C'est bientôt l'heure, et pourtant. Quelle nuit ennuyante.. Deux visiteurs, deux habitués. Deux que tu revoyais beaucoup, que tu revoyais trop. Il faut dire qu'être toi c'est compliqué. Tu en viens même à simplement penser qu'être toi, c'est plus compliqué que d'être les autres. C'est réducteur pour eux. Mais tu penses aussi et surtout, qu'être toi est bien mieux que les autres. Toujours aussi réducteur. Des pensées que tu ne caches pas vraiment, mais tu ne les dis pas non plus en chantonnant dans la rue. Seulement si on te pose la question. Et les gens ne posent jamais la question, car il suffit de quelques échanges pour savoir qu'ils ne répondront pas ce qu'ils veulent entendre. A moins qu'ils ne te payent pour ça. Mais ce serait trop réducteur voyons, évidemment.

❝ ━ Attends ! Tu as encore affaire. ❞ Un soupir. Un énième.
❝ ━ Qui ? ❞ Celle qui est ta supérieure lève les yeux au ciel. ❝ ━ Ce qui est important ce n'est pas qui, c'est que c'est maintenant. Elle t'attend, alors file. ❞ Tu imites son précédent geste. Certes, tu ne disais jamais non, pire, tu en redemandes toujours, mais tu espérais fort que ce ne soit pas ennuyant, cette fois. Tes faux-semblants ne peuvent encaisser qu'un certain temps, et tu n'en pouvais plus de simuler le plaisir devant des clients incapables de manier la flèche à leur arc. Une de tes favorites, cette expression. Bien qu'elle ne soit pas aussi répandue que tu ne le penses. Personne n'appelle un corps masculin un " arc ", et peu réfèrent à leurs engins comme une " flèche ". Du moins peu souvent, surtout à Wonderland. Ceci étant, il n'était plus temps de te diriger vers la sortie, mais de mettre en valeur ce joli minois.
Attirante, mais en simplicité. Tu n'avais pas envie de sortir le paquet si c'était pour encore le regretter. Alors tu enfiles des résilles, une jarretelle, une seule, et une nuisette courte, dorée. Elle ne cache pas bien le bas de ton corps, on peut voir le fin tissu noir qui cherche désespérément à faire office de sous-vêtement. Alors que vraiment, il n'est que joli à regarder et ne sert qu'à être enlevé.
Heureusement que j'ai pris une douche après le dernier.. Une pensée, le temps d'une seule, et tu entres pour découvrir qui est ce " elle " avec qui tu avais affaire.

Un pas, c'est tout ce que tu avais eue le temps de faire dans ton habitat de plaisir avant qu'elle ne prenne la parole. Ce qu'elle dit se reflète sur son visage. L'énervement, la fatigue, elle ne semblait pas d'humeur à se laisser aller, mais alors pourquoi venir au Moulin ? Sûrement pour se calmer. Sans doute.
Un deuxième pas, et elle te met en garde. Visiblement pas d'humeur oui, mais elle avait aussi des restrictions. De l'authenticité.. Intéressant. Ce n'est pas souvent que tu en as l'occasion, et c'est tout simplement jamais qu'on ne te le demande. Quoi que, ce n'est pas tout à fait vrai. Certains demandent, de laisser tomber le voile, d'être le vrai toi. Mais ce n'est pas réellement ce qu'ils cherchent. Tu le sais, ils le savent. Ce qu'ils veulent, c'est l'illusion de te percer à jour, que tu te montres à nu. Réellement à nu.
Elle veut une nuit sans mascarade, sans faux semblants ? Ce sera le cas, tu en souriais d'avance. Bien qu'elle n'aurait que l'authenticité que tu sens de montrer, et non le vrai toi. Car celle-là ne ressort jamais.

❝ ━ Comme il te plaira, je ferais comme bon me semble. ❞ La phrase résonnait comme un proverbe, la démarche se faisait lente pour traverser les mètres qui te séparaient d'elle. ❝ ━ Mais il me faut quand même savoir de quel côté tu penches ma jolie, avant de pouvoir te calmer les nerfs. ❞ Ton regard traduisait une envie féline, qui se baladait dans tout ton corps alors que tu te penchais sur elle. Quelque doigts sur sa joue, une caresse douce comme une musique d'antan, puis un doigt sur la bouche, hésitant comme la demande d'une seule vie. ❝ ━ Faut-il que je te laisse faire de mon corps ce que tu veux.. ❞ Tes mains prirent les siennes pour les poser sur tes hanches. Les yeux se fixaient, tu ne lâchais ni son regard ni son attention. Une jambe, puis l'autre, tu étais au dessus d'elle et elle te tenait bien gentiment. Le regard devint provocateur. ❝ ━ Ou faut-il que je me fasse plus entreprenante ? ❞ La seconde plus tard, elle était contre le lit. Ton souffle s'écrasait sur ses lèvres, ta main tenait gentiment mais fermement son cou. Elle pouvait se dégager de ton emprise quand elle le voulait, c'était bien l'intention. ❝ ━ Alors ma jolie, que préfères-tu ? ❞ Tu te gardais tes doubles sous silence pour l'instant. Elle paraissait prometteuse, tu ne voulais pas gâcher l'effet de surprise en les dévoilant trop tôt. Ceci étant, en espérant que ta réputation ne t'ai pas précédé, ce qui est le cas avec certains clients.

