L’ennui. Parce qu’en t’aventurant par ici où le vice naissait à chaque coin de porte, toi tu cherchais toujours les réponses à tes questions. Mais on t’avoua comme pour couper court à ta quête ;


La frustration. Parce qu’en venant l’idée fixe que ce soir tu n’aurais plus à cogiter sur la hiérarchie bancale de ce bordel ; finalement tu ne feras qu’y penser un peu plus ; avec agacement, mépris – et tu crains, malgré tout le caractère rationnel qui t’anime, qu’à force de courir après ces informations qu’on te refuse presque, tu finisses pas y attacher une importance dérisoire.

Un soupire quitte tes lèvres qu’on ne sait voir ; mais ils entendent, tous ceux qui te narguent de le leurs regards espiègles ; l’agacement du conseiller royal dans ce lieu à la fois de luxe et de dépravés.

Je reviendrai.
Sous le ton d’une menace qui ne s’estompera jamais. Tu te tournes d’un pas ferme et hostile ; t’en allant toi et tes yeux perçants que l’on discerne à travers l’absence d’expression. Et il y a ses pupilles à lui, qui t’accaparent comme une biche que l’on chasse. Ça t’agace sans que tu ne puisses réellement le comprendre – et quoi de plus détestable que de subir un sentiment que l’on avait pas prévu d’inviter ? Tu t’es laissé marché jusqu’à lui, trop fier à moitié caché dans sa chambre de plaisir ; vos deux silhouettes en face à face pourtant il te manque quelques centimètres pour l’égaler.

Excusez-moi, on se connait ?
Non, non dans ta mémoire son visage ne te rappelle rien si ce n’est le désir soudain te le regarder de haut et avec dédain.

J’ai le sentiment qu’un différend nous oppose. Si vous pouviez m’aiguiller ?

Les regards appuyés comme pour souligner une tension que tu ne comprends – ni ne désire. Et pourtant. Qu’il daigne t’attirer un surnom affectif n’eut l’effet que de t’arquer un sourcil ; et puis tu te souviens. Dans un bordel pareil comment s’en sortir sans qu’au moins une âme ne se croit permis du moindre élan de tendresse. Tu lui concèdes ce droit car tu n’en as que faire.

Tu l’avais saisie, cette main tendue, politesse oblige. Oh et soudainement cette envie plus intense encore de le voir à genoux les bras liés ; marqué de tant de coups qu’on ne saurait le reconnaître pour le nommer…
Car l’aversion passe par la violence.
Et malgré ce processus intrinsèque qui t’ordonne de lâcher ; tu serres. Tes ongles contre sa peau qui s’enfoncent comme pour l’avertir ; avec toi les « chéri » tombent en poussières.

Ernest…
Sans lui offrir plus de détail ; il n’en aurait guère besoin. S’il souhaite te traquer, tu le sais déjà : c’est toi qui le retrouveras le premier.

Je me permets donc.
Détachant tes yeux colériques, seul détail pour le gâter. Tu ignores ce rire qui le rend si infecte ; et ce ton semblable à du miel… Tu entras pour accepter ses dires, faufilant tes pupilles sur le moindre détail qui pourrait éclairer deux de tes questions ; la première (la plus importante) :
     - comment s’organise la hiérarchie dans ce commerce lubrique ?
Et la deuxième simplement parce que sa présence éveille en toi une infâme curiosité :
     - qui est-il cet épicurien à l’air si léger pourtant si lourd dans ton mépris ?

Oui, m’aider. Je cherche à comprendre les rouages de cette petite entreprise florissante. Pas sûr que vous puissiez m’éclairer mais l’on sait que le quantitatif parfois vaut bien la qualité. Monsieur Grey…
Cesses d’examiner cette pièce ; tu daignes le dévisager à nouveau.

Nous ne nous sommes donc jamais vus ? J’ai pourtant rarement ressenti autant d’animosité envers un simple inconnu. Et comme je ne me trompe jamais… Vous avez surement la capacité inéluctable de vous rendre détestable en un regard.

Pour ne pas s’abîmer, comme il t’y invite, tu prends place sur le fauteuil qu’il te conseilla après l’avoir examiné d’un rapide coup d’œil.
Mais tu n’apprécies pas cette familiarité osée alors que vos échanges, présentement, se limitaient à une poignée de main et à quelques mots de modalité échangés sur un pas de porte. D’une prétention désopilante mais tu restes droit, impassible – un froncement de sourcil ou un sourire pourrait trahir  l’effet de ton regard glacé.

