Balthazar au matin se redresse. Balthazar au matin cherche ses clopes du bout des doigts. Il a mal dormi cette nuit. Comme toutes les nuits d'avant.

À poil dans sa cabane, il fouille sous les vêtements entassés à la recherche d'un briquet.

Et soudain sous ses pieds, le vide. Et soudain au dessus de sa tête, le noir. Et il tombe tombe tombe encore. Il se rappelle du Bal et de cette chute interminables jusqu'au caveau étrange.

Il atterri les bras en croix sur le sable. Ça crisse contre sa peau nue. Son premier réflexe est de se fondre dans sa forme animale. Elle lui répond beaucoup plus maintenant que le temps a passé et qu'il a retrouvé ses repères.

La bête tend le museau vers le ciel, des odeurs qui se mélangent. Vaguement familières et tellement étranges. Tout est étrange. Il fait chaud et la fourrure ne semble plus une si bonne idée.

À mesure qu'il avance, il reconnait, l'odeur du thé et du sable chaud. Yeux d'or qui s'écarquillent. Susan. Susan est là. Accélère, galope. Sans reconnaitre l'odeur de fer et de feu, de sang et de violence qui tourne. Parce qu'elle a changé, juste un peu, juste assez pour que déboussolé, il te voit avant de te sentir.

Se fige en haut de la dune. Détaille rapidement les nouveaux arrivants. Ne voit qu'eux. Susan. Jabberwocky.

Rugissement profond. Frisson intense. Jamais tu n'as été aussi beau.
Putain.
Descend lentement la dune. Toise le dragon qui n'en est plus un.

- La réciproque est aussi vraie.

Grondement sourd. Rugissement articulé chargé de haine. Le dos hérissé.
N'approchera pas plus.
(sonne déjà comme une défaite)

Parce qu'on a pas envie devant Susan, de devenir le monstre que tu as fait de nous, Jabberwocky.
(mais on rêve déjà de t'égorger)

Regard vers le gardien.
(envie de l'aimer et de tuer celui qui semble l'aimer)

Une grande dame, odeur de violette, voix de belle.

Un ami de Susan, odeur de livre, voix perdue.

Un gentleman, odeur de forêt, voix courtoise.

Odeurs de sable chaud et de fer-sang, déjà connues déjà chaos.

Balthazar a retenu les nouveaux arrivants. Ils écopent tous d'un regard noir. Particulièrement Lysandre que Susan saisit, tendre et doux.

Il gronde. Renferme sa jalousie. Ses griffes s'enfoncent nerveusement dans le sable. Il est tiraillé le Bandersnatch. Entre l'envie dévorante de chasser Jabberwocky d'ici, que ses sales pattes plus jamais n'approche le gardien, son gardien.

Envie de sang, envie de fuir.
Longtemps qu'on a pas senti le Jabberwocky aussi lui-même, aussi fort.
Mal à l'aise le Bandersnatch.

Il n'y a pas de désert à Wonderland, il le sait, il connait ces terres. Il les a parcourues en long, en large et en travers tant pour tuer que pour visiter. Ce désert n'existe pas. Et ce sable est trop ... trop fin. Étrange, il ne ressemble pas à celui de la plage.

Susan se place entre lui et Jabb et la seule chose qu'il peut faire c'est attraper son regard une fraction de seconde avant de se détourner.

Il marche en cercles larges autour du groupe, le museau dans la poussière, à la recherche d'une piste, d'une odeur qui leur donnerait un indice. Une piste. N'importe laquelle. Bouger d'ici, en finir avec cette immobilité et le regard tout puissant du dragon qui n'en était plus un. Mourir t'a-t-il au moins réparé ?

Soudain le sol tremble. Bandersnatch coup d'oeil vers Susan. Jabb à ses côtés. Détourne les yeux. Aucune once d'attention pour les autres. Inutiles et fragiles.

L'horloge sous leurs pieds est immense. Et soudain, on se rappelle de la salle avec les chaines, la salle aux horloges arrêtées, le jour du bal. Balthazar se hérisse et scrute autour de lui, prêt à bondir à la moindre vue d'un haut de forme douteux.

Les voilà encore embarqués dans un jeu qui les dépasse.

Regard vers Susan.
Sans un mot.
Gardien de l'horloge, fils du temps.

Cette énigme est pour toi, c'est ton fardeau.

Violine, Lysandre, Aimé.

Aussitôt entendus, presque déjà oubliés.

Tous attendent Susan.

Lui aussi. Il attend avec désespoir que quelque chose se passe. N'importe quoi qui les éloigne de toi. N'importe quoi qui rompe cette situation sans fin.

Plus il reste, plus il le voit qui resplendit dans sa nouvelle peau, plus il doit lutter contre l'envie de s'éloigner, l'envie de fuir. Parce qu'on ne sera jamais à la hauteur.

Les griffes grattent le sol, écorchent le verre de l'horloge. Nerveusement. Il entend les explications de Susan. Se rappelle de cette journée au lagon, après les battues. Et cette fichue porte.

Time est prisonnier oui, évidemment et Mad et Chase sont ses geôliers.
Ça sonne presque trop facile tant c'est une évidence.

Qui d'autre que l'omnipotent Mad Hatter et son pouvoir de création pour enfermer le temps lui-même ?
(ce même pouvoir qui a créé le collier qui pèse à son cou)

Briser l'horloge. Oui, c'est dans ses cordes, détruire c'est dans ses cordes. C'est peut-être pour ça qu'il a été créé ? Détruire, tuer, se venger, être la risée de Wonderland. Qui sait ?

Long regard sur Jabberwocky qui n'esquisse pas un mouvement.
Ainsi donc, ton dragon est encore prisonnier ? Ainsi donc, même mourir ne t'a pas guéri ?

Envie de se moquer mais tout ce qu'on sent, c'est le vide.

Se détourne et vient se placer à côté de Susan au centre de l'horloge. Il est grand, immense bête à ses côtés. Souffle chaud dans ses mèches noires avant de le pousser un peu plus loin.

Vers le seul qu'il considère capable de le protéger.
(et ça le tue de le faire)

- Bougez.

C'est un ordre qui ne souffre d'aucune contestation. Regard moqueur vers le mousquetaire et son cure-dent en métal. Rugissement profond. Les griffes se plantent dans le verre, déchirent l'horloge. Le poison suinte, une odeur rance emplit l'air. Une odeur de mort.

Non, il ne se présentera pas le Bandersnatch.
Il va détruire parce qu'il n'est bon qu'à ça.

Rugissement alors qu'il s'acharne sur l'horloge, arrache les aiguilles, détruit, détruit, détruit, détruit, détruit.

Pour ne pas penser que derrière lui, il y a le dragon.
Pour ne pas penser qu'il a poussé Susan vers lui.

Pour ne pas penser qu'il a abandonné la course.