Arpentant les couloirs sans que ses yeux ne se posent sur qui que ce soit
Perceval cette fois n'erre et avance
pour une fois sait où il veut aller
ne se perd pas en bavardage comme il aurait pu le faire autrefois
décline les quelques invitations qu'on pourrait lui offrir
(et cette fois ce n'était pas par désir de solitude
ou quelconque motivation qu'il ne comprenait pas
depuis ce jour-là)

Non, cette fois il avait quelqu'un à voir
Bien qu'harcelé sans cesse par ses terreurs par ses cauchemars, il avait bien remarque, Romane, que ces temps-ci tu semblais étrange
d'abord avait mit tout sur le compte de son imagination
(trop active trop horrifique)
mais malgré tout quelque part s'inquiète pour toi
alors une fois ses affaires terminés il s'était décidé à venir te voir directement dans ta chambre
(pour s'assurer que tu allais bien)

Une fois devant la porte il la remarque légèrement entrouverte
Curiosité déplacé qu'il n'assume pas vraiment lorsqu'il jette un œil
et te voit affairée à quelque chose
doucement et sans bruit ouvre un peu plus la porte, poussé par cette même curiosité
et à ta table voit bien des choses ─ des plantes des choses en verre il ne sait trop quoi encore
mais ce n'est guère du matériel dont toi ou lui aviez normalement besoin

Romane ?

Craint le pire, Perceval
que comptes-tu faire avec tout ce matériel, Romane ?
Pas de bêtises, n'est-ce pas ?

Qu'est-ce que tu fais ?

demandé presque innocemment
et pourtant pointe l'inquiétude sous la curiosité
que prépares-tu ?

Tu semblais bien trop absorbée dans ta tâche lorsqu'il rentre
lui reprochant de ne pas avoir frappé avant d'entrer
(mais il ne l'avait jamais fait, alors pourquoi il le devrait maintenant ?)
Observe un temps Perceval cet étrange flacon au liquide bleuté
puis son regard se porte à nouveau sur la table

Mais ta réponse ne le satisfait pas
et ton attitude aussi
sur la défensive
a l'impression un court temps d'être face à un enfant qu'il aurait pris en flagrant délit d'une bêtise

Expérimenter quoi ?

Perplexe, Perceval
que contient donc cette fiole pour que tu y tiennes autant
qu'est-ce que tu t'apprêtais à faire ?
étrangement il avait un mauvais pressentiment
quoique tu veuilles faire il devait t'en dissuader
(car il se doute bien que tu ne t'intéressais pas à de tels domaine sans raison valable)

Je voulais... juste voir comment tu allais, tu sembles distante, ces temps-ci

Bien ironique de sa part
quand lui-même s'isole aussi
Ton agressivité latente le surprend tout de même
qu'avait-il donc surpris entre ces murs qu'il n'aurait pas du voir ?
ou peut-être était-il tout simplement arrivé au mauvais moment
comme cela peut arriver
pas vrai ?

Mais du coup... c'est quoi ?

demande-t-il en désignant la fiole que tu tenais entre tes mains
pas quelque chose de dangereux, au moins ?

Tu restes vagues, Romane
tu parles de simples potions
de simples mixtures
de quelques remèdes contre quelques superficielles blessures
tu dis que ça te détends
et Perceval n'en crois pas un mot, parce qu'il te connaît
il sait que tu fais rarement les choses par hasard, et encore moins par pur désintérêt

Se tend, Perceval, quand implicitement tu lui renvoies la balle
Il aimerait avoir quelque chose à dire à répondre
pouvoir t'expliquer ce qu'il se passait
mais tu ne comprendrais pas
(comment le pourrais-tu si lui-même ne le comprenais
si lui-même niait ce qu'il lui arrivait)
peut-être même jugerais-tu
Alors il se crispe, Perceval
laisse l'énervement germer doucement
essayant de ne faire comme si de rien n'était
(mais contrôler ses émotions était bien difficile pour lui ces temps-ci)

Je... Je ne me sens juste pas très bien, ça arrive, j'irais mieux dans quelques jours tente-t-il de te rassurer

Et pourtant cachée derrière les notes rassurantes un pointe d'agacement
fronce les sourcils, Perceval, lorsque tu assures encore qu'il n'y avait rien
une petite expérimentation, dis-tu
rien de bien concret
alors que faisais cette potion dans tes mains ?
à quoi servait-elle ?
Il ne peut croire, Perceval, que tu fasses les choses simplement au hasard
qu'est-ce que tu cachais ?

Je vois

Se crispe encore à tes mots Perceval
alors que les germes de l'énervement grandissent en agacement
Il le sens encore, ce reproche que tu lui fait
même s'il ne comprends pas encore à quoi il est dû exactement
(qu'importe)

Comment ça ?

