Qu’il était frustrant de toujours se voir comme acquis et de donner sciemment raison à son adversaire. Myst se collerait bien des baffes s’il se rendait compte de ses erreurs, si son libre arbitre n’était pas devenu aussi biaisé.

« Épuisant », c’était le mot. Tremaine était aussi épuisant qu’envoûtant, au grand désarroi de la panthère. Un frisson lui parcourut l’échine lorsque le souffle de sa voix vint effleurer son oreille, dont les mots heurtèrent ses tympans avec douceur. Son poul s'accéléra, faisant apparaître quelques légères rougeurs au niveau de ses pommettes. Ces yeux rubis qui le détaillaient avant de s’approprier à nouveau ceux ambrés du noiraud faisaient naître quelque chose d’exaltant. Ses émotions chaviraient, trompant son jugement. Encore.

- Quelle douce attention, vous m’en voyez presque touché…

Sourire amère devenant un brin sincère. Myst avait beau se débattre, il s’était empêtré dans les mails du filet depuis bien trop longtemps. N’ayant pas réussi à chasser son prédateur à temps, la panthère pouvait répondre à la moindre de ses attentes par simple affection à son égard. L’ « amour » rendait aveugle qu’il disait.

- Vous avez gagné… soupira le noiraud avant de passer la porte si gentiment ouverte, ne pouvant décrocher son regard de celui qui s’improvisait portier.

Myst avait, malheureusement, une petite idée de ce qui l’attendait derrière cette porte et jamais il n’aurait dû la franchir. Il était bien trop tard pour réfléchir. Il avait beau se convaincre et se débattre, la fin restait toujours la même : il n’était qu’un simple jouet. Un faible chaton, docile, dont la patience du Tremaine sortait toujours victorieuse.

Myst se laissa guider par Wick dans le bâtiment.

- Si vous désiriez avoir ce « genre » de compagnie, vous auriez pu être explicite dès le début. Il m’arrive de faire des concessions pour avoir la paix, même si je suis difficile en affaires…

Tente de grimacer, mais n’y parvient pas. Myst se contente de lever sagement la tête comme tout indiqué par les doigts de Tremaine. Il restait silencieux, il n’avait pas grand chose à dire - ou du moins, ce n’était plus le cas.

Lorsqu’elle mit un pied dans la chambre, la panthère ne put retenir un regard étonné. Il observa la pièce chichement décorée dans les moindres détails aussi bien admiratif qu’en recherche d’une éventuelle sortie de secours qu’il n’aura sûrement plus envie d’emprunter sous peu. Tous deux n’appartenaient décidément pas au même monde, sur tous les domaines.

- Je n’imagine pas le prix d’une nuit ici…

Le temps de ramener son attention sur la situation actuelle, le père Tremaine avait eu le temps de se débarrasser de quelques vêtements, inutiles en intérieur. Fort heureusement, Myst n’était pas encore au stade absurde de réclamer de l’attention quand on ne lui en donnait pas. Concernant la panthère, elle n’avait rien à dévêtir pour le moment - peut-être retirer ses bottes, ce serait bien dommage d'abîmer un si beau parquet, sans compter le prix des réparations qui va avec.

Finalement, le blond revint près de sa proie, lui proposant des choses qui n’étaient pas spécialement raccord avec cette soudaine proximité. Les lèvres de Myst s'entrouvrirent délicatement au contact de ses doigts.

Myst ne pouvait nier que l’homme en face de lui savait y faire en termes de sensualité - même s’il ne le dirait certainement jamais haut et fort. Myst vint récupérer cette main un peu trop curieuse à son goût avec la sienne, entremêlant ses doigts aux siens avec douceur. Il approcha un peu plus son visage du sien. Il pouvait sentir distinctement les arômes de son parfum.

- Parler serait tentant, mais…

Myst recule subitement sa tête, un fin sourire aux lèvres.

- Vu que c’est si gentiment demandé, je veux du nougat. J’ai faim.

La panthère flirtait un peu trop avec la limite. Un peu plus et il l’aurait embrassé ou croqué ses doigts.

Il savait que l’homme en face de lui était prévenant, mais tout de même… Myst était presque déçu de ne pas voir une mine frustrée se dessiner sur le visage du blondin, en l’absence de délicieux nougats. Tant pis…

Après avoir manqué de peu de croquer pour bon les doigts du Tremaine à défaut de la sucrerie, le noiraud continua de se régaler de ce plaisir sucré, savourant chaque carré de nougat. La méfiance, l’angoisse de ce qu’il pourrait subir et la colère ne composaient pas le meilleur cocktail pour ouvrir l’appétit. Et pourtant, forcé de constater que le pouvoir du Monsieur s’était approprié les émotions de la panthère au point de la détendre et de la calmer. Seul et unique aspect positif de ce pouvoir malsain.

Léchant le bout de ses doigts après avoir fini les nougats - il sait que Wick n’en était pas fan, donc autant se goinfrer - ses iris ambrés se posèrent sur un Tremaine patient et souriant. Comment cet homme faisait-il pour ne pas s’emporter ? Cela dépendait de ses humeurs, mais tout de même… On croirait presque que Wick Tremaine le tyrannique n’était qu’une légende basée sur des on-dit. De quoi rester déstabilisé.

