♬ J’ai les troubles qui font des bulles - comme une paille qui engrosse un verre d’eau de son air moite. Cela bouillonne de troubles et de bulles dans ma tête. Comme un verre d’eau. J’ai la tête comme un verre d’eau. Ta tête ? Je dois cesser de lire de la poésie - la poésie me perd et m’émeut, elle permet mes émois. Tu t’essayes poète ? J’essaye de raisonner admirablement, non laconiquement. Tu m’épuises.

Je clos le recueil de poèmes, caresse sa reliure mordorée. Un soupire. N’aurais-je pas mieux fait de lire un roman d’aventures extraordinaires ? Alors peut-être mon humeur aurait-elle hérité de bravoure et non de morosité.

Je regarde l’horloge. Il est minuit moins une heure, une heure avant minuit. Ah !
Je me redresse, quitte le moelleux de mon fauteuil.

Il doit arriver.
Je ne l’avais pas oublié, non, jamais. Je ne l’oublie pas. Je m’étais égaré, quelques moments, je m’étais égaré, un peu, mais je sais, je sais qu’il va venir. J’exulte, un peu, un tantinet.

Un sourire enlumine mon visage, paré de tranquillité.

Je quitte l’arrière-boutique et vais au devant de la vitrine. La porte est close, sa clochette muette. Les vitres ont de curieux reflets - prodige des rayons de la lune. Un reflet se démarque, il s’anime, il s’articule. Je scrute. Une silhouette.

Il arrive.

 Je tourne la clé dans la serrure. Je lui ouvre, mon sourire s’étire, je referme, mon sourire demeure. Il y’a une infusion aux fleurs de tilleul de prête. Elle t’attend. Je ne suis pas reconnu pour entamer jovialement les conversations - voilà une lacune que, pour une fois, je déplore.

Cesse ce tintamarre ! Lequel ? Là, là ! Sous les côtes, ça bat comme les ailes d’un moineau ! Cesse, tu cesses ! Une augmentation de mon rythme cardiaque traduit, en l’occurence, ma félicité quant à sa venue. Je te le mangerai un jour, croque ! Croque le petit ver ! Croque le palpitant ! Croque ! Croq- Il suffit.

Je nous guide jusqu’à l’arrière-boutique puis jusqu’à l’escalier étroit et grinçant amenant à l’étage. S’y trouvent ma bibliothèque, mon laboratoire, un garde-manger et mon bureau d’études. C’est dans ce dernier que je choisis de nous établir.

Prends place sur le divan je te prie. Je nous apporte les tasses et la bouilloire. Ce que je fais, non sans prendre également la liasse de papiers soigneusement rangée sur le bureau jouxtant ma chaise. Il s’agit des dernières recherches que j’ai effectué - celles qui m’offrent l’opportunité d’effectuer une nouvelle expérience.

Les fleurs de tilleul sont réputées pour amoindrir l’anxiété et clarifier l’esprit. Bienfaits bienvenus au vu de nos échanges à venir. Si tu es d’accord, j’aimerais que tu me fasses part de tes ressentis de ces derniers jours ? Sa peau a t-elle accroit la litanie qui l'afflige ?

Vous êtes aveugles. Vous êtes aveugles et bornés de niaiserie ! C’est un lâche qui ne veut pas voir ! Comme toi ! Vous êtes aveugles, bornés de niaiserie et lâches. Silence, sorcière ! Nous sommes humains. Il est humain. Un humain qu’il faut réparer, voilà tout. Voilà rien. Aveugles, niais, lâches, condamnés mais... Divertissants.

♬ Il y a des poisons qui ne s’insinuent pas en profanant la bouche. Ils ne s’écoulent ni ne se digèrent. Il y a des poisons plus sombres, des poisons plus charnus, des poisons qu’on distille sous les pensées.

Ils ont les couches épaisses et la chair sale.
Ce sont les poisons de la langue et de ses verbes. Ce sont les poisons des hommes.

Sartre a dit : l’Enfer, c’est les autres.

Les autres, c’est le poison.
C’est son poison.
Laurie.

Tu le contemples, Aliocha, les lèvres closent et le cœur ouvert. S’il a le don de rendre malade, n’a-t-il pas également celui de te rendre humain ?

Tu pourrais pleurer, parfois, souvent, lorsque tu songes à lui, lorsque tu le vois coucher à tes pieds son linceul aux milles chagrins.

Tu ne pleures jamais - pourtant.
Tu te retiens - ardemment.

Je la vois.
La monstrueuse plaie décharnant son avant-bras gauche. Les monstrueuses herbes qui s’y épanouissent. Je m’en occuperais. Ce soir, après, je m’en occuperais. Je la brûlerais.

Sur le blanc de mon calepin se déversent ses souvenirs éparses. Opal. Des ordres. La nuit. Le sommeil qui ne vient plus. Le froid. La chasse. La forêt. Les tilleuls. La faim.

Oh Baba...
Veulent-ils en faire la bête du Gevaudan ?
Veulent-ils en faire le trois-têtes des Enfers ?

Ils.
Les autres, les autres, les autres...
L’Enfer.

Pour tuer un souvenir et pour que jamais il ne revienne, il faut le combattre. Ton sourire est doux, Aliocha. Ton sourire est plein de lui, Aliocha. Laurie, ce prénom revenu, Opal, est le seul que tu as formulé distinctement jusqu’à présent. J’aimerais que tu cherches sous les ronces qui nouent ton esprit, là ou ta mémoire demeure, j’aimerais que tu cherches et que tu retrouves le visage de ce prénom.

