musique - Le soleil abandonne déjà son trône céleste pour des reflets roses et oranges - tu es en retard, Aliocha. C’est rare que tu fasses preuve d’un tel manquement à ton émérite ponctualité. Aussi, presses-tu le pas sur les pavés mouillés, les cheveux en pagaille et la mine contrariée. Il pleut et tu n’as pas de parapluie… Il pleut et tu te trempes jusqu’à l’os à mesure que les nuages déversent leur plaintes.

Cela fait depuis ce matin que tu es en retard - en retard sur ton petit-déjeuner, en retard sur tes préparations pharmaceutiques, en retard sur ta toilette, en retard sur ta penderie. Cela fait depuis quelques jours que tu es à côté de tes pensées, à côtés de tes gestes, à côtés de ta logique, à côté de ta raison.

C’est que, Aliocha, depuis tes récentes entrevues fiévreuses avec Charles, tu as l’esprit brumeux et les humeurs maussades. Il ne t’est plus possible de fonctionner comme à ton habitude et Ô comme cela t’agace, comme cela te frustre.

Enfin, tu arrives sur la pallier du bâtiment. Quarante-cinq minutes de retard - voilà où tu en es. Tu pestes, les poings serrés, et ne t’encombres pas de sonner pour annoncer ton arrivée. Non, tu entres et cherches prestement une indication te permettant de trouver le bureau du secrétaire.

Actuellement, tes recherches scientifiques portent sur la confection d’un antidote aux poisons de deux espèces de reptiles. Les ingrédients nécessaires à cet antidote incluent les racines d’une fleur qui ne pousse que dans certaines clairières de Neverland. Si tu as l’autorisation de ta royauté pour vagabonder où bon te semble, il te faut celle de la Mairie de Neverland pour t’adonner au prélèvement des susnommées racines. Après tout - tu n’es pas d’ici.

Tu n’as pas songé - ou peu - au fait que l’actuel Maire n’est autre qu’un de tes anciens amants. Jadis, avant qu’il ne soit le lion de la ville, vous étiez des dernières âmes à quitter les tavernes et des premières âmes à grossir ses draps de vos ébats lubriques.

Esthef… Un rictus moqueur arque tes lèvres lorsque de vagues images de ces moments intimes et fous te reviennent à l’esprit. Heureusement, tu n’auras pas à le voir - grand bien te fasse. Tes aventures passées ont de plaisant qu’elles sont justement : passées.

Avant de gagner le bureau du secrétaire (trouvé aisément au détour d’un escalier), tu essayes de défroisser ta blouse bleue, d’ajuster ton pantalon noir, et de démêler tes cheveux - en vain. T’as l’air de sortir tout droit du torrent d’une rivière et, Aliocha, je ménage mes mots…

Lorsque tu pénètres le bureau du secrétaire - personne. C’est à cet instant précis que tu prends conscience que, depuis ton arrivée dans le bâtiment, tu n’as croisé personne - non, non, personne ! Pas âme qui vive… Tu soupires. Voilà ce que coûte un retard… Se déplacer pour rien… Oui mais… Aliocha, réfléchis ! Si aucune pièce n’est close, si tu as pu entrer sans difficulté dans la Mairie et dans ce bureau, c’est que forcément, quelqu’un demeure.

Inquisiteur, tu te faufiles le long d’un corridor jusqu’à percevoir, de sous une porte, une lueur jaunâtre. Il y’a quelqu’un ? Doucement, tu ouvres la dite porte - pour les bonnes manières également, tu es en retard… Pardonnez-moi, j’avais rendez-vous avec le secrétaire du Maire mais j’ai été retenu par un imprévu et… Je suis l’apothicaire de Crims, Aliocha Tkatchenko.

À quoi bon rester en retrait quand tu t’octroies déjà le droit de t’imposer sans permission ? De ce fait, tu refermes la porte derrière toi et aussitôt balayes d’un regard les lieux pour en trouver le propriétaire et - … Je… Je rêve… - tu souffles, bien plus surpris que décontenancé. Esthef… - t’as envie de répéter vingt fois merde ! mais ta bouche s’y refuse - elle préfère souligner ta panique et ton embarras d’un sourire crispé. Je suis navré, j’ai… Je me suis trompé ?

