Elle chevauche à travers les terres arides du Royaume de Cœur à la folie brûlante, fière et droite sur sa monture, écartant d'un regard impérieux quiconque aurait l'imprudence de se dresser sur sa route. Les ordres royaux ne souffrent aucun obstacle, et ceux-ci requièrent sa venue la plus immédiate au domaine de la Duchesse. En songeant à la bâtisse emplie de réfugiés éhontément dressée sur le territoire de la Reine Rouge, elle pince ses lèvres sombres. L'existence de cette réincarnation et de ses projets sont une insulte à la couronne, une erreur de jugement qu'elle rêverait d'écraser sous son talon au nom de sa souveraine, si elle ne jouissait pas de la même immortalité que la sienne.

Parvenue aux bordures du domaine, elle quitte sa monture près d'un boisé et laisse ses pupilles incandescentes se promener un instant sur les contours du manoir avant de pénétrer le gigantesque jardin jouxtant les vignes. L'allure est lente, mesurée, et chaque pas résonne sur le sol tandis qu'elle progresse avec une mine de dédain palpable sur les traits. La proximité de tous ces rebuts de l'humanité qui pensent échapper au destin que leur réserve la Reine de Cœur lui est intolérable.

Au détour d'un arbre, une vive chevelure carmine accroche son regard courroucé, et c'est bien malgré elle qu'elle devine déjà le visage qu'elle apercevra, quelques pas du loin.

Ariel, détestable Ariel dont la simple présence est un affront qui a toujours su faire bouillonner en elle la plus terrible des jalousies. Le mépris retrousse sa lippe supérieure sur ses dents en une moue de pur déplaisir, et elle fait résonner froidement sa voix d'horreur, si terrible en comparaison de la tienne.



Sur une petite exhalaison dédaigneuse, elle te considère avec le meurtre au fond des yeux, encore plus folle de colère à ton égard que tu ignores sans doute tout de l'envie maladive qu'elle te porte.



Et elle croise les bras, une ride rageuse au front.

La remarque sarcastique, bien que purement factuelle, lui arrache une petite exclamation méprisante. Toi qui à ses yeux possèdes tout ce qu'elle n'a pas et n'aura jamais, aux vocalises aussi sublimes que les siennes sont atroces, pardonne qu'elle n'ait aucune sollicitude à t'accorder et qu'elle considère son déplaisir bien supérieur au tien, dans une certitude sans doute un peu puérile mais parfaitement solide.

Elle hausse alors un sourcil devant l'explication évasive, devinant sans désirer en savoir plus pour autant qu'il y a sous ce changement d'égide bien davantage que tu ne le dis, et se contente de commenter d'un ton aigre :



Sur mon territoire. Jusqu'alors elle évitait soigneusement le casino pour ne plus avoir à t'y apercevoir – à t'y entendre, pour être plus juste – et voilà qu'elle devrait désormais se méfier du moindre déplacement sur ses propres terres ? Cette perspective la rend furieuse, et elle te fusille du regard lorsque tu hasardes la raison de sa venue.



Une douce image que voilà. Le sourire mauvais qui fleurit sur ses lèvres sombres s'accentue lorsqu'elle note la cicatrice encore fraîche qui s'étend sur ta main, et elle la désigne d'un doigt à l'ongle acéré.



Et elle ricane doucement, petit bruit de gorge discret. S'il existe bien une chose plaisante chez les entités, c'est cette intégrité faillible et cette vie fragile qui diffèrent tant des immortels comme elle.

La réplique faussement désinvolte que tu lui opposes, pleine d'un sarcasme assuré, manquerait presque de la désarçonner. Voilà une énergie de répondre qu'elle ne t'a pas toujours connue ; serait-ce de la protection de la Duchesse que tu tires une telle illusion d'impunité ? Clignement d'yeux circonspect, avant qu'un sourire ne vienne étirer ses lèvres. Amusant. Jusqu'où iras-tu ? La pensée lui tire un gloussement ravi, qu'elle fait mine de dissimuler derrière une main aux ongles acérés.