Le Moulin Rouge suffit bien assez à Crims. Aussi, je ne vois pas comment un conseiller pourrait trouver le temps de penser à la politique du pays et à se préoccuper en même temps de satisfaire les faims sexuelles du peuple. C’est incohérent. Mais heureusement que vous connaissez votre métier sans avoir la prétention d’exercer le mien.
Et malgré cette réflexion censée, il s’était tenté à poser la question? Oh Monsieur Grey à ton sens ne devait pas s’amuser de beaucoup de réflexion quand jacassent dans sa tête ses sales délires et sa prétention sans limite. Qu’il est fâcheux, presque risible,
de devoir discutailler avec quelqu’un qui se contente de provoquer à tout va sans prétendre à la moindre ambition. Tu le scrutes à chaque début de parole pour vite divaguer sur cette pièce qui vous confine, occupé à forger ton opinion sans trop demander de détails. Mais ta vue s’obscurcie soudainement, de par son corps qui se meut près de toi.

Merci ?
Mais tu ne veux pas de ses mains sur toi ; aussi tu époussettes ta propre épaule après qu’il l’eu fait. Ça te grimpe doucement à travers les tripes ; cet agacement néfaste qui refrogne ton visage alors qu’il glissait tel un serpent, un premier contact sur ta personne.

Pourtant et sans vouloir vous vexer, je pense qu’après une nuit votre nom m’échappera. Pas que vous n’êtes pas mémorable, ça j’en laisse le choix à vos clients – mais vous n’avez rien qui semble, mémorable. Grand, ténébreux, d’un visage qui doit suffisamment plaire pour vous avoir rendu si narcissique, tout du moins si vous l’êtes autant que vous le laissez deviner. Un homme dans un bordel ce n’est pas difficile à trouver… Ni à remplacer.
D’une main tendue comme si tu ignorais la menace de tes propos, tu voudrais atteindre le café que l’on te sert, sans un remord à montrer. Il n’y avait en toi Ernest, que sincérité
et, étrangement,
exaspération. Assez pour te rendre trop sec ; alors que tu travaillais constamment sur le poids de tes dires.

Pourrions-nous plus discuter de l’organisation du Moulin, et moins de vous ?

C’est impossible et pourtant tu y travailles en silence, Ernest ; à déchiffrer cette expression indigeste qu’il arbore tout en laissant couler ses mots salaces.

Conseiller. Simple conseiller. C’est présomptueux de dire Grand conseiller.
Les jambes se croisent, le regard s’arrache pour regarder l’heure à sa montre. Ici on a toutes les prétentions du monde si cela satisfait les affamés, mais pour toi Ernest il n’y a que de la justesse, de la droiture, et des titres adéquat pour des métiers adéquat. Il y a une pute, et un conseiller. Mais pas de grands ; et ça pour les deux côtés.

Encore une fois, conseiller. Je n’ai pas le cursus adapté pour faire de la psychologie.
Pour le corriger d’une voix discrète à son second pique. Qu’il est éreintant, ce grand gamin qui tâte l’humour du bout de ses doigts sales… Qu’il est exécrable de devoir gérer avec lui. Ça te coupe l’envie de le discerner, d’apposer tes yeux sérieux sur tout ce déclin qu’il incarne… Jusqu’à ce qu’il daigne enfin, après un rire et son soupire ; délier sa langue pour t’offrir quelques informations.

Et après avoir tout enregistrer dans ta mémoire, soudain le déclic ; tu marmonnes,

Mère Grand à la direction, Lior en adjoint… Lior… Ah, mais, Lior.
Lumière dans tes yeux comme une révélation, tu as un sourire qu’on ne voit pas qui s’agrandit, toutefois il réhausse tes joues et tes yeux se plissent assez pour que l’on devine le contentement qui te prend. Lior ; alors il trainait là ? T’en voilà ravi. En rangeant cette donnée dans un coin de ta tête, tu te surprends à vouloir creuser plus que de nécessaire dans les dires de celui qui ne te revient pas.

Des objectifs à remplir ? Vous avez des exemples ?
Tout en laissant finalement ton café se reposer sur la table la plus proche – tu n’en avais même pas profité d'une seule gorgée. De peur, Ernest ? Comme un instinct qui te dicte qu’il est aussi vil que tes vices. Alors tes bras se croisent, et tu te laisses même un peu glisser contre ton fauteuil pour y trouver du confort.

Ces objectifs ont-ils des valeurs ? Certains valent-ils plus que d’autres ? La dette est basée sur quel calcul ?

Le discours qui s’étale te plait Ernest, plus que de raison et sans l’absence d’un seul jugement. Surement car jamais n’avais-tu songé que cet homme, particulièrement, daigne te répondre sans tergiverser : et tes lèvres traduisent ce contentement satisfait, d’un rictus qui s’élève d’un côté.