Oui, assurément.

musique - Il y’a quelques années encore, tu cédais volontiers à la luxure, au vin de bohème, aux velours rouges des divans de ces tavernes dont tu connais les couches comme on connaît ses poches - il y’a quelques années encore, tu cédais aisément aux cuisses faciles, aux jeux de mains coquins, aux lèvres grasses qui coulaient « putain ! » sous tes coups de reins…

Ah, Aliocha, il y’a quelques années encore, baiser n’était pas un mot adepte de ton lexique journalier, non, baiser n’avait d’usage qu’en verbe.

Ce sont les réminiscences moites de ce passé que le sourire charmeur d’Esthef a bon de faire renaître au noir de ton esprit. Il aura longtemps été ton amant le plus fidèle, ton fidèle le plus dément - que les dieux t’en soient témoins, ensemble vous preniez votre pied comme des fous furieux.

Ah, Aliocha, cesse de vagabonder sur les pages d’hier…

Je venais pour un papier, oui. Couper court à ses possibles tentatives de cajoler ce passé qu’il te serait désagréable devoir s’acoquiner du présent. J’ai besoin d’un passe-droit pour aller prélever des plantes dans une clairière en bordure de ta ville. Ce sont des plantes protégées et rares… Un pas, deux pas. Tu recules.

Mécaniquement - ton regard se balade sur les étagères débordant de livres, sur les décorations diverses agrémentant les murs, sur le secrétaire croulant ça et là sous des feuillets et dossiers… Tu ne peux pas t’empêcher de songer que, en comparaison des lieux que vous fréquentiez, ce bureau est d’une étonnante sobriété.

Au fait… Je ne t’ai pas félicité… Un sourire facétieux arque sournoisement tes lèvres et si tu n’étais pas si friand des jeux de séduction et de répulsion, ta raison t’aurais déjà sommé de déguerpir et en docile serviteur, tu l’aurais écouté. Maire de Neverland… Quel prestige ! Une flatterie en deux teintes - tantôt la moquerie, tantôt la sincérité.

Vous parliez peu de projets d’avenir et d’ambition - quand bien même ce trait de caractère, l’ambition, est un de ceux que tu avais d’emblée remarqué et apprécié chez Esthef. Il n’est pas simplement homme de tous les excès, il est homme désireux de les produire chez autrui et de les maintenir en ordre pour mieux tranquillement régner.

J’imagine que tu es devenu maître en matière d’oration et de discours…

L’art et la manière de parler. Esthef est, selon toi, un artisan de la parole. Sa voix… À l’égal de ses autres qualités monarchiques, vous envoûte comme un ivrogne s’envoûte d’alcool. Un artisanat que tu envies - il faut le reconnaître - et tu le reconnais, et cela t’agace.

Envier Esthef - cela t’agace.
Avant, c’étaient mes qualités, c’étaient mes défauts, c’était ma désinvolture, c’était mon détachement - avant, c’était moi qu’il enviait.

Se doutent-ils, tes dévoués concitoyens, les serviles pièces de ton échiquier... - que ta voix est une fabuleuse musicienne lorsqu’il s’agit de lire les partitions de l’orgasme ? Tu glousses - allons, allons, Aliocha. Quelle bassesse ! (Une vengeance quant à cet agacement précédemment nommé ?) N’étais-tu pas le premier à vouloir taire toute tentative cajole quant à votre passif de concubins lascifs ?

Pardonne-moi… J’ai été douché par la pluie, il est tard et j’ai quelques kilomètres au compteur de ma fatigue. Bâtarde excuse - et ton sourire facétieux se meurt pour une singulière mesquinerie.

Si tu as reculé de deux pas quelques instants plus tôt, tu avances cette fois-ci de dix à sa rencontre. Ta présence empiète sur son ombre et tu te dresses à sa vue, de toute cette indolente nonchalance qui t’est propre.

Il a grandit - il te dépasse largement.
Il a vieillit - quelques ridules habillent ses tempes.
Il a embellit - la maturité lui sied à merveilles.

