c’est un air contrit qui assombrit ses traits.
wonderland arrachait tout, lavait les souvenirs de tout ce qu’ils étaient à l’origine.
du moins, c’est ce qu’il croyait — il n’avait jamais eu de réminiscences aussi vives, aussi réelles.
il n’aurait pas dû se rappeler de quoi que ce soit, personne ne lui avait dit cela pouvait arriver et ça lui laisse un goût amer en bouche, et l’envie désespérée de poursuivre l’impossible.
mais il ne veut pas lui donner de faux espoirs.
ariel s’étouffe déjà suffisamment avec les siens.

ouvre la bouche, pour répondre à sa question, mais la referme bien vite.
nocturne.
chopin.
cette fois-ci, rien ne remonte, si ce n’est l’amertume.
son regard tombe sur sa main, lui fait instinctivement resserrer puis desserrer celle-ci, infiniment trop conscient de la cicatrice qui en marque le dos.
qu’est-ce qu’il s’est passé ?
l’éclat dans ses yeux se fait plus froid, lèvres pincées alors que son attention s’oriente de nouveau sur le piano.
pose ses doigts sur les touches.
un
deux
trois
quatre

— j’ai posé une question indiscrète.

ricane, ariel, sans joie.

— et j’en ai payé le prix.

note discordante.
incline la tête de côté, en levant le bras — rouge tâche le blanc et le noir, alors que l’écho s’estompe.

— il y a des endroits à éviter. des gens à éviter.

halloween city, le casino, le croquemitaine.
la liste est longue, trop longue.
même en étant mort, il n’est pas à l’abri des caprices des gens plus puissants que lui.
il soupire, tension qui s’érode, et le laisse avec les épaules tombantes.

— j’avais l’habitude de jouer, avant de venir ici. mais je n’ai plus osé, après le premier jour. main qui refusait de coopérer.

illustre ses propos d’un vague mouvement du poignet.
les muscles ne sont plus endoloris, les tendons ne sont plus abîmés, ce n’est que la peur qui l’empêche de s’y remettre, qui le fait hésiter.
mais les choses changent, doivent changer, et après une seconde de flottement, il prend finalement place sur le banc.
l’observe du coin de l’oeil, ariel, l’ébauche d’un sourire éclairant son visage.

— tu voulais savoir ce qu’on joue ici, n’est-ce pas ? je peux t’apprendre, si tu veux. en échange, rappelle moi ce que j’ai oublié.

il l’avait écouté silencieusement, ariel.
s’accroche désespérément à ses mots — regard qui tombe sur sa main qui touche délicatement la sienne, et la cicatrice plus claire qui s’étire sur celle-ci.
inspire pour chasser l’appréhension, sourire toujours mal assuré aux lèvres.
ce n’est pas la perspective de s’embarrasser en étant particulièrement rouillé qui l’effraie, qui le fait hésiter quelques secondes, mais la simple idée de ne plus pouvoir jouer.
sa passion ne réside pas dans le chant, il n’est qu’une extension, mais plutôt dans le piano.
seul vestige toujours entretenu de sa vie d’avant.

— fait attention, mes espoirs sont grands.

propos bien sérieux lancés avec légèreté.

— je doute t’époustoufler aujourd’hui, autant commencer par quelque chose de simple.

il se promet de le faire un jour, quand la terreur ne serait pas aussi présente.
pose ses doigts sur les touches, ariel, se concentre sur la mélodie qui s’élève et résonne dans le grand salon.
l’appréhension, doucement, disparaît, alors qu’il se perd dans la musique.
retrouve une vieille amie.
familiarité et aisance qui reprennent le dessus — il ne se soucie plus des notes sur lesquelles il trébuche.

lorsque sasha se joint à lui, c’est une étincelle qui avait disparue bien longtemps auparavant qui brille au fond de ses iris trop rouges.
parce que partager sa passion à quelqu’un qui éprouve la même chose, amour identique pour l’instrument, avait quelque chose d’exaltant.
on en vient à oublier le temps qui passe, à oublier ses muscles qui protestent un peu plus à chacune des pièces explorées.
fragments de souvenirs qui apparaissent et disparaissent tout aussi rapidement, mais ça lui importe peu, à cet instant précis.
et pour une fois, ariel préfère le présent.