Provoquer le désir, provoquer l'envie, c'était devenu naturel chez toi. En début de carrière, l'inquiétude était au rendez-vous. La peur de ne pas faire bien, de se tromper, de vexer. Simplement, d'être nulle. Mais rapidement, l'exercice devint défis. Il n'était plus question d'inquiétude des débuts, il était question de perfection. Jolie, douée, tu n'avais rien à envier. Mêlé à ton talent dont seul toi a le secret, tu te faisais une concurrence féroce pour beaucoup qui exerçaient les mêmes touchers payés que toi. Mais tu ne su te satisfaire d'être bien. Et avec le temps, tu ne su te satisfaire d'être spéciale. Tu l'étais, bien. Tu voulais être plus, évidemment. La meilleure, celle à qui on ne résiste pas. Le partage entre l'envie de challenge et l'envie d'être simplement imbattable. Qu'on ne puisse te dire non, qu'on ne puisse te regarder trop longtemps sans vouloir te voir nue et danser au-dessus de son corps.
Pourtant, si tu lui faisais même un effet minime, elle ne laissait rien transparaître. Impassible, dure, pourrait-on dire, froide. La douceur n'attendrissait point ses yeux, la violence ne la faisait point se crisper. Rien, mais des mots. La demande autoritaire d'un silence. La froideur et l'exigence sont les mots d'ordre dans sa bouche. Soit. Tu es là pour satisfaire, après tout. Et ce caractère qu'elle te donnait, tu n'en avais pas l'habitude. Ca t'intriguait.
En la regardant tu n'aurais pas deviné qu'elle viendrait d'elle-même voler tes lèvres, mais elle ne semblait pas le faire tout en appréciant pour autant. Peut-être a t-elle seulement besoin d'un coup de pouce. Alors une main vient de nouveau caresser sa joue, avant de glisser dans ses cheveux pour essayer de rendre le baiser plus doux. Sauf que tu es moins douée pour la douceur. Instinctivement, ton autre main resserre la pression autour de son cou, dans une envie spontanée d'être moins douce. Une querelle entre esprit et corps, entre envie et besoin. L'envie de fleur. Le besoin d'un dragon.

Mais elle s'ennuie, semble lasse, alors abandonne. Soit. Tu accommodes ton esprit pendant qu'elle t'adresse de nouvelles phrases. C'était un réflexe, que de faire un point mental pour évaluer la nouvelle situation quand celle-ci change. Ca t'aidait à ne jamais réellement te faire surprendre, à garder pieds sur terre et t'adapter vitesse lumière. Une chose dont tu es fière.
La pression de tes doigts contre sa peau se relâche, avant de ne plus être qu'une sensation fantôme. Pour autant, celle dans ses cheveux ne bouge pas, elle préfère continuer à les caresser doucement.

❝ ━ Parfaitement claire. ❞ Les yeux dans les siens, ils n'expriment toujours rien. Ils divaguent alors vers ses cheveux, pour les détailler. Noir à la base, bleu en allant vers les pointes. La luminosité de la pièce leur donnait des reflets violets. Délicatement colorés. Hm. ❝ ━ On m'appelle Aimée. Enchantée ma dame. ❞ Tu n'aimes pas qu'on te possède, car c'est impossible. Tu n'aimes pas qu'on s'imagine te posséder, car c'est ridicule. Mais toi tu possèdes. Qu'on ne t'incombes pas néanmoins, tu n'aimes posséder que pour des moments brefs, que pour ces moments, ces nuits avec d'autres.
Authenticité, avait-elle dit. Alors tu repris. ❝ ━ Mais mon nom est Emerald, si l'authenticité prime. ❞ Le corps se redresse, avant de se relever. Se met à genoux, en face du lit. ❝ ━ Et toi, ma dame ? Comment dois-je t'appeler ? ❞ Ne pas dépasser les bornes, ne pas dire un mot de trop, comme elle le demandait. Non, l'intimait de manière menaçante, plutôt. Mais que dire alors, lorsque tout mot peut devenir celui de trop. Que faire, lorsque tout geste, peut être le dernier, signant cette rencontre par l'échec. On tente. Si tu le dis.

Une main se pose délicatement sur une de ses cheville, puis deux, la ramenant doucement à toi. Un doux baiser, s'ensuivit d'un autre à peine plus haut, puis d'un nouveau qui suivait le pas. Douceur était maître mot, cette fois. ❝ ━ Si tu le veux ma dame, je suis aussi de bonne écoute.. Si l'envie te prend, tu peux te vider la tête en me parlant de ce qui te tracasse. ❞ Les baisers s'arrêtèrent à son genou, quelques secondes après cette phrase. Les yeux rencontrèrent les siens, une nouvelle fois. ❝ ━ Tu peux tout aussi bien te mettre à l'aise et enlever ce peignoir, aussi, si tel est ton souhait. ❞ Ni trop entreprenante, ni dubitativement immobile. Tes pas vers elle étaient calculés. Mais le seraient-ils assez ?