, qui venaient de se vider le long de sa jambe, a empesté l'air tout entier, il s'est mis à trembler, il a vu sa mort l'effleurer, il s'est évanoui et il est tombé à la renverse." (anima, mouawad)