Ça ne nous ressemble pas. Ou du moins, ça ne nous ressemble plus. L'époque où on allait écumer les bars, ivre de liberté, ivre de sensation qu'on choisissait de découvrir et non qu'on nous imposait... Tout ça, ça remontait à loin. On avait cru ne jamais y retourner, parce que l'ivresse était passée, parce que même si nous restions gourmandes, on s'était, bien malgré nous, assagie. Aujourd'hui, les bars étaient des lieux où on se rendait accompagnés, on les fréquentait en soldate exemplaire, travaillant à resserrer les liens et la fraternité de l'armée. Mais pas ce soir, ce soir, on avait repris les sales habitudes. Seule, poser, le seul objectif étant de noyer la frustration sous des litres d'alcool, de laisser le saint breuvage nous libérer... Mais nous libérer de quoi ? Putain, pourquoi est-ce qu'on ne pouvait pas juste aller bien ?

Et c'est ta voix qui résonne à nos oreilles, on tourne la tête, chevelure de feu, verre à la main. On t'identifie tout de suite dans le genre bon vivant. Alors qu'on vient enrouler autour de notre doigt nos cheveux, un sourire sur le bout des lèvres.

— Totalement naturel, c'est mon atout séduction numéro 1.

Tu proposes un verre et on se dit, pourquoi pas ? Puisque le badge de capitaine nous pèse beaucoup trop, pourquoi ne pas juste redevenir Romane ? Jeune soldate, libre de boire, libre de rire, libre de hurler, parce qu'on est libre bon sang, parce qu'on est une ville du feu, une fille du vent.

— La même chose que vous ?

On se décale laisse un peu de place. Pour une soirée, on ira enterrer notre impeccable image parce que c'est ça aussi, la liberté.

— Vous êtes de Crims, j'ai pas le souvenir de vous y avoir déjà vu.

Oh, on partage ton avis, le rouge est la couleur du charme et de la passion, on le porte comme avec fierté, avec impertinence. Le rouge, ça vaut mieux que n'importe quelle autre couleur et on n'a pas attendu de faire partie de la cour de Juliette pour en faire la nôtre. On enroule une mèche de cheveux autour de notre doigt, distraite quand on te regarde. Du rhum ? Et bien pourquoi pas ? L'abandon n'en sera que plus rapide, n'est-ce pas ce qu'on recherche ce soir ?

— Je vous suis.

On laisse la commande se faire, hâte de sentir l'alcool sur nos lèvres. Vraiment, on attend presque le lâcher prise comme on a attendu notre libération. Au moins, c'est une liberté qu'on aura toujours, que personne ne pourra nous enlever, celle de s'oublier par le liquide, par les mélanges. Un sourire coquin sur ses lèvres, nulle-part, ailleurs, ouais, on a connu ça nous aussi.

— De là-bas au départ, d'ici aujourd'hui. On fait son trou où on peut, malheureusement mère nature ne nous donne pas toutes les mêmes chances.

On accueille le premier verre de rhum avec un sourire sincère. Trinque avec toi dans un léger rire, on fait tomber l'armure, tant pis si demain on le regrette, pour ce soir on veut juste être Romane et que l'armée entière aille se faire voir.

— Je ne me plains pas, j'ai tout de même pas mal de chance d'être là où j'en suis. Disons que je jongle avec les circonstances et les opportunités.

On n'a pas vu mensonge plus éhonté.

Mais à l'annonce de ton nom, ouvre de grands yeux. Arf, figure de liberté contre petit toutou de Sa Majesté. Qu'est-ce que ça va donner, James ?

— Romane, capitaine de l'armée de Crims, l'oiseau de feu, l'affranchit, la connasse et la pute aussi, tout dépend d'avec qui vous échangez à mon sujet.

On porte le verre à nos lèvres. On n'a pas envie de faire dans la dentelle, ni dans l'extrême politesse. Trop de temps qu'on se censure pour faire bonne figure auprès de gens qui nous rabaissent, avec une pirate on peut bien se montrer un tantinet vulgaire.  

—  Mais vous pouvez vous détendre, je ne suis pas en service et même si je l'étais, ce soir, j'ai décidé de laisser le devoir au placard.

On ne sait pas si c'est volontaire et dans le fond peu importe. On pourrait te passer les menottes pour tout ce que tu viens de dire, tu sais, à Crims, la justice sans clémence et sans des milliards de preuves non plus. Mais on n'a jamais été très friande des punitions distribuées avec zèle, si on doit être laxiste se sera pas sur ça tu sais. Peut-être que si on n'avait pas été aussi longtemps du côté de la victime on aurait eu moins de scrupule, mais vraiment James, on punit pour un crime, pas pour son intention.

