prêtre - 1994/2001 1) Il s’est comporté comme un petit voyou lorsqu’il était adolescent, à courir les filles et les garçons, à jeter des cailloux sur les voitures des flics, à s’enfiler des dizaines de canette de bière sur les quais du canal, à sécher les cours pour fumer un joint dans le parc d’à côté, à piquer des magazines pornos et des bonbons chez le buraliste du coin : tout ça pour impressionner les copains…
2) Un jour il a tenté de voler le portefeuille du Père Bernardo tandis qu’il était coincé dans une file d’attente devant un cinéma - le Père l’a pris sur le fait mais ne l’a pas dénoncé, au contraire. Il a offert un coca et un ticket de cinéma pour voir le film d’horreur l’Exorciste à Camael : de là est né leur étrange et singulière amitié.
3) Le Père Bernardo a été d’une grande influence positive sur Camael et c’est à son contact qu’il a choisit de devenir lui-même prêtre. Il suivit ses enseignements et ceux de l’Église Catholique au sein d’un collège de séminaristes à Rome.
4) Il y apprit le latin, l’italien, le français et l’allemand - des langues qu’il parle encore aujourd’hui avec maîtrise et justesse. Il se découvrit, au cours de ce long séjour à Rome, une passion pour les Arts et la photographie.
5) Il s’engagea à suivre le Père Bernardo dans sa volonté d’assister des organismes caritatifs et de prendre part à des campagnes de vaccination, d’instruction professorale et de tutorat dans les pays sous-développés.
6) Camael se pensait être doté d’une foi sans faille. Or, la mort du Père Bernardo et les nombreux ravages de la guerre, de la misère et de la maladie dont il a put être témoin lors de leurs missions et voyages ont finit par avoir raison de ses pieux engagements.
7) A la stupéfaction de ses supérieurs hiérarchiques et de sa famille, il renonça à son col blanc et quitta les ordres. Sa perte de foi l’affectera à vie. Sa colère et sa rancune à l’égard d’un Dieu inexistant, absent - à l’égard d’un Dieu insensible - créera un vide abyssal en lui. C’est la photographie et sa soif de combattre la guerre qui parvinrent, un tant soit peu, à combler ce vide.
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It was only the other night, everything was fine and the next thing I know
I'm drowning. How many times can a man go down and still be alive ?
I can't breathe... »
― Ray Bradbury, Fahrenheit 451photographe de guerre - 2001/20061) S’est mis à son compte en tant que photographe de guerre freelance - suite à sa perte de foi et à son désir de dénoncer les inhumanités commises impunément dans le monde
2) Ses premières photos, traitant du conflit ravageant les côtes de la Croatie et du Monténégro, furent publiées dans divers journaux européens et déclenchèrent notamment une polémique en Allemagne - alors frileuse sur sa position politique vis à vis du conflit
3) Il se fit rapidement un nom dans le milieu du journalisme - la qualité de ses clichés et la vérité poignante dont ils témoignent étant la raison de son succès et de la reconnaissance de ses pairs
4) Il avait un don pour sympathiser avec les populations locales, il inspirait confiance et écoute, il se fondait facilement dans la masse, restait très alerte et à cheval sur sa sécurité et celle de ceux l’entourant
5) Il a écumé les Balkans quelques mois. Ensuite, ce fut la Colombie où il demeura quasi un an - photographiant notamment une rixe de rue entre cartels qui lui valut un prix prestigieux. Il put ensuite voyager jusqu’en Argentine, remonter par le Chili et revenir quelques semaines en Colombie
6) Après l’Amérique Latine, il décida de retourner en Afrique - son continent fétiche. Il avait à coeur de dénoncer les abus de la Monarchie au Maroc, les révoltes grondant en Tunisie, les exactions du gouvernement belge au Congo…
7) Il s’installa ensuite deux ans au Kenya, travaillant sur divers reportages visant à mettre en lumière les génocides dont certaines tribus étaient victimes.Ce fut par la suite, le Nigeria, l’Arabie Saoudite, l’Éthiopie et enfin le Soudan.
8) Les nombreux conflits et crimes de guerre auxquels il assista eurent, au fil des ans, raison de lui. Peu avant sa mort, il était en proie à une violente dépression, insomniaque et à deux doigts de se tirer une balle.
