j’avais du temps hier. il est plutôt short aujourd’hui.

de retour dans sa cour.
parce que le client c’est pour maintenant.

si la redingote est prête, je vais te la prendre et tu seras libérée de ma présence. bon deal.

écarquille les yeux, imperceptible. une fraction de seconde comédien, susan. l’ironie dans la voix. dévisage lotti ; l’agacement de son côté cette fois. n’a pas dit bonjour. on déteste les introductions.

j’ai retenu l’adresse, contente.

tranchant susan, un peu moins quand même. parce qu’il sait, ce coup-ci il a perdu. mais toujours le gardien se tient droit. nouvelle cour nouvelles règles ; susan malgré tout ne courbe pas l’échine si rapidement.

please, évite de parler de mon père.

à peine charlotte s’est-elle exclamée. susan piqué au vif. tu es des seules à qui on l’a révélé soi-même. l’hypocrisie de sa mère, la grande gueule de son frère, le crient déjà assez bien. fils d’un père absent – disparu. un jour on cessera de t’apprécier, on ne te partagera plus rien. ce jour-là, on sera terriblement seul.

fait un pas susan vers elle, en eff, mais charlotte souple ; les cheveux en cascade eau noire limpide – un peu hypnotisé susan – charlotte souple d’un mouvement c’est elle qui franchit la distance. on ne bouge plus (ne parle plus), le scintillement des yeux fixe sur son visage de reine. susan la tête altière

ah oui. on le souhaiterait vexé.

elle tourne autour ; à sa gauche, susan les yeux au plafond, à sa droite, susan les yeux droit devant. le thé ; on la regarde. ennuyé. volontiers.

et quand elle prépare leurs tasses, on prend une décision. non.
on ne te laissera pas la satisfaction
de croire le monde juste.

mouvement imperceptible du menton. vers le bas. scintillement en feux froids dans les yeux. susan rejoint charlotte ; elle est occupée ; la main vers son menton de reine – encore – susan s’en fiche.

la fait le regarder. le pouce sur ses lèvres. on se souvient très bien ;
durant tous ces siècles on ne les a jamais touchées ; effleurer parfois.

quelle frustration pour le client que de savoir mon retard pour une simple tasse de thé.

sourire narquois. on la libère, geste nonchalant du bras, main dans la poche et susan lui tourne le dos. part s’asseoir sur la chaise. cale le dos, sort un sablier de son manteau. le bras ; mouvement alangui contre l’accoudoir. au bout des doigts près du sol, le sablier. l’index tapote contre le verre, charlotte.

insolence.

on commence à apprécier le tutoiement, charlotte. ça te fait descendre de tes grands airs. le sourire s’étire. sans tous ces siècles avec toi, on te regarderait presque en chien de faïence, aujourd’hui susan te renvoie le jeu malice.

très bien.

le bras alangui qu’on ramène pour faire se retourner le temps. admire le sable s’écouler ; une seconde. glisse le scintillement des yeux sur charlotte.

je demande un thé – le jasmin est délicat, excellente décision ma chère. (on ne dit rien pour le gingembre, on attend la tasse) la redingote et une chemise sur mesure. style edwardien je suis certain ton talent sait y faire. car il faut te le dire parfois :

renverse la tête contre la chaise ; blancheur du cou offert pour toi. on admire les étoffes les confections ; susan. relève la tête, le scintillement des yeux comme si le regard ne t’avait jamais quitté.

tu es douée dans ton domaine.

la glace des yeux dit ; es-tu polyvalente chère charlotte.

prendre les mesures doit aisément se faire, en dix minutes.

renverse le sablier.
susan, l'arrêt du temps le fait oser davantage ; peut-être. ça ne durera pas.

step
back

ses doigts
au-dessus de ta poitrine.

please.

scintillement des yeux ; éteint. les mots en bouche murmurés, articulation du silence. c’est pour éviter de t’effleurer, là.

te claquer la limite au visage
ne touche pas à ses lèvres.
n’y touchez personne.

le sablier fait son compte.
il voudrait faire ton compte que la nuit soudaine des yeux te dit

ses doigts
au-dessus de ta poitrine. lentement, te repousser ; protéger le cœur.
la caresse des mesures à sa taille ; on a ignorée. rayer tout depuis que tu as osé
sage charlotte de t’être arrêtée.

car on ne veut pas refléter ton plaisir ; égoïste reine les sujets rêvent aussi d’avenir.
et susan a quitté une cour non pour se retrouver dans la tienne
piétine les frontières charlotte, gardien du temps a son éternité éphémère

pour l’heure,

à distance de bras, des yeux noirs sur toi.

la redingote de monsieur le client.

formalité tranchante. désir immédiat, la pièce de vêtement avec elle on partirait diplomatique. avant que la bouche ne fasse violence.

tu as raison. je t’ai largement sous-estimée. (mais on ne quitte pas la chaise longue) en quoi mes désirs te concernent-ils, charlotte. tu me connais, (hausse les sourcils, pince les lèvres) je t’ai parlé de moi. l’as-tu vraiment fait, charlotte.

au bout du bras tendu, poser le pouce sur ta lèvre inférieure.

mais j’avais oublié le plus important. (ce qu’on a dit au jabberwocky) fais ce que tu veux des lèvres des autres, tiens-toi loin des miennes.

