Il la sent, terrible, monter de plus en plus, lui enserrer le coeur et occuper la totalité de ses pensées
(l'anxiété)
impitoyable lui fait imaginer bien des choses (affreuses), lui fait redouter ce qui n'est pas, le tourmente sans cesse ; impitoyable ses assauts s'amplifient à mesure que l'heure passe – n'en montre rien au monde mais intérieurement n'en mène pas large

Mais il ne peut reculer, alors il continue d'avancer jusqu'à arriver aux appartements de la Reine – d'un ordre donné par elle il ne peut se détourner
à ton invitation, il entre et

▬ Bonjour, votre Majesté.

Te salue poliment et s'installe comme tu le lui demande et
attend
que quelque chose se passe
mais il n'ose prendre la parole en premier – ne veut t'offenser en ayant l'outrecuidance de le faire

▬ Comme à mon habitude, votre Majesté.

Et vous ?
Se retient de retourner la question – ne veut paraître impoli – et reste vague dans sa réponse
(ni bien ni mal
rien ces derniers jours n'avait pu entacher son humeur)
et attend encore, n'ose prendre d'initiative
(car après tout, tu était la seule apte à diriger la conversation
pour peut que tu désires converser)

Et tu souris à sa réponse sans lui confier tes états d'âme ─ ne peut, même, se douter de ce que tu caches, incapable de décrypter les émotions d'autrui
(les siennes, aussi
véritables mystères qu'il ne peut comprendre)

Et le silence, encore, qui s'installe, lorsque tu l'invites à manger ─ en silence déguste les mets et n'ose prendre la parole car seule toi a ce droit
et finalement ta question le surprend et il te regarde quelques secondes, le temps de digérer l'information ; il ne sait, à vrai dire, s'il doit se sentir honoré que la Reine du royaume en personne s'intéresse à son humble personne, ou s'il doit se sentir terriblement gêné

▬ Eh bien...

Il aimerait bien dire que cela ne le gêne pas, d'en parler, qu'il se fiche bien de savoir qu'on sache ses passe-temps quelque peu surprenants, mais une certaine forme de pudeur, pourtant, l'empêche de les révéler ─ mais il ne peut se permettre de te mentir, il le sait
alors que faire ?
attend encore un peu, le temps de trouver la réponse, et

▬ Pas... grand-chose qui puisse réellement vous intéresser, votre Majesté (les yeux ne peuvent soutenir ton regard et cherchent désespérément une accroche) Enfin, il m'arrive quelque fois de... jouer de quelques instruments...

Rougit légèrement, Elias, peu à l'aise de confier des choses aussi personnelles ─ surtout à toi ─ et ne parvient à en dire plus.

Tu lui demandes quelques détails supplémentaire, et le voilà bien plus embarrassé ─ il n'avait pas l'habitude de parler de lui-même, lui si discret
(en tous points)
et pourtant il n'a plus d'autres choix que de te répondre

▬ Et bien... de la flûte et... hm... du violon... mais je suis loin d'égaler... égaler qui ? ...d'être aussi bon que vous pourriez le penser.

Gêné, Elias, essaie de broder une réponse sans jamais vraiment y parvenir ─ s'égare et ne parvient à assembler correctement des phrases ah ! c'en était ridicule, à la réflexion, pourquoi était-il aussi gêné ? Il se dit qu'il aurait dû éclipser la question, l'ignorer, peut-être, comme il l'aurait fait avec d'autres personnes ─ ou tout simplement mentir, inventer quelques occupations
mais c'était de toi dont on parlait
et à toi il n'avait le droit de mentir
par devoir mais peut-être, aussi...

▬ Ne vous inquiétez pas pour moi, votre Majesté.