— Détendez-vous, je ne sortirai pas mes menottes ce soir, pas pour ce genre de crime du moins.

Rire léger, boit de nouveau une gorgée de rhum qu'on laisse volontairement en bouche un peu plus longtemps. Laisse l'alcool glisser le long de la gorge, réchauffer l'intérieur. On ira boire de cette merveille toute la nuit et tant pour le lendemain. Un nouveau rire quand tu demandes si on vole.

— Ahahaha ! J'aimerai bien, mais non. En revanche, je suis assez connue pour attirer et repousser les choses et les gens comme je l'entends.

Pour illustrer, on s'amuse d'un geste du doigt à faire avancer puis reculer notre verre de rhum. Mais voilà la grande question, celle à laquelle on ne veut pas répondre, celle qu'on fait semblant de ne pas entendre. Le regard voudrait bien dériver ailleurs que sur ton visage, mais c'est que tu es près, James et qu'on n'a pas vraiment d'issue. Alors on soupir, pose nos coudes sur nos cuisses pour venir poser notre tête sur notre poing. Parodie du penseur de Rodin.

— J'ai sauvé la reine, j'ai été une petite fille obéissante depuis.

Mais les yeux sont mornes quand on dit ça. On ne remerciera jamais Juliette de nous avoir libérées, de nous avoir permis de nous élever, pour ça qu'on ne pourra pas la trahir non plus, on ne s'en pense pas capable. Tu vois, y a la notion de reconnaissance, de dette à payer, d'honneur qui intervient. Tourner le dos, ce serait ingrat, pourtant, on ne peut pas dire qu'on apprécie notre vie. Tu transpires la liberté, ça fait ricaner.

— Ouais, j'imagine que je transpire plus la liberté que quand j'étais enchaînée et trimballée de trafiquant à client.

Mais ce n'est pas encore ça. Un sourire quand à quelques centimètres de toi, on demande.

— Et toi, t'as fait quoi pour devenir pirate ?

Le vous est passé à la trappe.

On observe la corde autour de nos poigner, charmeuse de serpents, James, insolente avec tes lèvres rouges sur nos doigts. On se retrouve à être agréablement surprise, sourire aux coins des lèvres. Tu poursuis le jeu, on a l'insolence de se dire qu'on aime ça aussi. Un peu de couleur dans la morosité du quotidien. Ah James, on ignore si tu calcules ou si tu suis les vents chaotiques de la liberté, ces mêmes vents dont on s'est privée en revêtant l'armure, ces mêmes vents qu'on n'a jamais cru possible de sentir. Parce qu'on a la marque des Tremaine sur notre peau, parce qu'on est sorti de l'objet en vendant notre allégeance à une reine. On peine à imaginer d'autres voix possibles. Est-ce que nos yeux ont brûlé d'intensité, ne serait-ce qu'une fois ? Peut-être, peut-être au tout début en effet. Tu aimerais les voir, James ?

— Comment ?

Souffle sur tes propres lèvres quand le moindre de tes mots échouaient le tien sur les nôtres. Frisson quand on se perd dans tes yeux, attends la fameuse réponse, si tu sais donner de la liberté vient donc nous en rendre ivre, James. Même si ce n'est que pour un soir et au prix d'une terrible gueule te boit. D'ailleurs, pourquoi on attend après toi, James ? On se souvient, on a beau eut ployé le genou devant Juliette on avait pris jusqu'à en être écœuré. Chaque corps, chaque envie, chaque objet qu'on voulait on la prit. Sans attendre d'autorisation, sans demander notre reste. On a pris parce qu'on voulait, parce qu'on en avait pour la première fois le droit le plus absolu. On pourrait recommencer, on va recommencer. On se demande si tes lèvres ont le goût du rhum, on s'empresse d'aller le vérifier. Capture la tendresse de ta bouche, c'est toujours mieux avec les femmes on a l'impression. Une sensualité qui fait défaut aux hommes, tout est plus électrique, plus grisant. On bénit le rhum d'éloigner toute once de professionnalisme. Après tout on est capitaine, on fait bien ce qu'on veut.

— Parce qu'être pirate ne me permettrait pas de réquisitionner la suite la plus sélecte de crims sans avoir à débourser la moindre pièce.