- Merci pour cette gourmandise, même si ce n’est pas un acte désintéressé de votre part… J’imagine que vous mourrez de faim, vous aussi…

Résigné, Myst serra cette main posée sur la sienne. Il serait aux anges s’il aimait vraiment cet homme. L’ironie de cette tirade atteignait des sommets. Néanmoins, il était conscient qu’il n’aurait jamais le dernier mot, alors… autant rendre ce moment un minimum agréable, même si les regrets le grignotteront plus tard.

Le noiraud réduit la distance entre eux et vint susurrer quelques mots à l’oreille du blond après avoir placé quelques mèches de cheveux derrière cette dernière.

- Dites-moi ce qui vous ferez plaisir… Ne m’abîmez pas trop, que je puisse retourner travailler demain…

Après tout, le patriarche avait toujours le dernier mot.

Comme demandé, Myst vint sceller ses lèvres à celles de Wick, un baiser brûlant auquel il ne s’y attendait pas. Il avait cessé de réfléchir. Ces pensées parasitantes ne changeraient plus rien à la situation. Il était devenu pénible de se poser des questions et de trouver un sens à tout ceci. Trop pénible.

« Mourir de faim » s’avérait être une expression bien trop légère par rapport à l’appétit du blond, habilement dissimulé durant tout ce temps. La colère s’était endormie chez l’un pour laisser place aux ardeurs de l’autre, décidément.

Haletante, la panthère avait bien du mal à récupérer son souffle après pareille démonstration. Gémit et se tord un peu lorsque l’on vint lui mordiller l’oreille ; ça chatouillait.

- Vous… Vous êtes en manque… ou quoi…

Se redresse un peu sur les coudes pour retirer lentement quelques premiers accessoires de scène, ne quittant pas Wick des yeux, d’un regard brillant et presque fiévreux. Pendentifs, gants, longues manches… Flemme d’enlever son haut, dos sur le lit. Retire simplement sa ceinture.

Ses mains effleurèrent le torse du patriarche, dessinant quelques muscles, parcourant quelques côtes pour les remonter jusqu’à son dos. Myst l’attira vers lui, mordillant sa lèvre inférieure avec envie avant de l’embrasser passionnément. Il laissa ses mains caresser son dos jusqu’au creux de ce dernier.

- J’imagine que… vous voulez vous attaquer directement au plat principal ?

Autant mettre rapidement un terme à cette mascarade, bien qu’agréablement divertissante pour le moment.

Chaque contact apportait son lot de frissons, délicieux et plaisants. Redoutant d’abord un traitement peu agréable, il ne pensait pas que Tremaine se montrerait aussi sensuel et passionné à son égard. C’était surprenant, des souvenirs que la panthère gardait de son séjour au manoir. Tantôt ses mains s’accrochaient aux draps, tantôt elles griffaient. Souffle court. Gémissements. Soupirs. Myst n’était pas aussi discret et calme qu’il ne l’avait envisagé.

Une nuit charnelle qui était aussi courte qu’interminable.


Les premiers rayons de l’aurore vinrent se faufiler entre les rideaux de la chambre. La lumière était douce, subtile, mais elle piquait déjà bien les pupilles du noiraud. Myst lâcha un râle étouffé. Il n’avait pas fermé l'œil de la nuit, comme pouvaient en témoigner les vilaines cernes coulant sous ses yeux. Il posa son poignet sur son front. Sa tête semblait lourde et difficile à soulever. Pourtant, l'acrobate allait devoir retourner au chapiteau pour subir l’une de ces incessantes répétitions… Quelle plaie. Il allait devoir emprunter le fond de teint d’un collègue pour paraître plus frais.

Courbaturé et mordu d’un peu partout, Myst se redressa lentement pour adopter une position assise peu agréable - ce genre de nuit mouvementée était toujours accompagnée de petits désagréments, malheureusement. Il observe un moment ses bras nus et passe une main dans son cou. Il allait falloir un pot d'anti-cernes pour masquer tout ceci.

Ses iris ambrés s’égarèrent un instant dans la pièce avant de se poser sur la tignasse blonde allongée à l’autre bout du lit. Le patriarche paraissait serein, paisible. Le regard de la panthère restait brumeux, vide. Pas de bonjour. Pas de tendresse. Il approcha ses mains du cou de l’homme, jusqu’à en effleurer la peau. Myst était mitigé. Myst restait confus par rapport à son ressenti et sa volonté. Amer de ne pas avoir maintenu de résistance jusqu’au bout, il éprouvait aussi une certaine satisfaction.

Myst grince des dents, renonçant à son idée première de l’étouffer. Il en était incapable. Son propre comportement l’écoeurait et pourtant, il ne pouvait nier avoir participé à cette valse nocturne de son plein gré et d’en avoir eu envie. C’est comme s’il se forçait à avoir des remords pour faire meilleure figure.

Le noiraud continue de réfléchir longuement et silencieusement à la question, alors que l’eau chaude de la douche s’écoule le long de son corps. Dubitatif. Il sortit de la salle de bain, en partie habillé, les cheveux humides. Il commença à se parer de ses accessoires avant de finalement enfiler ses bottes.

Dos au lit, il ne jeta qu’un simple coup d'œil par-dessus son épaule, ajustant la manche à son bras gauche.

- Je passerai au manoir dans huit jours, comme convenu… Bonne journée.

Son ton était sec, emprunt d’aucune chaleur à contrario de la veille.