Se reprend enfin
(à son plus grand soulagement)
mais le mot "ami" qui ne le laisse pas indifférent ─ ne veut le montrer mais est... satisfait ? heureux ? en vérité, que tu ne le considères pas comme un simple sujet
un simple pion
qu'il a de l'importance à tes yeux, même minime
mais il déteste cette pensée, préfère l'enterrer avant qu'elle ne prenne trop de place dans son esprit ─ non, il n'est qu'une ombre dont on dispose comme on le souhaite, rien de plus
il ne peut se permettre de s'embarrasser avec de telles futilités
(aime-t-il penser)

Il est vrai, Juliette, que c'était dans ton droit le plus strict de t'inquiéter des états d'âmes de tes sujets ─ mais il ne sait, Elias, s'il doit en être gêné ou honoré que tu t'inquiètes ainsi de lui et
pourquoi en faisait-il soudainement tout une histoire ?
Non, il n'avait pas à s’embarrasser de telles choses, de telles pensées parasites ─ seul son devoir comptait, rien d'autre
il n'y avait rien
c'est tout.

Mais tes mots suivant, Juliette, ah ! ils ne le laissent pas indifférent
être un ami était une chose
un confident tout une autre
ils sont si doux, si délicats, ils réchauffent son cœur ─ bien plus qu'il ne veut se l'avouer, bien plus qu'il ne le pense
il n'était pas rien à tes yeux et ça le comblait
(peut-être trop, même)
avoir de la valeur à tes yeux était là quelque chose que jamais, au grand jamais, il ne se serait permis d'espérer

▬ La confiance que vous m'accordez est un véritable honneur, votre Majesté répond-t-il en inclinant respectueusement la tête (véritable reconnaissance qu'il n'aurait jamais pensé avoir un jour) Je tâcherai de m'en montrer digne.

Non, Juliette, il n'en profitera pas, n'osera, même, l'utiliser quelle qu'en soit la manière ; tu le sais mieux que quiconque, pas vrai ?

▬ Assurément, votre Majesté.

Il n'osera jamais, Elias, s'en servir contre toi ─ bien sombre idée qui ne lui effleure même pas l'esprit tant elle est infâme
(c'est qu'on t'as juré fidélité, loyauté et dévotion absolue
qu'on nous garde bien de trahir ce serment fait il y a bien longtemps)

Un nouveau silence qui s'installe, permettant à Elias de savourer les mets et
de s'égarer dans ses pensées un court instant
ne se permet pas d'aller trop loin, cependant ; peut-être par peur de ce qu'il pourrait trouver, par pudeur, aussi ─ ou a-t-il simplement perdu l'habitude de s'écouter, tout simplement

Ta demande l'arrache à ses pensée et il est, à vrai dire, un peu embarrassé à cette idée (encore), lui qui jouait toujours seul, à l’abri des regards indiscrets
(les plaintes du violon qui se mêlent aux siennes, les formule à sa place en des notes pleureuses
le son de la flûte qui vient apaiser quelques instants une âme brisée et réparée à la va-vite)
et au fond, ça lui fait plaisir, tu sais, que tu t'intéresses à lui comme tu t'intéresserais à tes confidents les plus proches, même s'il n'ose l'avouer
cette impression d'être important, d'être, même si ce n'est qu'illusoire, une sorte d'égal qui aurait accès à tous tes petits secrets, ah ! quelle agréable sensation, il est vrai
mais il n'aime pas, Elias, penser à cela ; ne veut pas s'accaparer une place qu'il pense ne pas lui revenir ─ non, ce serait bien présomptueux

▬ Non, ne vous inquiétez pas ; si vous l'ordonnez, j'y accèderai.

Avec plaisir, mais se retient de justesse, encore, de le rajouter
(car tu le sais, Juliette, pendant, qu'il te suffit d'un ordre pour que tes désirs deviennent réalité)
Il le sent, Elias, que les sentiments au fond se bousculent, comme les impressions et les pensées, mais il est, hélas, bien incapable de les décrypter ─ de les comprendre, lui qui s'est presque délibérément anesthésié de toute émotion pour ne laisser que la dévotion

▬ Après tout, votre requête est tout à fait légitime : je n'ai pas pour habitude d'en parler ou de me livrer à ce genre d'exercice en public qu'il croit bon d'ajouter, pour une raison qu'il ignore ─ ne se rend qu'après coup de ses paroles mais, étrangement, ne les regrette pas

C'était la première fois, à vrai dire, qu'il osait en dire quelques mots à quelqu'un ─ aurait pu, il est vrai, se taire, mais étrangement, passé l'embarras, et même s'il ne s'en rendait pas forcément compte, il était
heureux
de partager ces quelques secrets avec quelqu'un
(ou plutôt, avec toi)

