De nombreuses fois, elle avait rêvé de ce moment.
Chaque songe était différent, mais la finalité était la même : il mourrait sous ses coups. Elle manqua de peu d’exaucer son souhait ; fut même gravement blessée lorsqu’au lieu de porter le coup final, elle hésita. Si bien qu’elle se demandait si elle en était vraiment capable. Son esprit semblait être prêt, tout comme son cœur ; mais pour une fois, le corps n’avait pas suivi l’injonction qu’elle lui avait donnée.

La main avait refusé de porter le dernier coup et elle en avait payé le prix fort. L’épiderme s’en souvient, Darya également ; elle en était devenue presque plus motivée que l’intéressée pour supprimer définitivement l’ancien maître de son amante de ce monde. À tout jamais, une bonne fois pour toutes.

Crowe ne voulait pas la mêler à cela ; mais elle ne put lui mentir à ce sujet. Et bien qu’elle insista pour se débrouiller seule, elle n’eut aucun moyen de calmer les ardeurs de l’araignée. Elle avait pris la décision de la suivre dans ce périlleux voyage et rien ni personne ne semblait pouvoir l’en empêcher. La bretteuse dut se résoudre… d’aucune façon il fut capable de négocier avec elle, alors les voilà.

Les voilà parcourant la forêt ; cherchant leur cible. Traquant celle-ci jusqu’au bout du monde s’il le fallait. L’épéiste avait encore du mal à le réaliser, mais elle devait s’y faire également : à la fin de ce périple… seul l’un d’entre eux restera en vie. Elle ou son mentor.

Il n’y avait pas d’autres solutions. Et pourtant… la traqueuse ne saurait dire si elle se sentait prête ou pas. Elle avait peur d’hésiter à nouveau ; sachant qu’elle aurait dû mourir des mains de celui qui l’avait formé ; mais qu’il n’en fut rien. Kiyoshi lui avait sauvé la vie. Pour quelle raison, elle l’ignorait encore ; avait la ferme intention de le découvrir cependant.

Et lorsque son amante lui demanda comment avait-elle fait pour retrouver sa trace, Crowe fut toujours aussi franche et directe avec elle qu’à l’accoutumée :

— Un mélange d’investigation et de déduction, saupoudré d’un zeste de chance. Le reste, je ne le laisse pas au hasard, mais à mes sens. Après avoir obtenu un emplacement approximatif, il ne me reste plus qu’à suivre son odeur comme un limier. Ironique, si nous ne nous étions pas affrontés auparavant, me laissant presque pour morte, je n’aurais pas été capable de traquer de nouveau son odeur. Maintenant… elle me paraît comme imprégnée dans l’air. Ce pauvre fou a creusé sa propre tombe.

Sans entrer dans les détails, sans embellir, Crowe servait une vérité crue à son amante, comme à son habitude. La traqueuse ne souhaitait pas avoir à lui mentir, omettre des informations cependant, c’était son choix. Pas parce qu’elle ne lui faisait pas confiance… mais pour des raisons qui lui étaient propres et sur lesquelles elle ne souhaitait pas s’étendre. Darya n’avait pas besoin de tout savoir quand bien même elle était amoureuse du papillon.

Crowe n’avait aucunement l’intention de changer ce qu’elle est. Darya devait composer avec ceci. Si elle n’en était pas capable… la traqueuse ne pouvait plus rien faire pour elle. Les sentiments qu’elle éprouvait ne justifiaient pas toutes les folies. L’amour aveugle, elle en avait déjà fait l’expérience, ainsi que les concessions pour faire plaisir à l’être aimé… et quand elle voyait ou cela l’avait mené, elle ne se voyait pas recommencer de sitôt.

Et pourtant.
Elle était là l’araignée, alors que le papillon n’avait pas souhaité sa présence.
Tandis qu’elle lui demandait quel était son plan, l’épéiste répondit :

— D’abord le retrouver. Évaluer la situation ensuite. Enfin… le reste m’appartient. J’apprécie tout ce que tu fais pour moi Darya… j’oserais même dire que je ne ne saurais comment te remercier pour tout ça. Mais ne te méprends pas sur une chose : je serai la seule à l’affronter. Je veux être la seule à me confronter à cette partie de mon passé. Je sais que ça va être difficile pour toi, mais tu vas devoir respecter mon choix. Tu m’as fait confiance jusque là ; tu vas devoir continuer.

Tout de suite elle annonçait la couleur.
Elle en profita cependant pour relever un point… intéressant.

— Y’a juste une petite chose qui me chagrine… et lorsque son amante lui demanda quoi, elle répondit après un soupir étrangement frustré : j’ai comme l’impression qu’il n’est pas seul. D’autres odeurs semblent graviter autour de la sienne. Sauf que je connais Kiyoshi, il est comme moi, un nomade allergique à la compagnie des autres quand il voyage ; sauf quelques rares exceptions. Va falloir qu’on reste sur nos gardes… mais on commence à le rattraper petit à petit. Gardons le même rythme.

Et comme à son habitude, elle se servit des enseignements prodigués pour servir ses propres intérêts. Examinait les traces de pas, reniflait les odeurs, analysait, en déduisait la direction à suivre. Toujours se fier à ses sens et son expérience. Toujours se fier à son instinct. Ses sentiments, elle les avait emprisonnés dans une cage qu’elle n'ouvrirait qu’en cas d’absolue nécessité.

