Si la relation entre l'excentricité de ma personne et la flegme — tant courtoise qu'elle m'était, bien souvent, agréable — de Susan détonait aux yeux de certains comme une sibylline hérésie, il existait pléthore de raisons à l'aube de l'irrémédiable entente entre nos deux partis, en tête desquelles figurait, à mon humble avis, la redoutable affinité entre le temps et la magie de téléportation : pour autant que mes cellules de Purkinje demeuraient arables, ce qui, en présence d'alcool, s'avérait parfois hardu, la ponctualité n'était pour moi, aucunement problématique.

Le temps, en outre, ne me manquait jamais.

Nonobstant mon attrait pour les festivités submersibles, je réservais les bons plaisirs gastronomiques aux soirées de récits ostensibles qui concluaient mes voyages, car la sobriété était la plus tendre alliée des aventuriers solitaires, et plus encore lorsque m'incombait — bien que rarement — la responsabilité d'autrui. En ce parfait état de conscience, dans tous les sens du terme, j'avais gagné le palier de la demeure de Susan, marinant avec entrain notre intérêt commun : l'intimité d'une exploration noctambule, au contact du vaste lac qui couvait les terres où le soleil prenait ses premiers élans. Susan, me voici à l'heure — si tout du moins, tu ne l'as pas avancé ! Au coin de mes lippes, l'aube d'un rictus en essuya les contours, adagio et silencieux, et se fondit dans l'ombre crépusculaire de mon visage ; son expression engageait le vice de l'indéchiffrable, du mystère et de l'intemporel — pareille à une sculpture figée dans son instant de gloire.

Ironiquement, j'étais à mille lieux d'en retranscrire l'immobilité, tant mon corps ployait sous la fièvre d'un entrain parfois velléitaire, mais irrévocablement ancré : mon pas eurythmique caressait la surface du sol en une grâce presque féerique, intimant à mon ami de s'engager à ma suite. Ah — j'ai laissé mes affaires sur la table de mon salon pour ne pas me charger durant le trajet, as-tu besoin d'aide avec ton sac ? On ne va pas camper tous les jours~ La tirade s'enchevêtra dans un silence teinté d'embarras, et face à l'autorité duquel un gloussement amusé vint sonner la révolte : un sourire illuna mes traits d'un amusement caractériel, précurseur de l'incoercible témérité dont je n'étais jamais las de faire montre. Pour qui tenait la prudence en ses lettres de noblesse, une aventure en ma compagnie, toute brève et ludique qu'elle était, s'annonçait comme une rude épreuve.

Le tableau s'étalait en une mirifique myriade de couleurs, distillées dans la douceur d'un horizon grisâtre : la nuit n'était pas encore tombée, loin s'en fallait, mais le paysage se dressait comme un voile monocorde, occultant l'instant aux funambules réalités qui assaillaient notre quotidien piégé dans les affres du temps. Comme un égide, le silence effleurait des airs salvateurs, et j'en épousais la silhouette durant quelques longues secondes, me rendant témoin de l'inqualifiable justesse des gestes d'un Susan dévoué.

Des doigts comme des aiguilles, perçant l'infini de l'infime, le secret des mondes minuscules ; des doigts réparateurs, s'ouvrant aux plaisirs du confort capillaire et du bon public — jusqu'à incarner la tribune silencieuse de mes aventures. Au cœur de jungle toxique, un arbre s'élève. Un grand, très grand arbre, jusqu'à toucher le ciel. Au cœur de mes pensées, l'espoir s'élève comme une mélopée. Les mots dansent, s'agencent et résonnent, tissent le récits des merveilles qu'on ne voit pas deux fois : un sourire s'érige, tord les ombres des lippes élargies, éclaire les traits sous le voile occulte des nuages.

L'instant est acclamé par l'infinité du suspens et de l'impatience. Ses racines sont lovées dans une plaine aux fleurs multicolores, dont certaines ne sont que le traître déguisement du poison, mais qu'importe — le paysage est d'une beauté certaine pour qui sait l'apprécier. Sous la passion que dessinent les inflexions de mes joues, la courbure de mes lèvres, le plissement de mes yeux surgit l'éclat d'une folie guerrière, de celle qui ne nécessite la moindre arme ; des batailles qui ne se teintent de sang, et s'abreuvent de l'interminable qui constitue notre monde. Au sommet, le monde nous appartient. L'univers s'étend comme une toile, une œuvre d'art, et tout semble faire sens : la raison du soleil levant, de l'eau qui coule ou du chant des oiseaux. L'univers, je le crois, est d'une timidité sans pareille ; et il relève de notre curiosité de l'arracher à cette solitude destructrice, soupirais-je enfin.