Le dos droit toujours, il t'accompagne dans les couloirs le pas souple et le sérieux tirant ses traits. Le silence qui se glisse entre vous n'est pas si pesant, même lorsque vous vous enfoncez à travers les dédales souterrains pour rejoindre le siège de votre organisation. Il est reposant, quand on se souvient de l'agitation plus haut. Reposant oui, c'est le mot. Ne soupire pas pourtant lorsque ta faible voix vient le rompre, un sourire qu'il t'adresse au contraire. Léger, rassurant.

— Je n'ai fais que mon devoir, Charline. Rien qui ne nécessite un quelconque remerciement.

S'installe à son tour sur le siège à côté du tien avant de prendre le temps de te regarder un instant. Tu as l'air d'aller mieux, ça lui fait échapper un souffle de soulagement à peine audible. Au moins tout n'aura pas été gâché aujourd'hui. Le regard qui se baisse lorsque tu lui demandes son avis. Tu devrais savoir qu'un soldat ne donne jamais son avis, Charline. Jamais.

Un soldat ne fait qu'obéir aux ordres, simplement.
Et pourtant.

— Tout ça dépasse ma condition, tu sais. Je ne crois pas être celui dont tu dois avoir l'opinion.

Pourtant il en a une d'opinion, bien sûr qu'il en a une.

— Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

Parce qu'il peut t'écouter, tu sais ?
Car même si ce n'est pas le rôle d'un soldat, c'est celui d'un ami.
Relève alors ses yeux pour les poser sur ton visage doucement, espère croiser les tiens. Regarde-le Charline, vous êtes amis pas vrai ?

Tu insistes. Il ne doute pas que ce soit une qualité chez toi, et il n'a rien à redire à ça. Quelque part ça lui fait même un peu plaisir, il ne s'en rend pas toujours compte mais la reconnaissance lui fait du bien parfois. Il est simplement trop borné pour le reconnaître -et puis c'est vrai qu'il n'a pas fait grand chose. N'importe qui d'autre l'aurait fait, pas vrai ? Il aime à le croire, espère que ce monde qu'il souhaite sauver n'est pas encore totalement corrompu. Ce serait absurde -sûrement qu'il en mourrait.

— Elle vient de ma mère.

Un sourire discret qui s'étire en pensant à sa génitrice.

— Ce n'est pas vraiment une technique, hum.. Je pourrai t'expliquer.. Plus tard ? Si tu veux.

Présentement ce n'est pas le moment, ni même le lieu. Il y a ce rapport à faire, bien plus important, et il n'aimerait oublier aucun détail de cette matinée. La mort du petit Harry fera parti de ceux qui lui resteraient en mémoire jusque sa mort ceci dit. S'il n'était pas monté sur cette estrade peut-être l'enfant serait-il toujours en vie ? Il avait failli. Failli envers lui-même, envers son rôle de soldat lorsqu'il avait prit la décision de suivre les demandes de l'Ordre aujourd'hui.

Alors tes mots Charline, tes paroles en réponse aux siennes et ton regard encré droit dans le sien, tout ça lui étire une esquisse mitigée. Un brin mélancolique, un brin fatiguée. Une esquisse un peu triste mais à la fois attendrie. Tu es quelqu'un de fort, de tellement fort est-ce que tu le sais ? C'est tellement dommage que tu n'ais pas confiance en toi. Nos secrets, Helios, ont la fâcheuse tendan-dance à engendrer des consé-séquences funestes pour nos proches.

Un silence après la fin.
Je sais.

Il sent son coeur battre plus vite à cause de la justesse de tes phrases, de tes conseils comme des reproches à la fois et des encouragements. À cause de tes regrets qui sont un peu les siens aussi, à cause de cette injustice qui aura coûté la vie à un enfant innocent aujourd'hui. Tu en as une, de fami-mille, n'est-ce pas ?

— Bien sûr, et j'en prends soin. mensonge. C'est en partie pour eux, tout ça.

Pour leur rendre la vie meilleure et espérer qu'un jour tous puissent vivre réellement heureux. Il y croit.

— Alors je n'en souffre pas. mensonge. Pourquoi en souffrirai-je ?

Il ne se rend pas compte que son sourire a disparu -cette impression qu'il a de toi qui lit en lui aussi simplement le bloque inconsciemment et il se referme sur lui-même. Laisse s'échapper un bref soupir après avoir fermé les yeux un instant pour retrouver un peu de contenance. Lorsqu'il les rouvre il ne te regarde pas tout de suite et prend le temps de se replacer dans son fauteuil, visiblement gêné.

