Anne était en vérité enrobée par l’incertitude. Elle n’était pas certaine d’avoir compris l’intégralité de ce nouveau monde, et encore moins sa présence en ces lieux. Elle qui pensait s’être échappée de sa vie, se retrouvait finalement avec une seconde chance qui lui était étrangement présentée. La chance lui avait même d’un certain point de vue souris, elle qui n’avait pas eu grand temps de s’inquiéter. Finalement logée d’une proposition les plus amicales, mais tout aussi étrange.

Anne n’avait pas cherché plus loin, la Reine Blanche qui lui avait fait à cet instant très bonne impression. Quand bien même sa confiance ne lui était pas offerte. Car la peur existait toujours en son être, les tremblements et les nuits agitées. Alors il lui avait fallut du temps de s’affranchir de ses maux, d’être capable de prendre le chemin qu’on lui présentait, même si rien ne pourrait réellement disparaître.

Et une fois installée, il lui avait été compliquée dans un premier temps de quitter Marmoreal qui était comme une cage de sureté. Le monde était, qu’importe où elle se trouvait, effrayant sous de nombreuses coutures. Pourtant sa curiosité semblait être sans fin, inassouvissable quand aux non-sens de chacun des paysages, qu’elle n’aurait alors jamais cru possible. Alors, elle ne s’éloignerait pas trop, se contenterait du monde qui entourait la capitale. Mais alors, peut-être un peu trop loin, un peu trop éloigné. Car son nom est appelé, évoqué comme une sentence qu’elle aurait mieux fait d’ignorer.

Mais pourtant, elle se retourne, sa robe qui virevolte dans sa ronde. Un visage qui lui était totalement inconnu mais dont la prestance semblait fatale, comme cette voix sèche et peu attrayante.

« La Reine de Cœur ? »

Qu’elle soulève, sans véritable interroger. Anne savait qu’il s’agissait de la sœur de la Reine Blanche et que celle-ci dominait son royaume d’une main de fer, parfois même meurtrière. Alors Anne n’arrivait pas imaginer ce qu’on souhaiterait lui transmettre.

« Anne est toute ouïe. »

Une sensation de malaise qui vient s’entremêler à celle de la peur, sans véritable explication. Son corps voulait instinctivement comme, s’écraser face à elle. Alors durant quelques secondes, c’est le regard qui tombe et les mains qui viennent se mélanger dans un fouillis maladroit. A chacun de ses mots, c’est comme un frisson qui vient parcourir la totalité de son échine. De toute évidence, qu’importe le sujet de la missive de la Reine de cœur, Anne n’était pas dans les meilleures conditions pour être enclin à suivre les désirs de celle-ci.

Mais lorsque la nouvelle tombe, c’est l’incompréhension. Le regard hésitant, car la différence de taille entre les deux est bien trop significative et Anne ne peut se convaincre de la regarder droit dans les yeux, bien que cela fait preuve d’impolitesse.  

« Oh – La Reine souhaite convier Anne ? »

Une surprise réelle, elle n’était pas certaine d’avoir très bien compris à vrai dire. A ses yeux, il était déjà incroyable que la Reine Blanche ait souhaité la garder dans son château, alors que la seconde Reine de Wonderland souhaitait vouloir, elle aussi, la rencontrer, était assez exceptionnel.

« Est-ce pour une occasion spécifique ? Un repas, une soirée ? »

Peut-être que malgré tous les dires sur la cadette, il était dans ses habitudes de convier quelques alices à un échange quelconque. Du moins, c’est de sa naïveté et sa simplicité d’esprit qu’Anne arrivait à une telle conclusion.

Et finalement, la tête qui s’incline très légèrement.

Elle acquiesce légèrement – sans trop savoir pourquoi cependant. L’invitation semblait raisonnable et correcte, sans arrière-pensée si l’on se fiait aux paroles de la messagère. Par ailleurs, il pouvait être de mauvais augure que de se mettre une Reine à dos, plus encore lorsque l’on vivait dans le royaume pour lequel tension il existait. Mais il était si étrange que l’intérêt de la Reine de Cœur lui soit porté, elle qui n’avait rien d’extraordinaire. Plus encore lorsqu’elle possédait déjà les faveurs de sa sœur cadette. Ainsi, durant une seconde, l’idée que cela puisse être le résultat de leur rivalité, l’une désirant finalement ce que l’autre possédait. Ou plutôt, comprendre pourquoi Anne possédait cette chance de vivre directement dans le palais aux milles éclats.

Et lorsque la messagère s’approche, d’un pas rempli de confiance. Anne perd de peu son équilibre par cette arrivée qu’elle n’avait pas vue venir. Alors la sensation d’être acculée, qu’on lui forçait la main pour une simple visite de courtoisie.

