Tu la hais. Pas l'ombre d'un doute quand elle observe ton visage qui se tord, cette façon qu'ont tes muscles de faire naître dans tes traits les marques de dégoût, de la rancune, du rejet. Et, aussi incroyable que ça puisse paraître une partie d'elle s'en sent soulagé, Undine. Tout ce temps sans savoir, tout ce flou. Aujourd'hui, on sait. Tu existes toujours. Tu lui en veux. La réponse est claire, et même si elle ne lui plaît pas, elle a le mérite d'exister... C'est, pour être honnête, bien plus que ce qu'elle n'attendait.

« Undine... »

Ça fait combien de temps déjà ? Des années ? La notion du temps est trouble, encore plus depuis qu'elle a été affranchie. Comme une volonté de mettre le plus d'espace entre elle et le passé, comme une volonté de faire disparaître toute notion d’événement proche. Pourtant, elle ne t'a pas oublié, Undine. Ni les moments passés ensemble, ni la trahison qui a été la sienne quand elle a prononcé ton nom ce jour-là. On a pensé pouvoir être libre, tu sais ? En les fuyant et te trouvant, on avait pensé avoir regagné notre liberté. Mais un esclave ne peut s'affranchir de lui-même, Undine. Aussi vite retrouvée, aussi vite kidnappée, punie, humilié. Elle avait eu si peur des menaces, des promesses horribles qu'on lui avait faite au creux de l'oreille après que ces hommes (devenus des ombres sans visage dans sa mémoire, unième censure) l'aient faite hurler une heure durant. Alors elle avait obéi, Romane. Elle avait dit ton nom, toi qui as été coupable de voler la propriété d'un autre, toi qu'on allait punir parce que tu as accepté de la secourir. Oui, ça fait combien d'années, Undine ?

« Je ne suis plus esclave... Tu vois ? »

Brandis ses poings comme pour te faire remarquer l'absence de chaîne. Un petit rire mal à l'aise, incertain. Elle se demande soudain pourquoi elle est là ? Qu'est-ce qui l'avait poussé, Undine, à prendre congé quelques jours pour venir te trouver, faire resurgir le passé ? Un reste de culpabilité... De bonté peut-être ? C'est qu'on a gardé un bon souvenir du court temps où avec toi, on a été libre.

« Je... Je suis venue m'excuser. »

Parce qu'on a fait passer notre survie avant la tienne.
Parce qu'on est s'est laissé enlever quand on savait à quel point tu détestais voir les gens disparaitre.

Dans ta voix, la rage, la rancune, le dégoût. Oh, elle l'avait anticipé, Romane, elle l'avait anticipé le jour même où, terrifiée, elle avait vendu ton nom pour ne pas se faire battre davantage. Elle l'avait craint, aussi, car ton souvenir restait doux, ta présence positive. Peur de perdre ce qui s'approchait le plus d'un ami. Mais convaincue, Romane, qu'elle devait se faire une raison. Convaincue, Romane, qu'elle devait faire le deuil de ton amour et accueillir à bras ouverts ta haine. Même pas sûre que tu sois encore vivant. Soulagé de te voir en vie, même si ton regard assassin lui fait bien comprendre que le pardon ne trouvera pas ton chemin. Tant pis, ce n'est pas ce qu'elle espérait, elle n'en demandait pas tant. Romane voulait juste payer ses dettes, Undine, se regarder correctement dans la glace. Un temps considérable pour trouver le courage de faire face à ses propres manques, mais un travail nécessaire. Elle ne voulait plus, Romane, parasiter sa vie de regret, la rendre moins savoureuse et belle qu'elle ne devrait l'être. Il était hors de question, Undine, qu'elle en vienne à regretter les temps où on l'on était chose, objet et meuble.

« Sincèrement ? Non. »

Réponse franche, quand elle croise à son tour les bras. Braque son regard désolé dans le tien. Désolée oui, mais déterminé. Si tu ne veux pas lui accorder de seconde chance et bien soit, Undine, on n'insistera pas. On n’ira pas mener une guerre que tu ne veux pas. Choisis ses combats, Romane, parce que la vie a beaucoup trop à offrir et qu'elle n'ira pas perdre son temps si tu n'en fais pas la demande.

« Ta colère est légitime. Tu m'as dit que la trahison avait un prix et, qu'importe la raison pour laquelle je leur ai donné ton nom, je t'ai trahie. Honnêtement, je ne m'attendais même pas à ce que tu m'adresses la parole. Je voulais voir si tu allais bien. J'ai ma réponse et elle me suffit. »

Pour une fois, on ne se fera pas gourmande, Undine. On n'ira pas t'imposer notre présence si tu n'en veux pas. Et même si une certaine curiosité accompagne ses mots, elle la retient, Romane, consciente que ce ne serait pas digne de la femme qu'elle souhaite devenir.