Regard insolent, au diable le code. On abusera de notre pouvoir parce qu'après tout, nous aussi, on veut être aussi libre que toi.

— Sauf si tu préfères continuer à parler de liberté sur ces vieux tabourets, je peux comprendre, la philosophie sur un lit aussi douillet qu'une guimauve avec de la nourriture et des boissons à volonté c'est pas au goût de tout le monde.

Même si on s'est déjà levée après avoir vidé d'une traite notre verre. Tends déjà la main.

— Alors ? Tu viens me montrer Crochet ?

C'est toi qui es lente, Romane.
Quelle infamie, fière comme un bœuf alors qu'on se met à courir sur les pavés, deux gamines voilà ce qu'on est James. On glousse dans le noir comme glousse les enfants. Rien de digne de la part d'une capitaine de l'armée, rien de digne de la part d'une figure telle que toi. Mais on les envoie se faire paître, hein, James ?

Renverse la tête pour regarder le ciel d'un noir de plomb aujourd'hui. Les étoiles qui tentent de percer les nuages, il est un peu à l'image de nous ce ciel. On tente de réfléchir posément à la question, le cœur qui bat de l'adrénaline, le corps qui pulse d'envie que les dames de bonnes familles iraient sûrement vomir.

— Hmmm, bonne question. On ne saurait vraiment pas te dire, beaucoup de mots viennent s'entrechoquer dans le fond de notre crâne. Liberté, mais c'est compliqué, James. Argent, mais c'est si passager. Posséder, mais ça ne comble pas le vide pour autant. Et la réponse se jette hors de nos lèvres, comme une évidence. Me remplir. Ce que j'aime le plus, c'est quand je me sens pleine et hors du vide.

La réponse est peut-être trop sérieuse, on aurait pu tout aussi dire qu'on crèverait d'amour pour le rhum car quelle boisson nom de dieu. Mais tu proposes des choses folles alors que nos poignets viennent de nouveau se retrouver obstrués.

— Je dois goûter à ta liberté les mains bloquées ? C'est que t'as des goûts particuliers Crochet.

Rire qui pulse entre nos lèvres, couplée d'un frisson particulier qu'on ne retient pas. On va vraiment avoir l'air bête au milieu de la rue mais, tu sais quoi ? Qu'est-ce qu'on s'en fou. Alors on use de notre don pour t'attirer à nous, plaquer ton corps contre le nôtre, presque innocente quand on murmure.

— J'ai capturé Crochet nananère.

Explose d'un nouveau rire, ne résiste pas aux tambours qui résonnent en nous. Viens glisser nos lèvres le long de ta nuque.

— On peut rester comme ça des heures, mais tu peux aussi me détacher, la fameuse suite dont je t'ai parlé n'est pas loin et en terme de rhum, Crochet... Disons que tu auras de quoi nager dedans aux frais de sa majesté.

On ne te dira pas que même dans notre esprit, on est prisonnière. Captive du fatalisme, captive de nos préjugés, de nos peurs aussi. Captive de tous ces souvenirs qui ont ancré en nous l'idée qu'on ne pouvait pas respirer et exister par nous-même, qu'a le seconde où on ne serait plus l'oiseau de feu de Juliette, on redeviendrait la proie des Tremaine, de tous ces natifs cupides, de ces entités folles, qui nous capturaient, vendraient, abuseraient de nous de nouveau. On ne te dira pas qu'au final, on s'est emprisonnée toute seule comme une grande, dans l'idée qu'il fallait qu'on aille la conquête, qu'on impose qui on était. Qu'on devait devenir rapace, plus grande, plus forte, plus terrible que n'importe qui. Parce que la vie avait été une lutte pour notre survie. On ne te dira pas, James, qu'on ne peut pas être libre, parce qu'on ne vit pas, on survie.

À la place, on arbore un sourire étudié, ravageur. Ton corps près du notre, tendre frisson quand on goûte à ta peau, le sourire qui se fait soudain plus tendre quand tu demandes qu'on t'appelle pas ton nom. Ton corps près du notre, tendre frisson quand on goûte à ta peau, le sourire qui se fait soudain plus tendre quand tu demandes qu'on t'appelle pas ton nom.

— James.

Souffle le prénom au bord de tes lèvres. Quand soudain, tu nous soulèves, on s'exclame, premier réflexe de venir nous pendre à ton cou pour ne pas tomber. Mais la première frayeur passée, on explose de rire. On emplit les rues de Crims de gloussements fous. On redescend sur terre, on n'a pas touché les étoiles assez longtemps à notre goût. Joins notre main à la tienne, tendre folie, on se met à courir, deux adolescentes dans la nuit.