Sous ses longs doigts fins, le sourire prend des accents sauvages, cruels.



Quel beau jour ce sera, alors ! Plus jamais elle n'aurait à souffrir de cette voix qui lui rappelait tant l'horreur de la sienne. Malheureusement la décision ne lui revient pas, mais s'il est une chose à la portée de l'oiseau de malheur, c'est de chuchoter à l'oreille de sa Reine pour le plaisir d'attiser ses pulsions destructrices.

À l'évocation de la cité de la nuit éternelle, elle opine d'un vague mouvement des épaules. Ceux qui y résident sont en effet d'une particulière compagnie, ce serait mensonge que de te contredire sur ce point – mais c'est bien là ce qui l'amuse follement. Elle voit bien la raideur qui te prend, décèle la pudeur dans tes mots, mais Jubilee est cruelle, et ne compte pas te laisser t'en sortir ainsi. Plus que vouloir, elle exige.



Doigt en l'air, elle fait mine de réfléchir, proprement ravie par son petit jeu dégradant.



À l'évocation du croquemitaine, un ravissement féroce illumine à nouveau son regard.

Le sourire amusé qui étire ses lèvres sombres ne fait que s'accentuer lorsqu'elle te voit te raidir d'inconfort sous ses paroles. La satisfaction point dans son cœur cruel – comme elle goûte qu'on se torde ainsi devant elle, qu'on vacille à cette terreur qu'elle inspire : et quel plaisir plus grand encore de te réduire toi à cet état, qui ne soupçonne rien de l'envie rageuse que lui inspire ton existence. Ta tentative pour te dérober à son amusement lui tire un petit gloussement.

elle réplique, la voix presque chantante.

Crois bien qu'elle le voit, en dépit de ton silence et de tes efforts pour le dissimuler, cet éclat d'effroi qui passe dans ton regard pourtant agacé lorsqu'elle mentionne le nom du croquemitaine. Sentant la victoire du bout des doigts, sentant avoir visé juste, une joie mauvaise illumine son visage, et elle ignore sciemment tes mots, tes envies de se soustraire à son manège, ne réagissant qu'à la mention de la Duchesse.



Car pour l'heure, c'est toi qui l'intéresse, c'est toi qu'elle brûle de tourmenter. Elle n'a rien perdu de la frayeur qui t'a saisi, un instant plus tôt, et ne compte pas laisser passer une si belle occasion. Avec une satisfaction cruelle, elle revient à la charge, soufflant avec un brin d'émerveillement :



C'est plus fort qu'elle, elle éclate de rire. Les notes dissonantes se répandant aux quatre vents alors qu'elle goûte sa victoire.

Elle l'a dit : ce que tu souhaites ne l'intéresse pas. L'oiseau de malheur est joueur, et se réserve le dernier mot en toutes circonstances ; refuse son jeu, elle le déploiera tout de même, et la victoire survient quand l'autre plie. Crois bien qu'elle ne la manque pas, cette abdication silencieuse qui s'étend sur l'herbe environnante comme une tache de sang, cette marque de colère au-delà des mots qui trahit sa réussite. Elle a frappé juste, rien ne peut le cacher, et elle s'en félicite.

Un nouveau rire s'échappe de sa gorge alors que tu t'éloignes sans mot dire, la défaite sur les épaules. Elle suit ton mouvement d'un œil pétillant, le plaisir mauvais, et se met à roucouler :



Elle contemple ton dos avec un sourire éclatant, la pointe de la langue entre les dents, et avise le bâtiment principal du domaine, bien en vue.



Et elle te laisse quitter les lieux, proprement ravie par son succès, avant de tirer des plis de ses vêtements sombres l'invitation cachetée qui l'a menée ici. Le nom de la Duchesse brille à l'encre écarlate sur l'enveloppe, et elle se met en marche vers la demeure, bien peu hâtive de te retrouver – mais cette fois, ce sera sur son territoire.