Mais… quel goujat ! Ta vie était menacée et lui peinait encore à se remettre de son fou rire. Qu'y avait-il de si drôle à vouloir être présentable ? Alors oui, être habillée aussi clair était une erreur de débutant mais toi tu ne faisais pas partie de ceux qui s'intéressaient aux affaires politiques. Tu étais neutre dans cette histoire, neutre ! Et tu n'avais rien à te reprocher, oh ça non ! Pourtant dès tu entendis les "Où est-elle passée ?" "Par là-bas je crois. Elle était accompagnée." "Retrouvez la de suite." des soldats, tu ne pus t'empêcher de frissonner, serrant davantage la carte rouge et verte du Royaume contre ton corps frêle et te rapprocha même de l'homme encore à moitié à terre comme pour te cacher derrière lui, ne remarquant pas le petit regard qu'il jeta à ta silhouette.

Puis enfin ton compagnon reprit de sa stature et se releva, te surplombant d'un peu moins d'un pied et il commença à t'observer de la tête aux pieds -ou plutôt, il te reluquait, soyons honnêtes-. Prise d'un élan de pudeur, tu croisas tes bras au dessus de ta poitrine, redevenant cramoisi. Ta voix naturellement haut perché monta encore un peu plus dans les aiguës et ton accent du Texas -même si tu ne savais pas que tu venais du Texas- parut plus prononcé encore qu'à l'accoutumée.

- On peut savoir ce que vous regardez comme ça ?
- Veuillez m’excuser. Il s’avère que... J’ai... Mon don... Mh... Je vois la m-
- Vous voyez quoi ? Les soldats arrivent, il n'y a pas de temps à perdre, Truth.
- Pas le temps de niaiser ! Faites silence et suivez moi jolie tour- (‘flemzmzndnd) jolie tourterelle !
- Je vous demande pardoOoNn-

Avant que tu aies le temps de t'énerver un peu plus, l'homme à la cape te coupa la parole et courut à toute vitesse en te prenant par le poignet pour vous cacher à nouveau. Le chemin, non seulement inconnu pour toi, te sembla extrêmement long et difficile à parcourir puisqu'il était bien plus grand que toi et bien plus rapide. Tu étais étonnamment sportive mais il ne fallait pas pousser le bouchon. Tu portais une jupe qui limitait tes mouvements et tu perdis même une de tes chaussures à talon sur la route, te coupant au passage très légèrement la plante du pied. Mais avec autant d'adrénaline une petite blessure comme celle-ci passa inaperçue.

Puis enfin, il s'arrêta devant une bâtisse où se dessina une porte. Une fois à l'intérieur, tu te laissas glisser, dos à la porte et cherchant désespérément à retrouver ton souffle. L'homme -ton sauveur si on osait dire- alluma la lumière, te laissant ainsi observer tes environs. Son arrière boutique, avait-il dit ?

- Puis-je à présent savoir ce qui amène une charmante mademoiselle du royaume des angelots ici-bas ? Êtes vous folle ou incroyablement naïve ?

Tu relevas ta tête, toujours assise par terre et essoufflée pour le voir te toiser avec une expression un peu insolente collée au visage. Tes yeux noirs croisèrent pour la première fois ses yeux limpides. Ils étaient beaux, ses yeux, et difficiles à soutenir. L'espace d'une seconde, tes joues s'empourprèrent et tu brisas le contact visuel en te mettant debout, passant ta main sur ta jupe pour en retirer la fine poussière qui s'y était installée et retirant ta chaussure restante pour la poser aux côtés des bottines de ton compagnon inattendu.

- Vous faîtes erreur, je viens de Neverland. Je ne suis pas en blanc mais en bleu, voyez par vous-même !  

Tu fis un tour rapide sur toi-même, les bras tendus, pour montrer qu'il était évident que tu ne portais pas du blanc et que tu n'étais pas un sujet de la Reine Blanche. Bien sûr, peut-être que les soldats ne le comprenaient pas mais ce n'était pas quelque chose à laquelle tu pouvais remédier. Tu étais dentiste, Truth, pas ophtalmologue.

Ne supportant pas son regard insistant, que tu savais maintenant fort attrayant, tu lui tournas le dos pour fouiller du regard son "arrière-boutique". Tu grimaças légèrement en avançant, ressentant enfin la petite entaille dans ton pied mais fis comme si de rien était, posant la main sur ton menton et un doigt sur tes lèvres pour te concentrer, tu continuas à répondre à ton interlocuteur qui méritait sans doute ces quelques réponses.

- Pour tout vous dire, je suis dentiste. J'ai fait une commande par missive à un apothicaire de Crims pour du dentifrice et je suis venue les récupérer. Je devrais repartir pour le trouver mais…

Mais ta carte était en lambeaux. A force de la garder contre toi et de courir comme une folle, la carte avait perdu une bonne partie de ses précieuses informations. Tu croisas tes bras en lui faisant face à nouveau, sans pour autant le regarder droit dans les yeux, une petite moue au visage.