Aurais-tu l’amabilité de me prêter de quoi me sécher ? Je ne tiens pas à tremper ton parquet… - Aliocha, vilaine sorcière, vilaine vipère…

Ce même manège tu reprends : reculer de trois pas, de six pas, de douze pas - retrouver tes airs passifs et innocents - t’octroyer le droit insolent de t’installer sur un fauteuil à ta portée. Cela te plaît-il ? La bureaucratie ? - converser de rien et de rien faire ton rôle de comédie.

C’est un début.

Tu souris, sorcière, tandis que tu le suis à l’étage, curieusement docile. Il te parle et tu sens à chacun de ses mots l’ampleur qu’a prise son ambition, la faim quasi insatiable de grandeur qui se terre au fond de sa gorge

Un jour, pour te saluer il me faudra m’agenouiller face à toi, séant sur un trône ? Tu dis, sardonique - et tu l’imagines, couronné de sa gloire, habillé de ses plus beaux atours, le regard fier et la parole plus claire encore.

Peut-être est-ce ce que ce monde mérite ? Peut-être est-ce ce que ce monde nécessite ? Esthef Belgrade. Je ne suis pas contre l’idée. Silence, Baba. Nous sommes contre les têtes couronnées, fussent-elles nos amies, nos amantes - nulle autorité n’est supérieure à la Mort, à la Vie. Nulle monarchie ne vaut le temps d’un marchand, les fruits d’un verger, le vin d’un vignoble.

Toujours cet appétit pour les plaisirs consommables et les êtres consumés…
Toujours.

Et les images de votre passé commun qui s’entremêlent sous tes paupières à l’écoute de ses phrases alanguies par quelques envolées suaves, par quelques œillades appuyées.

Un bouton de sa chemise, défait.
Sa voix gémissante sous tes coup de… Mh.

Esthef, maître en provocations. Fourbe stratège.

Il est doué. Il est habile. Il est tentant. Il pourrait te faire céder et éveiller les loups qui dorment, sages et sourds, au noir de tes tripes.

Or, si tu es friand de chair, si tu es féru de corps - tu n’es ni faible, ni inconscient. À l’heure actuelle, céder à ses appels et à son charme n’est pas verbe qui fera plier ta raison et encore moins ton orgueil.

Tu m’as manqué, il est vrai. Tu m’as marqué, aussi, oui. Deux faits. Deux vérités - enrobées de nuances artificielles.

Jouer : voilà verbe davantage satisfaisant  - voilà verbe que tu peux te permettre d’illustrer…

Une inspection brève d'un balais de cils sur la pièce dans laquelle vous pénétrez. Sobre quoique chaleureuse - déjà plus fidèle à l’image de ton hôte. Tu repères un fauteuil au cuir moelleux et t’y installes dans un soupire d’aise exagéré. Tes cheveux moites sur le dossier, tes jambes croisées, ton sourire aux dents blanches.

Que puis-je te dire à mon sujet ? Les années défilent, s’égrènent les heures, les jours et ni mon front ne se ride, ni mes cheveux ne se grisent. Un constat qui ne te déplaît pas - quoiqu’il te fatigue.

Fatigue - de voir ceux pour qui tu entretiens de l’affection et de l’intérêt, mûrirent, vieillirent, mourir…

Ma renommée d’apothicaire n’est plus à faire. Un soupçon de vanité. Je jouis de finances royales. Tes coffres débordent… J’ai finis par me lasser des bordels et des tavernes à chambrées de velours… Le bleu de tes iris qui se cherche à noyer le bleu des siennes. Depuis quelques temps, je fréquente un homme. Il a ce don singulier de me - suffire ? Je ne saurais me l’expliquer…

Te redresses, coudes sur les genoux - Quoiqu’il en soit… J’aspire à me ranger. Un silence - et ton regard, voilé des mystères que tu couves. Souvent aussi, j’aimerais - je veux. Je veux crever mes yeux. Ah ? Confession inattendue - dont tu parais aussi surpris qu’assombris. Voir la mort des gens est un loisir fâcheux ! Un rictus - chasses l’ombre et le lugubre, et tes traits qui se détendent. Quitte à m’offrir, en tout bien tout honneur n’est-ce pas, un asile pour ce soir… Aurais-tu de quoi nous sustenter ? - revoilà, ton air charmant, revoilà ta voix douce.