Cette fois ne masque pas son agacement
(ni même ne pense à le faire)
où veux-tu en venir, Romane ?
qu'est-ce que tu comptes faire ?
Il a du mal à cerner tes intentions
dis, Romane, tu ne te mettras pas en danger, pas vrai ?

Qu'as-tu donc Romane
à ainsi te faire accusatrice
à lui reprocher tant de chose qu'il ne peut comprendre
(qu'il ne veut comprendre)
mâchoire qui se crispe alors qu'il essaie de se contenir
quand tu fais mention de ce jour-là
de quand tu étais resté près de lui alors poupée cassée
N'aime, Perceval, ce mépris qui pointe dans ta voix
(qu'as-tu donc, Romane)

Je... effaré et à la fois en colère
par ces interprétations sournoises que tu lui sort
comment, Romane, pour l'amour du Ciel
avais-tu pu comprendre telle chose
Je n'ai jamais voulu dire ça !
Qui t'as mis ça en tête, Romane
qu'est-ce qui te fait croire des choses pareilles ?!

N'en revient pas, Perceval
comment avais-tu pu à ce point mal interpréter ?
pourquoi ne voulais-tu pas comprendre qu'il ne voulait pas que tu sois blessée par sa faute ?
(sais-tu au moins que jamais il ne s'en remettra si cela devait arriver
surtout de sa part)
Il ne sait Perceval ce qui te prends
à peine sent-il sa colère éclore enfin
surtout quand tes mots biens plus tranchants que n'importe quelle lame
viennent enflammer encore ses émotions

T'es conne ou quoi ?

sorti sans qu'il ne puisse l'en empêcher
sifflé entre les dents
ah qu'importe
il en avait l'habitude pourtant
de ne plus rien contrôler
de ne plus vraiment savoir ce qu'il ressentait
(de briser une à une ses relations
jusqu'à ce que finalement il ne reste plus que lui)

Si je suis là, c'est bien parce que j'en ai quelque chose à faire,
non ?
Je m'inquiétais, parce que tu avais l'air bizarre
je n'ai plus le droit ?
Ça te vexe maintenant, que je m'inquiète ?
Ce n'est pas moi qui fait des caprices, là

Quelle mouche t'a ainsi piquée, Romane
pour que tu t'éloignes et nous injure ?

Il refuse en effet, Perceval
qu'on s'inquiète pour lui
il s'est persuadé, Perceval
tant bien que mal
qu'il allait bien
fragile et bancal édifice qu'il avait réussi à construire
à reconstituer, pour le monde, une âme brillante et forte
(cachant secrètement les mille trous la constituant)
Et tes paroles viennent mettre à mal tout ce travail
tout ce déni bien plus confortable dans lequel il s'était mis
(mais jamais n'aurait-il imaginé à quel point il était fragile
cet équilibre malsain qu'il s'était imposé)

Ne dit rien, Perceval, quand tu appuies sur son torse
il voit bien les émotions dans tes yeux qui se mélangent
laissant l'énervement prendre de l'ampleur encore et encore
pourquoi, Romane, t'évertuais-tu à ne pas comprendre
pourquoi, Romane, t'inquiètes-tu pour moi
te reproche-t-il muettement sans avoir le temps de le formuler

Encaisse tes coups
sent la colère encore monter
(et sûrement aussi la culpabilité
mais envers quoi ?)
Non, il ne comprend pas, Perceval
que tu t'obstines à te mettre en danger pour lui
que tu veuilles te mêler de torts qui t'étaient étrangers
que tu ne comprennes pas à quel point c'était dangereux
trop concentré sur lui-même pour vraiment comprendre ta détresse
pour faire preuve d'un peu d'empathie
Ça l'enrage, Perceval, que tu t'entêtes ainsi
tu sais ?

Face à ton pouvoir ne peut que reculer
et c'est sûrement la goutte de trop, lui qui encaisse sans rien dire depuis le début
(voudrait dire qu'il encaisse
en vérité tout s'effondre et les plaies se ravivent
(ont-elles au moins cicatrisé))
si tu dois me détester pour ça alors soit
Cœur qui se serre et rage qui explose
non, Romane, il ne veut pas te détester
(jamais il ne le pourrait)
violemment te prend par les épaules

ROMANE.
Tu sais pas de quoi il est capable
Je refuse qu'il touche à un seul de tes cheveux
Alors pour l'amour de Dieu
Ne va pas le confronter ni ne fait rien qui te mette en danger
Tu ne feras qu'aggraver la situation, tu devrais bien le savoir non ?
Alors pourquoi tu persistes ?