- Et puis il n'y a rien de naïf ou de fou à vouloir se faire jolie ! Ce qui est fou, c'est de rire ainsi de la première passante, vous ne trouvez pas ?

Ton ton était réprobateur mais il n'était pas particulièrement menaçant ou même efficace puisque tes joues reprirent une couleur rouge et que tu savais très bien que tu avais été un peu bête de t'habiller ainsi en plus de lui être redevable.

Était-ce une magnifique coïncidence ou un terrible présage de trouver par pur hasard celui qu'on cherchait à tout prix pour qu'il nous sauve après s'être moqué de nous en public ? Tu ne sais pas. Tu l'écoutais simplement avoir des sortes d'illuminations au fil de ton discours.

Je vous préviens si c'est une blague, je ne la trouve pas drôle du tout !

Tu restais confuse. Peut-être disait-il la vérité ? Il n'avait pas l'air de te vouloir du mal. Ou alors c'était une ruse pour te faire baisser ta garde ?! Et s'il voulait te découper en morceaux et te cuire au barbecue ?! Les sujets de la Reine rouge étaient capables de tout, non ?

Mais... Vous pourriez vous passer de tels artifices et demeurer tout aussi jolie.

Oh, ne dîtes pas ça je vais rougir.

Trop tard pour cacher le rouge de tes joues et ton petit sourire quand vos regards se croisèrent, c'est que tu étais sensible aux compliments et aux beaux yeux. Tu ne t'habillais pas aussi bien juste pour ton propre plaisir.

Si ce n’est plus jolie encore.

Le choc sur ton visage, tu compris enfin son sous-entendu. Mais encore en train d'assimiler ce que tu venais d'entendre tu ne pus rien répondre et le laissa enchaîner. Un bras autour de tes épaules - ou presque - tu le suivis jusque dans son salon. Plus les minutes passaient, plus tu étais confuse. Tu ne savais pas où te mettre, quoi dire, comment réagir.

En un clin d'œil, tu fus assise sur une chaise près d'une table où trônait une tourte à l'odeur… mystérieuse ? Quand tu te levas légèrement pour regarder, tu eus un hoquet de surprise en voyant la tête de la fameuse tourte. Et cette tête… Non, ce visage. Ce visage qui semblait te fixer avec ses yeux rouges perçants… Brrr, tu repris position initiale en essayant d'oublier tes frissons.

Jusqu'à ce qu'il commence à t'en servir une part.

Tu étais incapable de parler, simplement de regarder, forçant un sourire à ton "sauveur". Non, il ne voulait pas te découper en morceaux puis te cuire au barbecue. Il voulait t'empoisonner, probablement. Tu levas ta fourchette vers ta bouche avec précaution, observant ses ingrédients. De l'anguille ?... Au moment de toucher ta bouche, celle-ci ne voulut pas s'ouvrir. Tes dents refusaient de manger cette tourte, surtout pour toi qui ne mangeais pas de viande. Tu esquissais un autre sourire à ton interlocuteur, puis après avoir déglutis, approchas à nouveau le morceau à ta bouche.

Sploosh.

Ta tête tourna au dernier moment et tu avais à présent de la tourte sur la joue. Tu l'essuyas rapidement avant de reprendre un bien plus gros morceau. Non mais, tu n'allais pas laisser tes dents choisir à ta place ce que tu pouvais manger ou non ! De quel droit avaient-elles un semblant de conscience ? Alors que ce pauvre apothicaire y avait probablement mis son cœur à l'ouvrage ? Elle pariait même qu'il ne l'avait pas empoisonné du tout ! Respectez la tourte !

L'œil de la tourte dans ta fourchette tu l'approchas de ton visage avec conviction. Mais non. Les dents ne voulaient pas. Ton visage tourna à gauche, à droite, à gauche, à droite, évitant ta main. Dans un dernier effort, tu forças un grand mouvement en tenant ton visage de l'autre main.

Sploosh.

De la tourte, partout. Sur tes joues, ton nez, ta petite veste et un énorme morceau sur ta jupe blanche - non, bleu dragée !! - mais plus rien sur ta fourchette et rien dans ta bouche. Mission avortée, il n'y avait rien à faire. Ton instinct de survie avait répondu violemment à cette pauvre tourte. Tu affichais un air dépité et blasé, appuyant ton visage maintenant sale contre tes deux mains, coudes sur la table. Tu n'osais pas regardais ton hôte dans les yeux. Déjà car tu avais perdu tout ton semblant de classe, que tu n'avais pas respecté sa cuisine et que tu n'aurais jamais pu critiquer sa nourriture alors qu'il te proposait si généreusement de t'aider. Un soupir las s'échappa de ta bouche qui n'avait pas goûté à la tourte.

Désolée, je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui… Comme tu dois avoir l'air bête. Vous n'auriez pas des vêtements à me prêt-… Non! Pardon… Juste de quoi m'essuyer ça ira… Si possible. Encore désolée, je suis un peu bizarre aujourd'hui je crois.