Une lourde charge, mh, sans doute… Tu dis, vague - ce n’est pas l’heure et le lieu pour te laisser courroucer par tes démons aux mornes inflexions. Or, ce n’est pas un don que je garde enchaîné au secret de mon crâne. Je couche les visions funèbres qui me plaisent dans un carnet. Le rictus qui revient. C’est que certaines m’émeuvent… D’autres me divertissent… D’autres encore m’excitent… Dents blanches. Sorcière sous les traits du dandy charmant. Jadis, j’ai essayé d’intervenir. Cela ne sert à rien. La Mort parvient toujours, tôt ou tard, à réclamer son dû.

Tu soupires - davantage d’aisance que de morosité.

Un regard avisé sur le contenu de son frigidaire - ce sont les bouteilles qui t’intéressent et tu pointes du doigt l’une d’elles. Un vin blanc ? Un champagne, une liqueur ? Qu’importe, elle a des courbes gracieuses et une étiquette affriolante - elle saura vous faire pétiller. Je vois, effectivement, que tu es tout à ton aise ici. Monsieur vit à l’égal d’un prince de Navarre ! Tu ris, indubitablement heureux quant à l’optique de cette soirée de bons vivants que vous allez passer.

Cela fait des lustres que tu n’as pas jouis d’un dîner en tête à tête avec un vieil ami (amant). Aussi, tu sors de ta poche une petite boîte finement ouvragée, en argent et cuivre, qui renferme tes plaisirs coupables du moment : des cigarillos parfumés. Tenté ? Ils sont de ma fabrication. C’est que, sorcière, tu cultives tes plaisirs en dehors et en dedans - artisan et consommateur, la double étiquette ! Il y’a mûre et lavande, pêche, verveine et thym, café et rhum… Tu en allumes un, parfum mûre et lavande.

Un sourire radieux te déride les lèvres, tu craques l’allumette - s’échappent la fumée aux teintes violines et les doux parfums évoqués plus tôt. Ne tire pas de conclusions si hâtives, mon chéri. Malicieux. Je n’ai pas dis être amoureux… Je ne te faisais part que d’une aspiration. Allons, allons, Aliocha, tu n’es pas créature à se ranger si docilement, quand bien même tu le souhaites.

Un souhait terrifiant en somme - oh oui.

Il est unique, ça je te l’accorde. Mes appétits ne sont pas facilement assouvis - tu le sais. Je ne pourrais pas me contenter d’un simple badaud !

Un temps - tu te lèves. Tes envies te portent au bord de la fenêtre et au dehors, tu contemples la nuit et ses lumières fauves. Et si mariage il y’a… Comment pourrais-je t’y convier ? Enfin, Monsieur le Maire ! Êtes-vous inconscient ? Te retournes, la moue joueuse. Je ne peux pas convier l’homme avec qui je tromperais mon mari. Quelle indignité… Et tu minaudes - tes grands airs de princesse peinée - et tu t’esclaffes, un peu, un soupçon.

C’est franchement plaisant d’enquiquiner Esthef - ça l’est, parce qu’il te le rend bien.

Baba, dis, tu nous imagines mariés ? Non. À choisir, je nous imagine volontiers impératrices du royaume des vivants pour en faire le royaume des morts… Tssk. Si je devais me marier à Charles… Charles ? Ah ! Ahaha. J’ai honte de tes excès adolescents, petit ver, si honte… Chut ! Je disais… Je disais ? Si je devais me marier, je veux que mon mariage soit des plus fastes, des plus bruyants, des plus grandioses ! Je veux un buffet gargantuesque, des canapés de velours et de soie, des couronnes de fleurs poudrées d’or et de diamants, et enfin… Une orgie romaine en clos de soirée ! Oh oui ! Débauché ! Toi non peut-être ?

Dis-moi… Cette raison de te ranger que tu as mentionné, est-ce une plaisanterie ou es-tu sérieux ? Question en suspend, trois secondes - avant que tu ne te réinstalles dans le moelleux du fauteuil. Tu déplies tes jambes, les écartes - ton cigarillo au coin de la bouche, la surprise au coin des yeux. Tu as rencontré quelqu’un, quelqu’une ? Cela serait tout aussi détonnant et stupéfiant de voir Esthef Belgrade au banc des honnêtes hommes rangés qu’il serait incroyable et invraisemblable de t’y voir sagement assis.