« Il est difficile de donner une réponse dans l’immédiat. »

Parce qu’elle n’avait aucune envie de froisser qui que ce soit et d’être au milieu d’une guerre qui n’était pas la sienne. Alors Anne estimait qu’elle avait besoin d’un peu plus de temps pour y réfléchir, glaner quelques informations plutôt que foncer tête baisser dans une invitation qui, de fait, l’inquiétait plus qu’autre chose.

« Pourquoi semblez-vous si pressée ? Anne n'a t-elle pas le droit d'y réfléchir ? »

Car plus la pression serait exercée, plus elle tenterait de s’y échapper. Mais innocente malgré tout dans son questionnement.

Anne reste pensive, incertaine. D’un certain point, il lui aurait été facile de comprendre que son manque d’engagement puisse être problématique. Elle restait neutre, éloignée. Exprimait de toute évidence, l’inenvie de se rendre à Crims mais pourtant, semblait incapable de le dire à vive voix. L’inquiétude, la peur des retombées d’une telle prise de position. Mais au fond, c’est ce qu’était Anne : désengagée et incapable de faire acte d’une réelle bienséance dans ce nouveau monde qui n’était pas le sien.

Pourtant, elle arrivait à comprendre. Comprendre qu’en tant que messagère, elle devait apporter une réponse à sa Reine et que celle-ci, devait être positive pour son propre bien. Car qu’importe où elle se trouvait finalement, un travail bien accompli était toujours ce que l’on espérait rapporter. Malgré tout, Anne ne donnerait pas de réponse à cette invitation dans l’immédiat car elle avait ce besoin d’y réfléchir plus ardument, bien qu’elle ne s’imaginait pas, pour l’heure, se rendre sur les terres de la Reine de Cœur.

« Ah ! Non, enfin… »

De toute évidence, qu’elle bafouille. En perd ses mots lorsque, prise de court par l’interrogation de la messagère. Son malaise se ressent, car celui-ci Anne n’est pas capable de le dissimuler tant il sort de l’ordinaire. Personne ne pourrait remettre en doute que cette femme avait une prestance assez forte, que la sonorité de sa voix était assez perturbante. Que malgré la tentation de mettre à laisse son interlocutrice, il était assez difficile à Anne de voir autre chose. Car même si elle cherchait à se concentrer sur le sens de cette rencontre, l’invitation lui était aussi étrangère.

« Disons qu’il n’est normalement pas fréquent d’être conviée par une Reine. »


Alors par deux... Du moins, c’est l’impression vague qui lui dicte ses paroles, un lointain souvenir. Car auparavant aussi, elle se souvenait de l’existence d’une Reine. Bien différente, pourtant.

« Du moins c’est l’impression qu’à Anne. »

Car elle n’avouerait pas que oui, vous la mettiez mal à l’aise. De peur de froisser et de se retrouver dans une situation bien plus compliqué.

Elle l'observe, cette messagère, avec un grand intérêt. S'imagine peut-être beaucoup de choses car elle est bien incapable de lire et de comprendre, ne serait-ce qu'une expression de sa part. L'unique chose qui ne changeait pas qu'importe ses mots et ses gestes était l’aura quelque peu désagréable et imposante qu'elle dégageait. Alors Anne n'avait pas réagi l'incompréhension qui ne bougeait pas, pourquoi la Reine du cœur était-elle tant intéressée à inviter Anne à se rendre chez elle. Elle qui n'avait vraiment rien d'extraordinaire, elle qui était une nouvelle arrivante parmi tant d'autres, elle qui n'était qu’une adolescente meurtrie. Par ailleurs Anne se questionnait sur les échos qu’aurait pu entendre la reine à son propos, quel dire lui aurait donné l'idée de vouloir la convier aussi rapidement.  

Peut-être qu'elle se trompait et qu'elle avait bien ce quelque chose qui explique l’intérêt que lui porte la Reine d'Ivoire ainsi que sa sœur aînée. Mais une curiosité qui restera sans doute sans réponse car personne ne semblait capable de lui répondre à la question « pourquoi moi ? ». Et alors qu'un sourire plus difficile que sincère se dessine sur son faciès, Anne courbe légèrement la tête. Un geste qui rendra difficile le recul lorsque une fois encore la messagère s'approcha, la surprise, la peur elle n'en savait rien.

La proposition était assez juste, simple à réaliser. Bien qu'il lui paraissait tout autant difficile d'exprimer un refus à l'écrit cela lui permettait de prendre le temps de mieux réfléchir sur la question. Anne récupéra l'enveloppe qui lui était tendu, avec une légère hésitation qui ne passerait sans doute pas aussi inaperçue qu'elle le souhaiterait.

« Cela semble parfait. Qu'elle acquiesce légèrement de la tête. Anne vous donnera sa réponse dès que ses pensées seront plus claires. Elle vous remercie par avance pour ce temps qui lui est accordée. »

Et sur ces mots elle attendit quelques secondes avant de se permettre de partir et de reprendre sa route.