Son canasson à la robe rouge et noire ne semble n'en faire qu'à sa tête. Aujourd'hui la bête avait décidé de ne pas l'écouter, et de tourner à gauche quand son cavalier lui avait indiqué la droite. La contrariété gagne grandement ce dernier :

- C'est honteux North West, tout bonnement honteux !!

Le cheval n'en fait qu'à sa tête, lève celle-ci dans un affront total et guide de lui-même les brides vers l'orée de la forêt, en direction d'une des clairières. Par crims, jure-t-il mentalement alors qu'ils s'engouffrent à l'intérieur, sans qu'il ne puisse l'arrêter.

L'instinct de North west l'étonnait souvent alors, peut-être etait-ce donc un message ? Il lui fait confiance et entend des bruits de pas. A ce moment précis, Dimitri serre fermement les brides pour braquer la bête et lui sommer silencieusement de s'arrêter. Elle s'exécute bien malgré sa logique d'âne.

Le valet glisse, et sans attendre, court vers la cible qu'il entend. Peut-être se donne-t-il sans le vouloir des airs d'assassin, avec la hache qu'il tient dans une main. Peut-être que le qui-vive est au summum de ses émotions. Et s'il s'agissait d'un parasite, aux yeux de la Reine. Ne devait-il pas s'en assurer ?

Alors il court encore, s'éloignant drastiquement de sa monture. Jusqu'à. Jusqu'à sentir un danger, sans en comprendre l'évidence. Il s'arrête en percevant dans sa vivacité le sol en damier parsemé ici et là de mousses. Il ne comprend pas pourquoi la silhouette altière du Roi se trouve à sa place, si vivant, si doux et pleins de chair.

Ses pas l'ont amené naturellement sur la case du cavalier. La voix de l'homme en face de lui résonne si fort en lui qu'un frisson dérangeant le parcourt. Dimitri aurait préféré un mirage mais les mots qui sortent de sa bouche ont fini d'achever ses doutes. Les questions tombent tels des couperets et pris dans la tourmente de le revoir, le valet en relâche sa hache. Il ne sait encore bien se positionner, divers sentiments diffus et contradictoires le surmènent. Haine, colère, soulagement et amour.

Il se penche pour reprendre son arme, lentement. Pensif un instant, il presse le manche de sa hache et ni une ni deux, le vise avec sans le moindre scrupule. On ne saurait dire si le valet de coeur cherchait à tuer son souverain déserteur, au vu du peu de conviction ou de force qu'il mit dans son coup, mais il y avait fort à parier pour que ce ne soit qu'un accès de colère.

- Majes-..

Il grimace. Et étouffe un très long juron. Surmonté d'un sourire peut-être ?

- Revenez à plat ventre et demandez grâce auprès de la Reine, Majesté, je vous en conjure.

Cette manie insupportable de l'appeler ainsi l'enfouine à un point qu'il cherche un moyen de renier tout le respect qu'il possède envers son maitre.

- Si par intime, vous faites allusion au nombre de fois où je vous ai coupé la tête, sachez que j'aurai préféré mille fois vous être intime autrement. ... Mais vous ne nous avez pas laissé le choix.

Son regard.
"Attendri".
Un violent frisson déchire sa nuque.

Tu sais que je ne peux pas faire ça, Dimdim.
Il le savait plus que quiconque. Sa Majestée se leurrait de ce genre de machination romantiquement insolente.

Quand il aborde combien la Reine serait foutrement influencée par son entourage, Dimitri est, une fois n'est pas coutume, très confus. Le visait-il subtilement ou bien, il était question d'un tout autre cercle. Le Valet n'est et ne sera jamais de bons conseils amicaux & bienveillants. Il ne sait les servir que dans la terreur et la calomnie. Mais il espère n'avoir jamais joué de rôle dans ce qui était des conflits conjugaux.

Et puis. Le serpent de l'empathie gagne ses parois mentales. Il s'essuie le visage d'une potentielle pellicule de peur et d'anxiété tant il peut comprendre le manque de confiance. Qu'avait le val rouge à répondre à cela ?

Dimitri s'apprête à répliquer, à lui renvoyer en plein visage son manque indéniable de responsabilité et d'ingéniosité, quand soudain la verve habile de son Roi l'étreint.
Sans le vouloir.

- Partager notre intimité est aussi une chose autre que l'on verra plus tard.