Il y en d’autres - des prénoms, des visages.
A chacun de ces prénoms, à chacun de ces visages, j’apposerais le sceau de l’oubli.

Je vais t’aider. Laurie.

Tu tends un bras et l’attrapes - la petit écrin de velours mauve rangé dans un coin du bureau. Tu l’ouvres - délicatement. C’est précieux au dedans du petit écrin de velours mauve.

Un pendule de Thot en onyx et fil d’argent se balance alors au bout de ta main droite.

N’aie pas peur. Tu es en sécurité avec moi. Je veille. Tu es en sécurité ici. Toujours. Détends tes bras. Détends tes jambes. Détends ta nuque. Détends-toi.

Doucement, la douceur imperceptible, je bouge le pendule.

Inspire longuement. Sens l’air emplir pan après pan les alvéoles de tes poumons. Sens l’air soulever ta cage thoracique.

Doucement, subtilement, plus lentement, je bouge le pendule.

Fixe la pierre d’onyx. Expire. Vide l’air. Jette l’air. Change l’air. Inspire. Inspire ma voix avec cette bouffée nouvelle. N’écoute plus que ma voix.

Le rythme à présent régulier du pendule n’a d’égal que les échappées brumeuses de l’infusion chauffant la porcelaine de nos tasses.

Opal. Quel est son visage ? Opal, il faut que tu lui amènes son visage. Laurie, chasse, chasse son visage et amène-le lui. Amène-le moi.

Laisse moi entrer en ton royaume. Laisse-moi voir ce que tu vois, entendre ce que tu entends, connaître les autres - les autres, les autres, tous les autres.

Je t’écoute, je te regarde, je te lecture - lecture mal, lecture floue, lecture lente. Laurie tu m’échappes, tu me perds, tu me fuis - malgré toi, malgré moi, malgré nous. Je veux t’aider. Le puis-je réellement ? Je veux te comprendre. Y parviendrais-je sans me noyer sous tes ronces ?

Soupire.

Je pose le pendule sur la table basse. Je prends mon carnet. Je note : Opal, torture, victimes multiples ? Victime lui-même ? A été forcé ? A été utilisé ? Je pose mon carnet. Un instant, le silence. Un instant, les constats fiels, les vérités cruelles.

Je prends ma tasse de thé. Je bois.

Soupire.

Laurie.
Si je pouvais te couper l’avant-bras - si cela pouvait te rendre la paix au souffle et le souffle à la vie… Laurie, je le ferais volontiers. Je vais déraciner une à une ces vipères de lierres, de terre, toutes tes enfers - je vais les déraciner, je vais les brûler.

Sourire.

Je me lève.
Douceur, lenteur - ne jamais soustraire à tes yeux les voeux dévoués des miens.
Je m’agenouille.
Douceur, langueur - à tes pieds, mes mains sur cet avant-bras de malheur, sur ce qu’il cache, sur ce qu’il excuse.

Ce n’est là que l’illustration d’un mal plus profond - n’est-ce pas ?
Laurie ? Où est le mal ? Où est son origine ? Dis-moi, dis-moi, dis-moi... Est-ce Opal ? Laurie ? Est-ce les Dark Shadows ? Dis-moi, Laurie ! Dis-moi ! Est-ce l'aliénation ? Est-ce ta raison en partance ? Est-ce monde étranger au premier qui nous a vu naître ? Laurie ? Dis-moi !

Clos tes paupières. Murmure. Je vais leur intimer de se taire. Tendresse. Que pour quelques heures au moins, elles te concèdent une accalmie.

J’ai quelques dons qui ne relèvent pas de la magie. Le sais-tu ? Tu ne le sais pas - comment pourrais-tu ?

Au passé, la magie n'avait lieu d'être que dans les livres.

Il me reste un souvenir, un parmi tant d’autres - non, une impression, oui, c’est davantage une impression. Un schéma que j’ai reproduis par instinct - un schéma d’antan, le souvenir, l’impression.

Impression humaine.

Lorsque j’ai les angoisses qui cisaillent ma peau, lorsque j’ai l’échine qui se pare d’épines… Je fredonne - la comptine, la berceuse - et sur un bras - sur un bras, de haut en bas, je coule mon pouce - pression subtile, pression chronométrée.

Ainsi est-il, mon don sans magie. Ainsi puis-je espérer qu’il puisse te soulager.



Sur cet avant-bras que mes mains cajolent, mon pouce droit - que je presse, que je glisse - lentement, délicatement, jusqu’aux creux de ton coude, retour, jusque’à l’articulation de ton poignet - encore, encore, encore.

Peux-tu me laisser te manipuler à ma guise ? Peux-tu me laisse te dévorer ? Le sais-tu ? En moi, tu n'auras plus rien à craindre les affres de ce monde. Non, tu ne sais pas.

Appétit. Silence, sorcière ! Non, non.

Silence.

Silence.

Entends ma comptine à voix basse - entends- ent-

Picotement.

Un picotement dans ma gorge.
Née l’envie de tousser.

Ah. Il est vrai.
Laurie, tes maladies.

Non, non, non.
Je ne tousserais pas.

Entends ma comptine à voix basse - entends mon enfance (est-elle, fut-elle ?) - entends l'humanité (au passé).

Спи, младенец мой прекрасный, sleep, baby, my dearest, tихо смотрит месяц ясный quietly the bright moon b колыбель твою is looking at you in the cradle...


//// later ////

repose créature monstre homme
sous la coupe de la sorcière
bête à corne
repose créature monstre homme
dans le ventre de l'ogresse
coeur au ventre

mais dès demain, pars, fuis
car je ne saurais te soustraire à ton mal
pour peu qu'il enfante des amours au mien