Lui aussi, Juliette, était plus que flatté que tu soit son premier public
(que tu t'intéresses à lui)
mais il ne te le diras pas, chassant ce sentiment qui ressemble bien trop, à ces yeux, à une forme de fierté bien mal placée
et ton rire, ah ! ton rire ! mélodieux et détendu comme il n'en avait jamais entendu venant de ta part, rire venant d'un passé qu'il n'avait pas connu mais pourtant si réel, si
authentique
magnifique
alors, pour une fois, Elias se permet un léger sourire ─ sincère, comme on en voyait si peu sur son visage habituellement hermétique à toute émotion

Une fois le dîner terminé, tu lui fait signe de te suivre ─ ce qu'il fait sans plus attendre
Et vous voilà face aux jardins, face à une vue qu'Elias n'avait jamais eu l'occasion de découvrir ─ et c'est face à cette vision idyllique que tu décides de lui laisser apercevoir toute cette peine que tu accumules depuis bien des siècles
(un grand privilège, il le
sent
le sait)
Et il te regarde, t'écoute simplement, sans t'interrompre ─ tant de choses qui passent dans son esprit, tant de choses familières et étrangères en même temps, ah ! il ne sait que penser réellement, n'arrive pas à faire le tri

Tu le tires de ses réflexions avec tes remerciements sincères ─ ah ! qu'il est dur de décrire avec exactitude à quel point ils le touchent, bien plus qu'il ne veut l'admettre
(être si proche de toi, c'était un privilège dont il avait bien du mal à pleinement saisir la portée, tu sais)
S'incline encore, Elias, pour
bien des choses en sommes
main sur le cœur, manque de ployer le genou mais n'en fait rien

▬ Je vous remercie de votre confiance, votre Majesté. Se redresse, petite pause et, droit dans les yeux Si vous avez encore besoin de vous confier ou simplement de mon aide, n'hésitez pas à me solliciter.

Ne se rend compte que trop tard de ses paroles ─ que diable lui prenait-il d'agir ainsi ? d'être aussi indiscret ? ce n'était pas dans ses habitudes, alors
pourquoi, soudainement...?
ne sait pas
(plus)
ah ! c'est agaçant, il déteste y penser
qui es-tu véritablement à ses yeux, finalement ?

La douceur de ta main qui rencontre sa joue ─ le coeur qui loupe un battement ; c'était inattendu, c'était pourtant si
agréable
il tresaille, Elias, lorsque ta main vient se poser sur son visage ─ rougit légèrement, aussi, à ce contact soudain, inhabituel ; coeur qui s'emballe
non ça suffit, ce n'est rien
et te regarde, l'incompréhension dans le regard
(la gêne, aussi)
un geste dévoilant une tendresse qu'on ne t'aurais jamais soupçonné, une tendresse qu'il
apprécie
(bien plus qu'il ne le veut)
et s'il ne l'avait pas retenue avant qu'elle n'entame sa course, sa main serait venue se poser délicatement sur la tienne
mais qu'est-ce qui m'arrive ?
N'arrive pas à comprendre
(ou ne le veut, qui sait)

Les visages qui se rapprochent et le baiser qui se dépose sur son front ─ rougit de plus belle et sent aussi ce satané cœur qui s'emballe encore plus
ne réagit pas
(ne peut pas)
se pose bien des questions sur ton acte sur
sur tout, en vérité
il n'arrive pas à ordonner ses pensées, n'arrive pas à articuler le moindre mot ─ te regarde, surpris et confus
ah ! quel piètre tableau il devait donner, quelle piètre image il devait renvoyer
tu étais bien la seule qui aurait droit à l'image d'un chasseur décontenancé
(perdu dans ses sentiments
c'est à peine s'il parvenait à les déchiffrer et à
comprendre enfin
mais refuse maintenant d'y faire face)

▬ Je... finit par prendre la parole après un silence, essayant de se reprendre. N... N'hésitez pas, oui.

Et il ne peut admettre que ce baiser impromptu était bien plus doux et agréable qu'il ne veuille bien le penser.