La surprise est grande, et l'honneur encore plus. Blanche l'attend, semble-t-il, au sein du manoir hanté : cette grande bâtisse enveloppée de mystères qui l'a tant intriguée, qu'elle a tant observée de loin, avec la peine fascinée de se savoir interdite d'accès. On l'y invite, désormais, et elle se demande avec les entrailles nouées d'appréhension si elle en est bien digne. Les rencontres et échanges d'informations ont habituellement lieu au Nevermore, où elle se tenait justement lorsque le messager auquel elle emboîte maintenant le pas est venu à sa rencontre.

Les yeux écarquillés s'efforcent de tout absorber sur leur passage, les ronces, le marbre ciselé, les visages aperçus de loin, tandis qu'elle suit le guide silencieux qui l'emmène à travers escaliers et corridors vers le bureau de Blanche. Celui-ci ouvre la porte et la fait entrer avant de se retirer, ombre serviable.

Elle se raidit, les doigts entremêlés sur son précieux carnet, en prenant conscience de la présence inconnue qu'elle ne s'attendait pas à trouver dans la pièce. Glisse un regard vers la madone, l'apparence changée depuis votre dernière entrevue, et réprime pudiquement le désir d'étreinte maternelle auquel elle aurait laissé libre cours si vous aviez été seules. Puis reporte les yeux sur cet homme qu'elle ne connaît pas, mais dont la présence la laisse avec le sentiment d'être bien petite. Avec quelques hésitations, elle s'empare du carnet et y inscrit quelques mots avant de le tendre vers sa mère de substitution, de façon à ce que l'inconnu puisse la lire également.

Elle hoche la tête à l'annonce de son nom, impressionnée par cette voix et cette présence, et obéit en silence, prenant place sur un fauteuil, le carnet sagement posé sur les genoux. L'appréhension raffermit sa prise sur ses entrailles, et un frisson lui secoue les épaules alors qu'elle redoute ce qu'on s'apprête à lui annoncer. Ces mines pincées semblent présager quelque chose de grave. D'un geste de la main poli, réservé, elle refuse avec égards le verre que lui propose Blanche, peu désireuse que sa première expérience de l'alcool se fasse dans des circonstances qui exigent autant de sérieux.

La crainte la reprend dans sa poigne impitoyable alors qu'elle se découvre en présence de quelqu'un d'encore plus important que Blanche. Que peut-il bien se passer, pour qu'on se résolve à rencontrer un élément aussi insignifiant qu'elle ? Est-elle en faute ? À cette idée, la peine s'imprime sur son visage, creusant une ride confuse sur son front.

Le reste lui parvient comme au ralenti, comme depuis une grande distance. La conscience refuse ce que l'esprit a peur de comprendre. Le portrait qu'on lui a dépeint de la Reine Rouge l'a fait trembler plus d'une fois ... Et on l'y amènerait ? Dans sa poitrine, le cœur commence à marteler contre les côtes, en proie à une peur montante. La réalisation a du mal à se faire, comme heurtée à une distance qui l'empêcherait d'appréhender pleinement la dure vérité, de peur d'une réaction démesurée.

Reprenant maladroitement le carnet en mains, elle écrit d'une main perturbée, les pensées en ébullition, avant de le tendre cette fois davantage vers Judas que vers la mère des chuchoteurs.



Le bras qui porte le papier est tremblant. Triste déni qui ne saisit pas l'âpre réalité de la situation.

La madone se lève, les traits emplis d'un trouble qui ne fait qu'alerter la crainte qui s'étendait déjà en elle. Cette mère de substitution qu'elle représente s'est toujours montrée sereine, assurée ; elle lui prêtait volontiers toute la puissance de ce monde, elle, pauvre petite créature nichée sous son auguste protection. Que peut-il donc se passer de si grave pour sa contenance se morcelle ainsi ?

Le carnet est doucement lâché, retombant sur ses genoux, lorsqu'on saisit ses poignets. Elle se laisse aller à la marque de tendresse, frôlant la peau de Blanche du bout des doigts malgré l'appréhension, et absorbe ses paroles avec la raideur de la confusion, hochant fermement la tête lorsqu'on s'enquiert de ses capacités. Tout pour vous, ma lady.

Les pensées sont en ébullition, à peine calmées par la douceur de la caresse et du baiser prodigués par Blanche. Une mission ... ? Un pli pensif creuse son front. Pour longtemps, visiblement ... Mais quelle est-elle ? La même qu'actuellement, se faire discrète et rapporter toutes ses observations ? Les mots élogieux, bienveillants mais amers, font gonfler son cœur, et sa main glisse sur le carnet, sans quitter le support de ses genoux.



Et puis la vérité tombe, brusque et sans pitié, comme un couperet. La dureté de la réalisation lui coupe le souffle le temps d'un instant, et le reste l'atteint presque malgré elle. C'est définitif. Les yeux se braquent sur Judas, débordant de peine, et le choc s'imprime sur tout son visage alors que son destin s'étend devant elle, peu à peu teinté de rouge.

Elle se lève alors, hébétée, l'esprit embrumé, le regard passant sur la mère des chuchoteurs sans réellement la voir. Le corps agit comme par automatisme, prenant la responsabilité des choses le temps que la psyché puisse accuser le coup. Poupée silencieuse, elle sort de la pièce sans la moindre réaction : pas un mot, pas un hochement de tête. La porte claque derrière elle et elle s'immobilise dans le couloir sombre. Définitf. Adieux. Il n'y a pas de mission. Il n'y aura plus de Blanche. Il n'y aura même plus rien, ni personne. Tout est terminé. Les mains se lèvent pour couvrir ses lèvres qui se mettent à trembler. On ne lui a pas laissé le choix. La vie qu'elle menait jusqu'alors vient de prendre fin, elle ne reverra plus ni Susan, ni Moïra, ni Meliodas. Dans sa poitrine, le cœur se déchire, et les larmes se mettent à perler au coin de ses yeux, roulement lentement sur ses joues.

Tout est terminé.