Judith

Anything please, except for defeat

C’est l’histoire du Général Cohen, fils d’un héros de la Première Guerre, jeune homme droit et décidé à suivre la voix de ton propre père. A t’engager dans l’armée à ton tour, pour y rencontrer celle qui deviendra ta femme, lors d’un passage à l’infirmerie. Trois filles naîtront de cette union, avant qu’un accident de chasse ne t’empêche d’avoir un héritier. La troisième et dernière fut donc celle qui attira ta rancœur, à sa façon. Mais pour ses voisins, pour ses compatriotes, le Général est un héro comme on n’en voit que dans les livres d’histoires.

C’est l’histoire de Jane Cohen, infirmière au sein de l’armée anglaise, mère de trois beaux enfants, et épouse d’un mari abusif. Le sourire sur les lèvres, et manches tombant jusqu’au bout de tes poignets pour cacher tes équimoses. Jane, tu es l’héroïne parfaite pour ce drama de milieu d’après-midi. Regardant tes deux aînées grandir dans le chemin tracé pour elle par la société de l’entre deux guerres. Bons mariages et bons partis. L’envie dévorante de fonder leur propre famille dès la majorité atteinte. Un idéal que ne partage pourtant pas la dernière.

C’est l’histoire d’un jeune soldat, qui se prépare à partir pour la guerre. Un dernière fois, tu aurais voulu la voir. La troisième fille du Général. Celle qui ne faisait rien comme les autres. Celle qui se battait comme un garçon, et qui disparaissait toujours, d’une façon où d’une autre, pendant les dîners organisés par sa famille. Celle qui rêvait d’aller travailler à la ville, y écrire des livres. Seule. Sans un mari ni un père pour la protéger. Sans un frère pour la surveiller. Sans même un cousin pour la chapeler. Et ça te fascine autant que ça te dérange, jeune soldat, parce que cette indépendance, tu le sais, fait qu’elle refusera ta demande en mariage. Et tu vois le visage de son père tourner au blanc, quand elle fait demi-tour, te laissant bien bête, le genoux sur le perron. Les fiançailles, dans tous les cas, ne t’auraient pas servi à grand-chose. Il t’auras suffit de six mois sur le champ de bataille pour y perdre la vie, dans un bombardement décisif d’un port allemand.Veuve d’un héros de guerre, disons-le, aurait pourtant était un titre bien utile à celle qui avait refusé ta demande. Au moins, elle aurait eu une bonne excuse pour conserver son célibat.

C’est l’histoire du Dr. Cordier, dont les mains de fées ont sauvé tant de vies, pendant cet affrontement historique. Chirurgien français, résistant parti Outre-Manche, puis au travers de l’Europe pour secourir les blessés, tu n’avais que peu de temps pour se souvenir de toutes les infirmières avec qui tu avais travaillé. Il y en avait pourtant une, bien que le nom ne te revienne pas, qui avait marqué ton attention. On disait beaucoup de choses à son sujet, et tu fini par apprendre que beaucoup étaient fausses. Mais de sa bouche, tu entendis pourtant la confirmation de la raison de son engagement dans l’armée. Son père, apprit-tu, en avait eu plus qu’assez de ses rêves d’indépendance. Encore un militaire qui avait voulu apprendre un peu de rigueur à sa progéniture en l’envoyant mourir à la guerre. Et jetant ta cigarette par la fenêtre de la fourgonnette cheminant entre les routes escarpées de la Belgique où vous aviez été déployés, tu t’étais dit que ça serait amusant, si tu lui donnais plutôt le savoir nécessaire à son émancipation. Elle ne deviendrait probablement jamais médecin, puisque c’était une femme, mais elle serait, oh, sans aucun doute, une incroyable assistante en opération.

C’est l’histoire de Margarette Du Mans, riche héritière, femme de lettres, auteur et scientifique, qui prêta sa demeur pour accueillir médecins et blessés pendant ces temps de guerre. Tu n’avais clairement pas besoin de cette romance avec l’infirmière que tu trouvis un jour dans ta bibliothèque pour que ton histoire vaille la peine d’être racontée. Tu n’avais pas besoin des sourires discrets, des messages laissés entre deux pages d’un livre recommandé pour convenir d’un rendez-vous nocturne, des lettres échangées une fois son régiment partit de ton domaine. Margarette, tu étais déjà une femme accomplie, quand tout cela arriva. Et quand les missives cessèrent de te parvenir.

C’est l’histoire d’un postier un peu tête en l’air, mais qui brava le danger pour bien des civils et militaire, pour leur apporter le réconfort des mots de leurs familles, de leurs amis, ou de leurs amants. Un postier qui ne remarquant pas la lettre destinée à une certaine infirmière glissé dans les courriers du Général portant le même nom. Lui non plus, n’avait pas besoin de cet évènement qu’il n’apprit probablement même jamais pour qu’on applaudisse son courage. Pour qu’on conte ses aventures. La traversée de la Tchécoslovaquie en fin de guerre, était pourtant à peine plus impressionnante que la colère du militaire quand il apprit la liaison de sa fille avec une autre femme. Et ce fut la dernière fois qu’il reconnu le lien de sang avec cette hérétique.

Mais jamais, Judith, jamais, n’est-ce ton histoire qu’on raconte. Jamais tu ne deviens l’héroïne d’un conte, qu’importe à combien de reprises tu sembles apparaitre dans ceux des autres. Jamais ce ne fut ton histoire, même quand la colonne funéraire du journal annonça, sur une ligne parmi tant d’autres, le décès d’une unité médicale sur le front Est, un froid matin de mars 1945. On parla d’un chirurgien (et son assistante). On parla d’un infirmier ayant protégé de son corps (une de ses collègues qui n’avait pourtant pas survécu). On parla d’un chien, même, qui avait été chercher dans les décombres de l’hôpital de fortune, les traces de soldats qui étaient venus se faire soigner (et des soignants qui s’y trouvaient).

Jamais ton histoire, Judith, et tu détestes plus que tout que même à Wonderland, on se joue de toi. Qu’après des années d’errance, Judith, tu n’ai jamais pu devenir l’héroïne qui retrouve ses souvenirs d’avant. Qui retourne à sa vie d’avant. Et qui devient, pour toujours, un personnage secondaire. Un simple narrateur. Un faire-valoir. Le Dr. Watson à un Sherlock Holmes. Et tu refuses, même, d’être devenu Judith Hadassah Watson. Tu refuses de prendre ce rôle qu’on t’as assigné. Alors tu agis contre tout ce en quoi tu as toujours cru. Tu prends les principes moraux qui t’ont toujours tenu à coeur, et tu le tord, Judith, tu les déforme, tu les brises. Parce que si tu ne deviens pas l’héroÏne, tu préfères autant devenir la vilaine. A faire le sale travail de certains. A te salir à l’occasion les mains pour d’autres. Mais te rends-tu compte, que tu restes un sbire à leur service? Que tu continues de vendre tes services pour les desseins de plus grands que toi?