Il n'entend pas tes plaintes, Perceval
aveugle à toute détresse
(même à la sienne)
sourd aux supplications
(les étouffe toutes jusqu'à ne plus les entendre)

Tu crois que j'ai envie de te perdre, moi aussi ?
Parce que madame a décidé de courir droit vers la mort en tentant je ne sais quoi
parce qu'elle n'en a voulu faire qu'à sa tête
sauf que j'aurais pas la force de te voir dans un état lamentable
parce que ça nous rappellera trop le nôtre
parce qu'on revivra encore tout en boucle comme au premier jour
et qu'on n'aura que nos larmes pour pleurer
et que seule l'anxiété viendra nous consoler
Alors reste à l'écart de lui et sort-toi tes conneries de la tête
avant qu'un de nous deux regrette

Avant de finir complètement seul
avant de ne plus avoir personne sur qui compter
Car c'est tout s'écroule et nous avec
et que ne restera de nous que des âmes brisées

Pris dans le torrent de ses propres émotions, Perceval
virulent torrent que rien ne semble pouvoir arrêter
jusqu'à ce que brusquement deux mains se plaquent sur son visage
et résonnent ces mots

parce que je t'aime

S'immobilise, Perceval
alors que les mots tombent
brusquement tout s'arrête
comme suspendu

parce que je t'aime

Se tait, Perceval
voit enfin dans tes yeux la peur
et tant d'autres choses qu'il ne parvient à définir
Trop stupéfait pour dire quoi que ce soit
pour s'opposer pour résister face à toi
alors qu'il sent son cœur encore se serrer
ses émotions se mélanger

Romane, je...

Il n'a pas la force de continuer
alors qu'il sent toutes les plaies durement cachées s'ouvrir
alors que tout ce qu'il avait tenter de se nier revient en force
que cette fois il ne s'était pas battu
n'avait pas défié l'autorité de plus belle
Non, il avait abandonné alors que son esprit l'emmène chaque jour un peu plus profondément en enfer
que chaque jour n'est que lente agonie

Il ne sait, Perceval, ce qui l'ébranle le plus
entre ses émotions refoulées
entre toi, fière comme une reine, qui le supplie de rester avec toi
(alors qu'il ne sait plus où il est depuis des mois
si ce n'est qu'il coule inexorablement vers les abysses du désespoir)
toi qu'il n'a jamais vu aussi fragile
entre ces larmes qui menacent de couler
(s'il te plaît ne pleure pas)
et cet aveu de ta part, sorti si spontanément
(cette fois ce n'est pas la peur qui fait battre son cœur)

Pose sa main sur ton poignet, délicatement
comme si elle se déposait sur du porcelaine d'une grande fragilité
comme s'il avait voulu retirer ta main
mais s'en était empêcher pour une quelconque raison au dernier moment
Et il se rend compte, Perceval
du mal qu'il fait sans le vouloir
en voulant les rassurer ses proches les protéger
(pense-t-il)
il n'avait fait que les faire souffrir
(comme s'il ne peut supporter qu'on soit heureux
et peut-être au fond est-ce devenu le cas
peut-être ne parvient-il plus à comprendre que le bonheur existait encore)
Il sent à ses yeux les larmes se bousculer
alors que ton pouce vient doucement caresser sa jour
que tout ce qu'il avait construit
toute cette façade derrière laquelle il s'était réfugiée s'effrite et s'écroule
pour ne laisser à la vue de tous une âme désespérée et tourmentée en mille morceaux
(cette vue lamentable qu'il avait jusque là refusé de voir
et qui s'offrait à lui en tableau macabre)

Il ne remarque pas, Perceval
l'étrange proximité de vos visages
et sûrement n'en a-t-il cure
assommé par ces soudains afflux de sentiments confus
(de ce qui se révèle soudain comme l'évidence même
cachée au milieu de la peur de la colère de la culpabilité de bien des choses)
Mais lui, Romane, n'avouera jamais à haute voix ce qu'il ressent
et par lâcheté
à moins que ce ne soit du courage, il ne sait pas
ou sur une impulsion dont lui seul avait le secret
(sûrement un peu de tout)
c'est par ses lèvres qu'il vient tout avouer en les posant sur les tiennes
simple geste qui balaie bien des choses un court instant
et, brièvement, lui fait connaître la sérénité

Romane... pardon... je...

avant de s'effondrer dans tes bras
tête dans le creux du cou
ne parvenant plus à contenir les larmes qui maintenant roulent sur ses joues
déboussolé, Perceval
ne sachant pas même ce qui lui arrivait
et encore moins ce qu'il ressentait
(si ce n'est une affection qui relevait de bien au-delà d'une simple amitié
la seule chose dont il était sûr au milieu de cet amas de sentiments confus)

Moi aussi je t'aime

Pour la première fois depuis bien des lustres
il sent, Perceval, ce contact qui n'a rien d'hostile
cette chaleur qu'il avait oublié
et peut-être est-ce la seule fois
où ses troubles enfin disparaissent
pour laisser place à une quiétude qu'il avait oubliée
Peut-être enfin lui rappelles-tu
que tous les contacts n'avaient pas tous de mauvaises intentions
et que certains pouvaient même apaiser les âmes tourmentées