la voix gronde susan.
les lèvres comme le cœur ; elles sont faites de sable. personne n’aime vraiment le sable. que de promenades éphémères sur la plage, et les grains dans les chaussures,
personne ne les conserve.
et personne ne conservera sa vie quand elle s’effritera chez les immortels.
alors laissez-moi tranquille.

retourner le sablier.

le pas de nuit dans la boutique, détente souple elle s’éloigne et susan
scintillement des yeux revenu ; assassin
la voix
assassine

oh je te blesse. où, comment, toi la reine il te suffit de tourner un peu la tête, tu verras un autre sujet. cesse de perdre ton temps avec moi alors. tu es bien la seule affectée d’après ton discours.

avec le temps, c’est vrai après tout, rigide susan il faut rire ce n’est pas méchant, juste de glace susan il n’y a que les cœurs qui savent se meurtrir tu as un cœur charlotte, oh comme c’est vrai, et avec le temps rigide ennuyant susan il a dû égarer le sien, il n’en a plus non
non charlotte, parce qu’il n’a pas mal
n’a jamais mal susan, c’est évident.

ça change quelque chose si l’élu⸱e devait être quelqu’un d’autre que toi.

et il n’y a pas d’élu⸱e, c’est pour les amoureux qui espèrent.
susan n’est pas fait pour l’amour
trop bâti en blanc avec le temps
(sourire a dit maman)

toi, toi et toujours toi. je vais voir les autres parce qu’iels me blessent toujours moins que toi. peu importe la marque.

scintillement de glace sur fond rouge et l’étoile
soudain ; le sang qui a coulé
jabberwocky gravé dans l’œil.
(c'est parce qu'on a osé croire)

les lèvres, c’est fait pour les mots
(maux du cœur)

et l’entrée atroce des paroles silencieuses.
celles qu’on laisse glisser vers la mer.
(je suis sans nom
sans histoire
avec mon temps
sans avenir)

c’est inutile pour le désir. pourquoi demander alors. as-tu besoin d’embrasser farouchement tes victoires, comme des trophées. tu es insatisfaite, blessée pour une personne, mais qu’est-ce que je représente, dis.

non il ne veut pas savoir.

la frustration d’être si aisément désirable, avec exception. et quand ce sera fait quoi, tu vas me daigner comme un objet, revenir parfois et je dois faire ma fonction.

et sourire tout de blanc
et parler de mots blancs
et se laisser habiller de blanc
et désirer tout de blanc
et les cheveux de blanc à la manière du temps
et comme maman est si fière
et comme il faut simplement se taire petit objet de naissance
et comme il est joli l’enfant du temps
la belle victoire.

(sourire et creuser le vide
dans l’attente de trouver le poids
du cœur dans le regard des autres
ai-je égaré un bout de moi au fond de ta rétine)

qu’est-ce qui t’intéresse. je manque les muscles de banderageux, la morbidité des dark shadows, le sex appeal de mon frère alors dis. c’est l’ennui peut-être.

non.

toute tes questions charlottes ; non.
parce que tu ne seras conquérante de rien.
tu veux qu’on te regarde, tu ne sais même pas
v o i r
les autres.
non. à la manière d’un roi, susan avec la voix
comme un couperet ; tes désirs
ne seront jamais des ordres, uniquement enchaîné
au temps, susan
et

les mèches d’hiver à travers le regard
déplacé soudain par la joue brûlante et le cou tendu
le scintillement des yeux
stupéfié par la clarté de ton geste qui a résonné
si fort dans l’air.

tu as.
ne te regarde pas,
tu oses parler de toi – encore
et il cèdera (non)
non

(la vérité)
comment veux-tu qu’il cède
susan ignore pourquoi
tous ces siècles
tu continues à t’acharner
tu continues à l’envahir
tu t’ennuies du refus d’un autre
pourquoi
(susan ne peut pas
faire partie de ces autres)

pourquoi faut-il que tu piétines son insignifiance
(la rappelle si atrocement)
laisse-le tomber et va-t’en.
ton humanité enfouie dans le sable ;
il faudra le tuer pour la reprendre
emporter la reddition dans sa tombe
(la plage)

j’espérais que tu cesses un jour de te chercher dans un miroir sans tain. ça rend la fin plus longue à venir, dépourvue de ton reflet.

susan glisse les yeux lentement vers toi. ne touche pas sa joue brûlante et les mots sourds avec l’articulation des exécutions. tu sais comme on a souvent voulu te le dire

je t’aime. une amitié quasiment séculaire ; à quand date ton arrivée. on ne se souvient même pas, tellement tu es naturelle
(dans sa vie)

et toutes les fois où les lèvres se sont adoucies tu as fait ta reine sans miroir et on se dit que tu l’as peut-être toi-même cassé ; c’est pour mieux entendre comme tu es un désir universel.

(faux)
l’humanité n’est pas universelle.

de la poche de son manteau, susan
(retourne le sablier)
il en sort

ta clé.

on prendra la redingote, on partira
mais avant
l’étiquette, l’arracher si doucement
ça paraît normal.

déchirer en deux ton souvenir.
laisser les lettres tomber au sol.

la clé ; prendre la redingote
scintillement noir des yeux on te dit charlotte

bye.

prendre la porte. dehors dans la nuit
la ruelle près de ta boutique
y jeter ta clé.