Oof. Le prenait-il pour l'un de ses animaux de compagnie en qui il s'insérait avec une telle aisance ? Il se maudissait lui-même d'être intéressé par l'amour qu'un Roi pouvait porter à l'un de ses innombrables sujets. Pourquoi... Pourquoi Dimitri aimerait se faire aimer de son souverain alors que la Reine lui apportait déjà bien assez d'attentions et de promesses...

- Ca suffit, grogne-t-il entre ses dents, plus pour lui-même que pour le Roi. Il ... n'oserait point. Dieu sait que pourtant ses propos peuvent ne pas être compris. Ou plutôt, sa destination.

Le rouge connait cette sensation, d'emprise sur son coeur, ce n'était pas la première fois que le Roi s'en était amusé pour diverses raisons mais elles furent bien rares, de souvenir. Mais là, tout de suite, le contexte contrastait. Beaucoup trop. Il ne parvient pas à respirer, il ne parvient pas à reprendre son souffle et ca le brise. Autant que ca l'excite. Il finit par se courber, il était prêt à poser un genou à terre mais il se retient.

Le roi est un roi, mais un traitre est un traitre. Vers quel sentiment se tourner ?

Dimitri tremble. Il a perdu autant son sourire que son calme et il cache l'attrait morbide qu'il ressent en se faisant aussi bien presser le coeur que ses artères. Il fait mourir le moindre soupir susceptible de le contrarier. Si la Reine voit ses souvenirs, ca ne fera qu'empirer les choses.


Et quand, enfin, il daigne lui redonner sa propre emprise, il ne regarde plus le Roi.

Il laisse même un temps mourir entre eux. Il se remet lui-même de ses émotions. Le possible courroux qui peut l'attendre au chateau ne l'inquiète aucunement. C'est de sa propre incompétence dont il a peur.

- Je présume que la dominance chez vous brille par son absence et que la Reine la cherche ailleurs ?

Ou comment mettre les deux pieds dans le plat.

Oui, Dimitri poussait mémé dans les orties.
Il agissait mal, il agissait faux. Mais il agissait pour le coeur de sa Reine. Seule et elle seule comptait aujourd'hui, pour la simple et bonne raison que son Roi de toujours les avait abandonné. Pourquoi s'être confié à un lapin de pacotille quand il pouvait nonobstant le faire avec lui.
Mais après tout, Dimitri n'était qu'un valet. ... Aussi important qu'un vassal de bas étage.
Seul l'amour - ou de ce qu'il considère en être - de sa Majesté lui permettait de croire encore en lui, et au Royaume. Si elle s'effondrait, qu'importerait sa propre vie ?
Si. Il se rangerait du côté du Roi. Car il lui était intimement lié, et que sa volonté n'existait que pour les servir.
Les propos qui s'effilent des lèvres du souverain déchu ont déjà l'effet escompté sur son coeur ; nul besoin de le broyer d'une main invisible ou de jouer avec ses battements. Il en souffrait déjà bien assez, même s'il se donnait des airs insensibles.

Alors. Dimitri le regarde. Sans l'once d'une fierté. L'étincelle de l'espoir semblait disparaitre, à mesure que les mots se deversaient de la bouche du Roi. Il lui en voulait autant qu'il le voulait. Mais c'est un goût amer qu'il ressent à cette idée...

- Tu sais ce qu'il se passera si tu n'obéis pas?
La question se pose alors. Obéir à quoi. A qui. Avait-il oublié qu'il jurait allégeance aux Rouges, et qu'en ce moment même le Roi n'en faisait pas parti ? La pureté de l'hérésie blanche avait déjà commencé à gangrener le corps bien fait de son maître.
Quelle indignité...

Mais le rouge pose les deux genoux à terre. Les battements effrenés l'assomment, la vérité plus encore. Le Roi ne promet même pas de revenir.
-Continue sur cette voie et la prochaine fois
Je ne m'arrêterais pas
Mourir ne lui fait pas peur, il n'a pas conscience de la vraie définition de ce mot. Tant qu'ils reviendront tous à leur place initiale, il lui sera impossible de tomber sous le joug de la menace. Non.
Ce qui l'abat, c'est son passé. Il a juré fidélité à cet homme, qu'importait les raisons. Juliette...

- Je ne voulais pas vous manquer de respect, mon Roi. ...
Silence. Pour mieux reprendre, d'une voix affectée par la rancoeur.
- Quand allez-vous revenir auprès de la Reine ? Nous avons besoin de vous.

Une faiblesse.
Voilà tout ce que tu ressentais en cet instant. Tu avais une faiblesse, et elle ne serait pas heureuse de ça.