Vous trinquez et tu souris de toutes tes dents - première gorgée savourée, la complaisance des arômes suaves et corsés du vin qui t’émoustillent les papilles. Tu es un hôte remarquable, je te l’accorde. S’il n’était pas tant enclin à piquer ton égo, à chatouiller tes plaisirs coupables et tes désirs vicieux - il ne serait pas que remarquable, il serait parfait.

Un appel ? Qui sait.

Cependant, à quoi bon la perfection ?

Ton sourire se meurt pour une moue pincée. Pincement de réflexion, pincement de circonspection.

Ainsi tu es sérieux lorsque tu me dis souhaiter te ranger… Un sérieux qui me surprend, au moins autant qu’il me plaît. Te délasses dans le fauteuil, roule entre tes lèvres le cigarillo - expires une oblique traînée grisâtre, en apprécies les notes fruités.

Il me serait tout autant jouissif de venir exciter tes appétits qu’il te serait jouissif de me charmer de loin, à l’insu de mon mari. Rire - imaginer la scène, imaginer vos jeux douteux, vos entreprises funestes…

Aliocha, metteur en scène d’une comédie dramatique qui jamais n’aura de fin ni de public pour l’encenser.

Tu soupires - songes quelques instants. Charles… Charles ne mérite pas tes cruelles minauderies, tes vilains manèges… Sauras-tu seulement l’épargner ? Sauras-tu seulement cesser d’être tel que tu es présentement, sans pour autant tuer les feux mordants qui t’animent ?

Faute de réponse - tu bois. Ton premier verre terminé, le second en service. Un regard sur la fenêtre - la pluie qui bat ses carreaux, le bleu minuit et les phares de la lune en croissant qui s’y reflètent. Peut-il y’avoir plus beau décors pour une soirée de pécheurs qui s’empêchent de pécher ?

Elle finira par t’aimer, Esthef - cette femme. Mon intuition jamais ne me trompe… Le sais-tu ? Pianote d’une main sur l’accoudoir - la voix cajole et la cajolerie faussée par cette agaçante vérité. Oui - vérité : elle finira par l’aimer. Oui - agaçante : elle finira par le soustraire à ton théâtre et à ta précédemment mentionnée comédie dramatique. Tu obtiens toujours ce que tu veux, si tant est qu’il y’aient d’honorables raisons derrière ton vouloir.

Y’en a t-il, Esthef ? As-tu calmé tes aspirations égoïstes pour de plus raisonnables et louables prétentions ? Mh…

Une réponse qui appartient à l’avenir - demain aura des bibles de réponses à vous offrir à ce stade. Tu ris - sans voix. Projeter l’avenir, le tiens, le sien, celui de ceux qui vous sont liés, celui de ceux qui vous sont proches, c’est comme regarder l’adaptation cinématographique d’un roman : rien n’est jamais tel qu’on se l’imaginait.

Tu écrases ton mégot dans un cendrier à ta portée, te lèves, t’étires - tes humeurs changent, encore, toujours.

Neverland et la poudre… Ah, mon ami, j’aimerais pouvoir t’aider. Haunting et ses sbires te mènent la vie dure… Un constat qui te peine, moins qu’il ne te contrarie. Tu n’es certes pas un ange en terme de production de produits illicites, de consommations dangereuses - mais de là zombifier une population - c’est d’un manque de grâce…

Non sans ton verre de vin et non sans prendre un muffin (salé ?) du plateau posé à côté du réfrigérateur - tu viens quérir la proximité d’Esthef. Adossé à la bibliothèque, l’air un chouia plus grave - tu croques une bouchée.

Dommage que tu ne puisses pas hypnotiser ta ville toute entière pour lui proscrire éternellement l’envie de prendre de la poudre. Tu geins, voix cristalline - yeux couleuvres. Esthef… Tu es trop démocrate, tu es trop diplomate. Tu es trop passif. Tel père, tel fils ? Tu siffles, voix fine - yeux vipères.