S'agrippe à toi comme s'il craignait que tu ne disparaissent
peut-être serre-t-il un peu trop fort
mais dans sa douleur il ne s'en rend pas compte
Sa tête toujours dans ton cou
dans lequel il verse ces larmes qu'il a si longtemps contenues
ces larmes qui d'habitude il verse seul
à l'abri des regards

Les yeux toujours humide quand son front se pose sur le tiens
il ose, Perceval, poser son regard sur le toi
(est-ce bien la première fois
que je vois autant de tendresse sur un visage
ou est-ce mon esprit
qui se refusait à la voir)

On va s'en sortir
Tu n'es pas seul

De simples phrases pourtant
qu'il s'était toujours refusées à entendre
à s'avouer
plongé dans un désespoir dans lequel il ne voyait plus la fin
refusant presque les mains tendues pour l'aider
(persuadées qu'elles allaient le broyer
comme l'ont été ses propres mains ce jour-là)
et brille dans les yeux une mince lueur d'espoir
une part de lui veut s'accrocher à tes mots
mais surtout à ta promesse
car ne viens-tu pas de lui promettre que tu serais toujours là ?

Ne résiste pas, Perceval
lorsqu'à nouveau les lèvres se rencontrent
qu'il t'embrasse encore une fois
peut-être pas avec autant de ferveur et de passion qu'il ne le voudrait
l'esprit encore embrumé par ces émotions qui sont enfin sorties
le contact se rompt
et soudain Perceval détourne le regard, rougissant
honteux, un peu, de ce qu'il venait de se passer

Désolé, pour... enfin...

Pour avoir pleuré dans tes bras
pour m'être montré aussi faible
pour, aussi, avoir été aussi distant
Il ne sait pas vraiment quoi dire, Perceval
alors il laisse seulement le silence répondre à sa place
(car le silence a toujours réponse à tout)

M... Merci

parvient-il finalement à souffler
à demi-voix
et sûrement était-ce le remerciement le plus sincère qu'il n'ai jamais adressé à quelqu'un

Tu ne lui en veux pas, tu dis
ça le rassure un peu, d'une certaine façon
que tu ne lui en veuille pas qu'il se montre aussi faible
mais cette instant de quiétude ne dure pas
tes doigts viennent prendre ses mains
sûrement en un geste innocent
et soudain il se crispe
alors qu'une terreur indicible naît en lui
l'impression d'un danger imminent
(un peu comme cette fois-là)

Et sûrement aurait-il perdu pied avec la réalité, Perceval
s'il n'avait pas entendu, par miracle sûrement
ces bruits caractéristiques de bouteilles qu'on dé-bouchonne
(et surtout ta voix)
Plusieurs fois cligne des yeux
comme pour s'assurer du lieu où il était
(non il n'était pas là-bas)
passant la main dans ses cheveux, encore un peu confus
poussant un long soupir alors que son cœur se calme

S'asseyant à tes côtés, presque timidement
accueillant avec presque soulagement cette bouteille que tu lui tend
dans laquelle il n'hésite pas à se servir
Écoutant alors ton plan alors qu'il te retend la bouteille
moue désapprobatrice au visage
il aurait pu, tu sais, t'engueuler de mille manières
mais il n'en a plus la force, aujourd'hui
Tu es fâché ?
Sûrement
lui-même ne sait pas trop
mais il voit surtout les risques que tu prends
et il ne sait s'il doit t'en vouloir ou être ému

Tu aurais pris de trop gros risques
si rien n'avait marché comme tu avais prévu
tu aurais fait quoi ?

Et ça le rend malade, Perceval
l'idée qu'on puisse se préoccuper de lui
au point de courir droit vers sa propre mort
ça le rend malade que tu aies prévu de prendre autant de risque
juste pour le sauver lui
juste pour sauver une âme désespérée comme il en existe des millier d'autres
alors pourquoi moi ?
Mais il n'a ni la force ni l'envie
de formuler quelconque reproche
alors il prend simplement la bouteille que tu lui tend
et avale à nouveau l'alcool contenu
(ah, que ça fait un bien fou)

Je... j'essaierai

Ravale ses excuses, Perceval
mais il ne sait pas vraiment si tu pourrais comprendre
(parce que lui-même ne comprend pas)
Parce que nous-même on ne sait plus vraiment
on a arrêté depuis bien longtemps de se projeter
et depuis peu on s'était interdit de s'imaginer autre part qu'ici
(parce qu'où pourrait-on bien aller, après tout ?)
Pose son regard interrogateur sur toi alors que tu laisses ta phrase en suspens
désireux de savoir ce que tu voulais dire
sans toutefois oser poser la question