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Un jour, bientôt, je vais mourir. Je n’ai pas peur.
Si j’écris ces mots c’est parce que je souhaite égoïstement ne pas être oublié et c’est à toi que je les adresse. Tu ne me connais pas et je ne te connais pas, mais il est doux de songer que tu puisses, par ce papier, me faire une place dans ton coeur. Ainsi, dans une autre vie, pourrions-nous espérer nous croiser et échanger ces affections de petites gens. Quel temps fait-il chez toi ? Comment vas-tu ? Il y’a un livre que j’aimerais te prêter. J’ai fais du café.
Pour un café sur la terrasse de la maison de mon enfance, je donnerais tout l’or du monde. Je peux encore sentir la terre chauffée par le soleil, je peux encore voir les vignobles à flan de colline. La table de bois et le pot de fleurs en faïence bleu de ma mère. Le citronnier à côté de la porte-fenêtre et ma soeur assise sur les dalles, notre chien dans les bras. Mon frère, amenant les pasteis de nata sur le plat ovale ocre de feu ma grand-mère. Mon père, assit à mes côtés, me narrant la lecture du journal local. Ces petits riens sont les trésors d’un quotidien qui ne s’offre plus qu’au travers de souvenirs jaunis.
Voilà que ma plume me trahit, elle me renvoie à ma nostalgie. Pardonne-moi, il est tard et le soir est un cadre propice aux vagues à l’âme. Je plonge volontiers dans le temps et y déterre des jours que j’aimerais revivre, des jours que j’aimerais oublier. Curieusement, ce sont ces derniers qui me reviennent à l’esprit avec le plus de véracité et de détails… À dire vrai, ils me hantent et me privent de sommeil. Depuis quand n’ai-je pas jouit d’une nuit reposante ? Ah… Une décennie il me semble.
Souvent, ce sont les cris. Il n’y a, selon moi, pas plus terrible souvenir que le souvenir des sons. Je peux entendre, à l’instant même où ma plume se pose, les cris de cette petite fille. Pieds nus dans le sable, la robe sale, elle crie. Le corps de sa mère, la marre de sang et l’indifférence des soldats. Ses cris se fondent dans les détonations des fusils, dans les aboiements des chiens, dans les vrombissements des hélicoptères survolant les ruines.
Je peux entendre les cris de ces femmes enfermées dans le sous-sol, humiliées, violées, battues. Je peux entendre les râles enragés des gardes à la vue du convoi militaire américain au loin. Je peux entendre la rafale des Kalachnikov. Je peux entendre le silence remplacer les cris - je peux deviner le sous-sol devenir un vaste tombeau.
Ah… Tant de jours, tant de jours que j’aimerais oublier. Tant de jours que j’ai photographié, de crimes que j’ai dénoncé, de pays que j’ai aimé puis détesté, tant de cieux que j’ai contemplé avec espoir, tant de cieux que j’ai maudis… Mais rien, rien n’aura jamais su acheter une heure de paix à mes nuits. Rien n’aura jamais su ranimer ma foi en Dieu, ma foi en l’Homme.
Je suis fatigué. Je veux dormir. Pardon, pardonne-moi. Il est tard - il est tard depuis trop longtemps.
Allons, je poursuivrais cette lettre lorsque j'aurais un peu de temps libre. Il me faut laisser mes fantômes de côté, j’ai des affaires à préparer. Demain, je dois me rendre dans une école près de la frontière éthiopienne. Je dois y photographier les enfants, assister à leur première vaccination par des volontaires de la Croix Rouge. La route sera longue et le soleil ne nous laissera aucun répit. Sur le sable du désert, il se reflète comme une flame crépite sur une bûche sèche et vous rôtit à même l’air.
J’envie quelques fois les montagnes de la vieille Europe, les montagnes du Canada, du Tibet, leurs versants enneigés et leurs températures froides ! Je dis ça… Je ris. Jamais je ne pourrais me passer de la chaleur du ciel africain, ni des beautés sauvages qu’il couve…
Un jour bientôt, je vais mourir et je n’ai pas peur.
Je n’ai pas peur, parce que c’est sous ce ciel africain que je mourrais.