Ne me demande pas de me taire, Esthef - j’entends cela comme la prière d’un masochiste -  remuer plus encore les épées que tu t’es seul planté dans les chairs. Sais-tu ? Nous sommes sadiques. Vérité nue. Allons… Ne te fâche pas. Je n’avais pas l’intention de te manquer de respect - ni de manquer de respect à ton père. Je te regarde. Malgré son manque de fermeté et de discernement… Il a été très aimé, très respecté et très reconnu par ses concitoyens pour ses apanages de diplomate… Coulent les couleuvres - et sous chaque qualité, l’antonyme caché. Tu es un héritier digne de son empire.

Rictus.

Ah bien sûr - la colère est facile. Je pourrais te conter combien son habit te va, combien il est délectable de te voir tomber les politesses et la courtoisie. Je sais qui se cache sous les sourires, sous les poignées de mains, je sais qui se cache sous l’ambition sage, sous l’assurance mâle. Je sais que jamais - ô jamais - tu n’enterreras les serpents qui te servent de morale et d’honneur.

Et tandis que tu ramasses le verre et ses brisures - je songe. Sais-tu ? Je songe à t’aider. Non pas que la paix m’importe, non pas que la sobriété de tes sujets m’importe… Question de curiosité ? Où peuvent te mener tes aspirations et plans ? Mh…

Nous offriras-tu plus de raison et de stabilité ou accentueras-tu la folie déjà si allègrement révérée et répandue en ce bas-monde ?

Sourire.

Mes talents, je te les offres volontiers. Je me dois de faire quelques bonnes actions. Question d’humanité ? Je ne saurais fermer les yeux sur la misère et les injustices. Minauder. Menteur. Mentir ? Non, tu interprètes mal mes mots, Baba… Je ne saurais fermer les yeux sur la misère et les injustices car, il est délicieux pour nos appétits de les dévorer et par la bouche, et par la vue. Ne penses-tu pas ? Tricheur.

Sourire.

Goutte carmin sur le sol. Tu t’es coupé ? Perfide.
Et tu dis - Oh Sorcière - et tu nous envisages, et tu nous tentes encore.
Dents serrées. Pouvons-nous ? Silence.

Esthef. Replacer mes cheveux sur le côté gauche. Inspirer longuement. Je ne me souvenais plus partager tant de vertus avec toi…

Sourire - il s’étire.
Iris - elles jaunissent.

Sais-tu ? La nuit, je mange.

Je réajuste les manches de ma blouse de soie, époussette les grains de poussière rognant les plis de mon pantalon, observe sans pudeur aucune les rougeurs habillant tes joues. Sourire.

Mon doux lion d’agneau revêtu… Ma main qui serpente jusqu’à ta nuque. Nos péchés et nos vertus doivent se dire adieu. Hélas. Je ne puis te dévorer - je m’en voudrais de briser le coeur d’une amoureuse - amour, amour, amour… Ah… Doux amour, bel amour…

Que j’aime l’amour, que j’aime aimer, que j’aime, que je mange, manger, manger…

Un soupire entre mes lèvres rosies - humecter les saveurs de nos folies sourdes.
Il me tarde de nous revoir, sous de plus vénérables hospices, bien sûr. Lorsque tu seras rangé, mon ami - et lorsque je serais prompt à me laisser aimer.

Charles, patience…
Ta sorcière a encore bien des passés à clore et bien des présents à tuer.

Mon offre est maintenue. Je t’aiderais, Esthef. Un sourire. Tu as ma parole. Et jamais, Ô grand jamais, je ne manque à celle-ci. Cependant, afin de te conseiller au mieux… Il me faudra savoir sur quels os se fondent ton empire… Minauderie - couleuvre sifflante. Ton père… Allons, qu’oserais-je insinuer ? …fait définitivement pâle figure face à toi.

Je revêt mon manteau.
Un bref coup d’oeil sur la bibliothèque, sur ton bureau, sur les papiers éparses…
Ah… Quelle curieuse et délicieuse nuit.

Hier encore un baiser au coin de tes lèvres. Demain jamais.

Ainsi, je m’en vais.