Vous êtes loquace, et je saurai payer pour cela.
Après tout un service doit-être rendu ; et ici visiblement, l’argent qui prime. Assis dans ton fauteuil tu admires l’heure à ta montre, heureux de voir que le temps ne s’est pas échappé aussi vite que tu l’aurais prévu – il te reste environs quinze minutes sur ton planning avant de vagabonder à d’autres taches.

Tu devais, aujourd’hui : terminer d’écrire une série de protocoles envisageables pour votre prochaine action à la cour, établir avec le trésorier un nouveau budget pour mieux armer et habiller vos soldats, et enfin, passer en magasin t’acheter de quoi cuisiner pour les cinq prochains jours, ainsi qu’une bonne dose de café.

Ta tête bascule donc en arrière, pour découvrir ce plafond que bien des visages ont eu le plaisir d’admirer en ces lieux. Tu ne retiens pas un soupire amusé, déposant tes mains contre les accoudoirs du fauteuil.

Et combien me coûtera cette entrevue ? Je ne veux pas particulièrement jouer avec les finances de Lior, mais n’abusez pas de vos tarifs. Oh, avant que j’oublie – y’a-t-il un classement ? En fonction de vos performances, je veux dire.

Ça te parait étrange, un peu dénudé de logique – de ne pas vouloir profiter de gagner plus en laissant supposer à la hiérarchie que la chambre à servie pour ce qu’on attendait d’elle. Coup d’œil sur le lit où traîne ton interlocuteur pour lire son visage, la tête penchée sans douleur. Et dans la suite de son discours, tu te trompes peut-être mais tu discernes une pointe d’agacement : qui préciserait « clairement », et « beaucoup », choisirait « refuse » alors qu’avant il parlait de « qui fait quoi » sans choisir un seul verbe de jugement?

Il aurait surement du dire « même si elle n’est pas ouverte à tout », ou « même si elle ne fait pas tout ». Quelque chose d’aussi léger que le reste de ses mots, quelque chose de badin, qui collerait sans soucis à sa nonchalance déconcertante…

Oh…
Te redressant doucement sur cette exclamation soufflée ; toujours tes yeux accusateurs posés sur sa silhouette bonne à frapper.

Alors il y a, qui plus est, des tensions au sein des employés… C’est un peu surprenant pour un homme qui se pavane comme un roi, inoubliable et franchement égocentrique. Serait-ce de la jalousie ?
Tu te lèves, sans une attention pour le café que l’on t’a servi. Abandonnant le confort du fauteuil pour finalement te tenir droit (surement fier), devant cet homme que tu ne connaissais que trop peu mais que tu n’appréciais cependant guère.

C’est très contradictoire vous savez. Les termes « un peu » et « favorite » généralement n’ont rien à faire ensemble. Vous n’imaginez même pas toutes les incohérences que les Hommes peuvent laisser s’échapper… C’est si facile de lire en vous.

Le rire mielleux, écœurant, qui se glisse dans tes oreilles – et tu en souris avec autant de condescendance. Qu’ils sont simplets, les Hommes ; quand on tourne autour de leur ego ; l’effleurant sans jamais vraiment le toucher. Nietzsche aussi pourrait rire de lui.

Eh bien, vous en avez gros sur la conscience.
Le livre ouvert, nommé Alec Grey. Tu pourrais prétendre lui citer chacune de ses pages, mais Ernest tu ne joues pas au plus idiot… Non ; en une entrevue, tout ce que tu peux lui avouer : c’est que le résumé te laisse un arrière-goût de comédie dramatique.

La quatrième de couverture, tout du moins, me fait penser que vous ne vous prenez pas pour n’importe qui…
Un prétentieux qui n’occupe pas le podium des meilleures prostituées de ces lieux, et qui ne semble ni comprendre ni apprécier comment une femme telle que, « Daisy », pouvait y parvenir en étant si … Sensible ? Mais point un mot sur cela. Tu étais mal placé pour critiquer les émotions d’autrui, c’est pourquoi tu ne t’aventuras pas plus dans cette analyse aussi légère que lui.

Les bras se croisent et tu appuies une épaule sur le mur ; tes yeux invisibles pour le regarder, mais toi tu sais avec quel dédain tu le fais.

En tout cas les reliures sont bas de gamme et la qualité de l’imprimé laisse à désirer. Pardon. Quelque chose me dit que vous avez beaucoup à prouver, Monsieur Grey. C’est intéressant – preuve que personne n’est épargné dans la quête du désir… Même ceux qui vendent leurs corps.