— Reprenons, s'il te plaît.

Ne le force pas à faire quelque chose dont il n'a pas envie. Il se fait plus sérieux alors, tandis qu'il force son corps à se détendre légèrement et tente de recentrer maladroitement la réunion sur l'objectif de votre venue ici.

— Mon opinion sur la situation est-elle nécessaire à ce rapport ?

Personne n'est omniscient non bien sûr et lui ne prétendra jamais l'être, ce n'est pas ce qu'il recherche. Il ne répond pas pourtant t'est reconnaissant de toute cette bienveillance dont tu fais preuve à son égard, silencieusement alors encre tes paroles en lui pour ne pas les oublier et, toujours un peu gêné, toujours aussi buté, te demande s'il est nécessaire d'avoir son avis.

Sûrement l'est-ce si tu cherches autant à savoir, n'est-ce pas ? Sûrement ne se rend t-il pas compte d'à quel point c'est important, pour toi, pour lui et pour l'Oeil qu'il s'exprime. Il n'ose pas et c'est à tes dernières paroles prononcées qu'il perçoit à quel point il semble s'être perdu. Helios le soldat, Helios le membre de l'Oeil, Helios l'ami, le frère, le fils, le supérieur, le collègue, l'ennemi. Toutes des facettes si différentes qu'à force il en mélange ses rôles.

Un peu surprit que tu puisses le voir aussi simplement, il t'adresse une oeillade. Sans commentaire, la mine un peu embêtée cependant, il te voit sortir ton carnet. T'y laisse écrire tes pensées alors, avant de les lire et de grimacer, mâchoire légèrement serrée.

Tu marques un point.
Difficile à avouer.
À corriger aussi.

Pourquoi cette tendance au silence, Helios ?

— Parce que c'est ce que l'on m'a apprit.

Et enfin il avoue, lâche ensuite un long soupir tandis qu'il s'accoude plus lourdement sur la table face à vous. C'est beaucoup de pudeur et de discrétion aussi, beaucoup d'introversion. Tête baissée, une oeillade en coin qu'il t'adresse néanmoins avant de continuer. Tu veux qu'il parle, pas vrai ?

— C'est ce pour quoi je suis né, ce pour quoi mes parents m'ont éduqué. Observer, analyser, obéïr. Cependant... Je ne crois pas exécuter simplement, c'est juste que. Ce n'est pas à moi de briller dans tout ça, je suis un soldat, Charline.

Prend le temps de réfléchir un instant au sens de ses propres mots et tente de se corriger après une hésitation.

— Ah.. Comment dire ? Hm. Mes parents sont influents, tu sais ? Dans l'Oeil. Ce sont eux qui m'y ont fait entrer, ils l'ont orchestré depuis bien avant ma naissance et c'est pour ça que je suis ici. Si je n'avais pas ces capacités dont tu parles je ne serai pas là, mais je ne suis pas que ça.

Un silence, le temps d'une inspiration.

— Mon avis compte, n'est-ce pas ? Tout comme le tien et les leurs, bien sûr. Seulement, je crois que ce n'est pas ce que l'on me demande. M'exprimer comme tu le fais je veux dire, ce n'est pas la première chose que l'on attend de moi, ici comme au palais. Alors je ne le fais pas souvent, hésite encore et se rattrape maladroitement. Mais je le fais parfois, je vais le faire puisqu'il le faut. Évidemment que j'ai un avis.

Parce que j'ai des choses à dire mais sont-elles si importantes ?
Nouveau silence.

C'est difficile, tu sais. Tout ça.
Te parler, se livrer. Et il n'est même pas sûr d'avoir été si clair malgré que tout le soit dans son esprit -le croit-il du moins.

— Je crois que l'on a bien fait de faire tout ça, mais je me demande si ce drame aurait pu être évité.

Si le petit Harry aurait pu continuer à vivre encore longtemps des jours heureux.

— Comment est-ce possible d'ailleurs, que le petit soit tombé en poussières à peine Sa Majesté l'eut touché ? ...C'est étrange.

Il a songé à la culpabilité du Roi de Crims dans cet assassinat, lui avait les armes pour contrairement à votre Reine, mais le résultat n'aurait pas été le même il le sait. Car si Romeo de Crims a la capacité d'arrêter les coeurs, le corps ne se serait sûrement pas décomposé si vite. C'est impossible.

Lâche alors à nouveau un long soupir, Helios est épuisé.

— Nous voilà tous impliqués dans un sacré merdier, Charline.