— Par là, on y presque.

Grand sourire, quand on arrive devant un bâtiment bien trop luxueux et éclairés. Vigile en costume à l'entrée, nous regarde de la tête au pied et on sait qu'on a l'air moins droite que d'habitude, avec nos joues rouges, l'alcool qui réchauffe le corps, notre sourire, un peu trop prononcé. C'est que devant le petit personnel, on fait la gueule, tu sais, mais pas ce soir.

— Capitaine Firebird, Romane D. Firebird. J'ai mes entrées.

Quelques secondes où on nous dévisage, puis le vigile s'écarte et nous laisse entrer. On se glisse jusqu'à la réception le carrelage qu'on frôle vaux probablement bien plus que tout l'argent qu'on pourra amasser dans notre vie, James, mais c'est aussi pour ça qu'il est jouissif de le frôler. On demande la plus grande suite, par chance, elle n'est pas prise, ça aurait été dommage de virer des clients. La clé en main qui fait tourner devant ton nez d'un air triomphant. On s'enfonce dans les couloirs, notre pouce caresse ta paume, on a le cœur qui bat d'une euphorie qu'on n'a que trop peu connue. Court presque jusqu'à la porte, à peine l'as-tu franchie qu'on attrape tes hanches, embrasses tes lèvres aussi ivres que toi devant ton verre de rhum. On va être libre, ce soir James.

— T'es belle, James.

Murmure au creux de tes lèvres.

— On a la nuit pour nous, qu'est-ce que tu veux faire ?

Et commencé quoi, James ? Sous ton regard y a mille questions qui nous viennent. Continuer le chemin vers le doux oublie de l'alcool, pour nous pousser sans aucune appréhension être folles, pour ne jamais se préoccuper de demain et de ses conséquences ? Oui, mille fois oui. On ira se saouler pour n'être qu'agonie demain si ce dont tu parles. Mais peut-être parles-tu aussi de continuer à se brûler, à goûter tes lèvres, se perdre dans tes yeux, découvrir ce qui peut bien se cacher derrière ce tissu, à quel point tu peux être belle quand tu laisses les envies prendre les reines. Oui, ça aussi on veut continuer. Curiosité, impossible de dire si elle malsaine ou non, mais on voudrait te découvrir toute entière, James, faire de toi le sujet de la plus belle des explorations.

— Qu'est-ce que tu proposes ?

On voudrait avoir la taquine mais elle n'est presque souffle. On sait que ce genre de suite contient une petite réserve de bouteille, garder au frais. On pourrait ton montrer, mais toi dans ce lit on doit avouer que c'est bien plus tentant que tout ce que tu pourrais proposer. Mais on veut pas non plus brûler les étapes, James. Si tu veux te désaltérer on prendra notre mal en patience encore un peu.

— Tu veux que je te montre ?

On a presque envie que tu dises non, qu'on puisse plonger nos doigts dans tes cheveux, découvrir ta peau, la sentir contre la nôtre, goûter ta bouche encore, goûter au plaisir électrique et si particulier de deux femmes qui se touche et s'explore avec sensualité.

— Viens.

On se redresse doucement, agrippe ta main. Au final, l'alcool arrivera à faire taire l'envie animale. Plus loin dans la suite y a une espèce de pièce placard dans laquelle sont rangées des bouteilles à des prix presque honteux tant ils sont grand. Y a de tout, on nous avait expliqués que le principe était le même qu'une cave mais à plus petite échelle. On sort au hasard une bouteille, puis deux.

— Choisis ce qu'il te plaît, vu que tout est gratuit, fait des folies.

On passe à côté de toi, démarche féline.

— Je te laisse faire ton choix, je vais me mettre à l'aise.

Comme un appel du pied, alors qu'on revient vers le lit balance nos bottes sur le tapis, passe la veste, retire le pantalon de chasse pour ne garder que notre chemise et nos sous-vêtements. Soupir d'aise, on n'a plus l'obligation de l'uniforme vu notre grade, mais si on pouvait se balader dans des tenues détentes en dehors de notre chambre on le ferait sans aucune hésitation. Bats des pieds sur le lit, alors qu'on explore les tiroirs des tables de nuit, y a toujours des petites surprises dans ce genre d'endroit.

— Tu trouves, ma belle ?