Le temps était long. Le temps était toujours trop long dans ces geôles insalubres dépourvues du moindre soupçon d’espoir ou de bonheur. Sombres, tristes, les murs transpiraient d’humidité et d’odeurs aussi mystérieuses que nauséabondes.

Une pièce qu’il ne connaissait que trop bien. Des râles et des pleures qu’il s’obstinait à ne pas entendre pour ne pas devenir fou. Il se savait privilégié parmi ces pauvres âmes qui hantaient les sous-sols de la demeure Tremaine, malgré sa piteuse cage et son collier bien serré. Culpabilité, remords et impuissance peignaient son triste visage à demi-endormi. Seul sa main venant gratter continuellement son cou dans l’espoir vain de retirer cette corde de fer témoignait d’une volonté de liberté persistante, bien qu’en grande partie éteinte.

Les roues d’un chariot cognant contre les pavés se firent entendre. Des loquets métalliques s’ouvrirent et se fermèrent à répétition jusqu’à la cellule de la panthère. Inanimée, seul ses pupilles dorées, camouflées par quelques mèche noires, daignèrent poser leur attention sur cette hôte venue lui apporter de la bouillasse comestible ; Willow Tremaine.

Un échange de regard. Un sourire. Du mépris.

Jamais la panthère n’avait ressentie autant de haine envers un être humain - si encore pouvait-on qualifier une telle source de sadisme comme « humain ». Myst ne toucha pas de suite à son repas. Il n’avala que quelques cuillères avant de retourner tourner en rond dans sa cage.

Le temps était long, toujours trop long.


Mais le temps passa un peu, sans que nulle ne sache combien d’heure s’étaient écoulées depuis la distribution des repas. Des pleures torturés tirèrent le noiraud de ses songes. Des sanglots aussi effrayants qu’insupportables… Des plaintes équivalentes à celles de ses pires cauchemars et de sa vie passée. Willow était revenu en traînant un pauvre enfant au sol.

La panthère s’anima et s’empressa d’agripper les barreaux de sa cellule, inquiète. La vie venait de réapparaître dans son regard, teintée d’une détresse et d’une colère sans nom.

La blonde maltraita le gamin tout en semblant jouer avec les ficelles d’une cage suspendue.

Les mains devenues griffes firent grincer le métal autour de Myst. Cette vision était insoutenable. La rage montait peu à peu en lui, mais il ne pouvait guère se métamorphoser pour s’attaquer à la jeune femme, son collier devenant constricteur si tel s’avérait être le cas.

- Laissez-le tranquille sale pute, ce n’est qu’un enfant ! Interpella Myst, les crocs serrés. Il ne mérite pas ça.

Myst secoua les barreaux pour attirer son attention, les yeux fixés sur la source de sa haine.

- Si vous voulez jouer, trouver au moins quelqu’un à votre taille, railla-t-il tout en crachant sur les belles chaussures de la belle demoiselle.

Ses mains se crispaient à la vue du manque de délicatesse dont faisait preuve la jeune tortionnaire. Le pauvre gamin était apeuré et pleurait à chaude larme dans sa cage insalubre. Inacceptable. Une scène pénible qui apportait colère et remord dans le regard ambré de la panthère. Mais pouvait-il vraiment se permettre de juger la blonde ? Il n’avait guère réalisé d’actes plus joyeux dans son ancienne vie, bien que sa mémoire ait effacé ses crimes passés.

Tendue, Willow semblait être d’une humeur massacrante aujourd’hui. Son aura était d’autant plus effrayante lorsqu’elle se murait dans un silence pesant. L’avoir provoquée était une grossière erreur et il allait très certainement subir quelques unes de ses foudres… Mais Myst ne pouvait se résigner à n’être qu’un simple spectateur et la distraire restait sa seule option.

Il préférait de loin subir ses sautes d’humeur seul, que de les avoir appliquées à un enfant sans défense.

Comme attendu, Willow finit par mordre à l’hameçon, venant frapper les barreaux de la cellule de la panthère avec sa matraque fétiche. Le grabuge fit reculer le jeune homme qui se boucha vainement les oreilles alors que la pièce se transforma temporairement en cloche, les ondes rebondissant sur les murs humides. Les acouphènes allaient chanter fort ce soir.

- Je me demande bien comment un simple gamin a pu vous mettre en rogne. Vous êtes bien trop susceptible…

Sa manière de « jouer » avec les détenus était indéniablement cruelle et n’avait rien à voir avec la situation actuelle. Néanmoins, elle restait immonde aux yeux de Myst. Il allait devoir faire preuve de tact pour ne pas arriver à de telles extrémités… Willow était si imprévisible.

La panthère, une fois sonnée, continua de soutenir le regard de son bourreau avec insolence. Il n’avait pas peur d’une simple claque, il avait vu bien pire. En réalité, c’était plus la mémoire présente dans sa chair qui craignait davantage cette matraque imposante.

- Je ne la bouclerai qu’une fois que vous serez remontée au manoir et que vous nous épargnerez votre visage immonde.

Il sourit un peu, remarquant un détail fort intéressant témoignant du manque d’attention de son interlocutrice.

- Me baffer ne ferait que retirer quelques points à ma valeur marchande, je suppose que votre père ne serait pas content de votre bêtise si vous agissiez indépendamment de sa volonté. Ah et aussi...

Effronté, il s’avançait déjà bien trop sur un terrain miné qu’il ne maîtrisait pas. Il aurait dû se taire. Mais il n’avait pas pu s’en empêcher. Il s’éloigna des barreaux, le pas élégant.

- Vous ne devriez pas laisser vos clefs pendouiller trop près des cages… annonça-t-il tout en tenant malicieusement un trousseau du bout des doigts.

Au moins l’attention était centrée sur lui et non plus ailleurs, comme il l’avait redouté.