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Elle s’en doutait, Crowe… de ce que Darya ressentait.
Elle l’avait observé maintes et maintes fois maintenant. L’intensité de ses sentiments à son égard, cette irrémédiable envie de la voir triompher, de la voir guérie de tous ses maux. Que ce fut par amour ou par cette envie égoïste de voir la bretteuse recentrer toute son attention sur elle ; quelle importance au final ?

L’araignée était là, accompagnait la brune aux reflets indigo dans sa quête de vengeance. Peut-être se demandait-elle pourquoi aller si loin pour en arriver là ? Le fait est que sa détermination équivalait à celle de son amante… en était presque supérieure. Elle voulait le voir mort elle aussi, ce danger éloigné définitivement de son amante.

La traqueuse quant à elle, ne savait véritablement pas quoi penser de tout cela. Plus le temps avançait plus la distance entre elle et son objectif s’amenuisait et plus elle en devenait indécise. Malgré son passif avec lui, elle n’en oubliait pas tout le reste. Kiyoshi l’avait construite au même titre que Lilith avant lui et dans une certaine mesure Esmée après lui.

Elle se souvenait de tous les apprentissages qui lui avaient été dispensés. Survivre, se battre, traquer, tuer. Mais il y avait aussi tout le reste. L’honneur, le sens du devoir et des responsabilités, les bonnes façons de se comporter ; tout cela faisait partie de son héritage. Et Crowe n’en avait fait qu’à sa tête. Tous ces enseignements, elle les avait utilisés pour servir ses propres intérêts et non le bien commun comme son mentor l’aurait voulu. Et le pire dans tout ça ? Elle n’en avait aucun remords. Pas même l’ombre d’une honte à ce propos.

Et maintenant quoi ? Le sauver pour le tuer ensuite comme le disait son amante ?
─ Tout dépendra de la situation. Mais une chose est sure… je serai extrêmement contrariée si quelqu’un venait à porter le dernier coup à ma place. J’ai commencé tout cela, c’est à moi de le terminer. Dit-elle tout en continuant d’avancer avec sa bonne compagnie.

Toujours focalisée sur son objectif, toujours plongé dans ses réflexions, la traqueuse examinait toutes les traces, cherchant à donner du sens à tout ce qu’elle voyait. Et c’est alors qu’elle sentit une odeur. Bien familière : du sang.

D’un geste vif, elle vint attraper la main de son amante ; la protégeant d’un danger qui pourtant était encore loin. D’un geste de la tête, elle l’intima à la suivre en silence. Quelques pas plus tard, elles tombèrent nez à nez sur un cadavre, appuyé contre un arbre. Crowe quant à elle, fit parler son expérience pour déterminer si celui-ci avait une quelconque importance dans cette affaire :

─ Hm… pas mort depuis longtemps. Quelques heures à tout casser, peut-être moins. Un coup unique dans le poitrail. Vu la taille de la blessure, ça vient d’une lame d’une largeur similaire à la mienne. Un coup d’estoc parfaitement placé, un coup d’expert. Simple et efficace, sa signature. Un sourire vint alors se former sur son visage… sa théorie semblait être exacte, il ne manquait plus qu’à la vérifier. Tout en manipulant un peu le corps, elle compléta son analyse : du sang disséminé un peu partout, avec plusieurs odeurs mélangées. Pas celui qui m’intéresse cependant. Kiyoshi a réussi à se débarrasser de lui, mais il est probablement tombé dans une embuscade. S’il n’y a pas d’autres cadavres, ça veut dire une chose : il est encore en vie, tout comme ses ravisseurs. Je n’arrive pas à déterminer leur nombre, il va falloir avancer prudemment. Lorsque nous serons à bonne distance, je le saurai.

Encore accroupie, elle se redressa lentement ; dans une petite grimace à peine perceptible. Elle le sentait, son corps n’était pas entièrement rétabli. Mais ça, elle se gardait bien de le dire. Si proche du but… elle sait qu’elle ne lâchera pas l’affaire. Et pendant qu’elles reprenaient leur marche en avant, s’approchant irrémédiablement de leur destination finale ; Crowe compléta son autopsie par une déclaration qui ne manquerait pas d’intéresser son amante :

─ Fascinant. Lorsqu’elle lui demanda quoi, la traqueuse rétorqua : il porte la marque de ma petite colombe préférée. Tu sais qui m’a donné mon prénom Darya ? Crowe ? Essaye de deviner. Il y a quelques années, nous formions un duo de choc. Moi la corneille, ou le corbeau si tu préfères : Crowe. Et elle, la colombe. Si belle, si douce… et pourtant si létale. Je ne sais pas pourquoi j’inspire tant de sobriquets reliés aux bébêtes, mais la vie est ainsi faite. Dit-elle avant de laisser échapper un petit rire, suivi d’une toux qu’elle ne put réprimer cette fois. Trahissant la gravité de ses blessures, pas encore totalement guéries. Et bien qu’elle se doutât que Darya allait rebondir là-dessus ; la bretteuse ne semblait pas être disposée à l’écouter cette fois.

Sa curiosité était bien trop importante :
─ Passionnant vraiment… je me demande bien ce que mon mentor va trouver à en redire…

Toujours blessée, toujours fragile.
Crowe avançait pourtant, sans se retourner.
Pour le meilleur comme pour le pire.

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Jalousie, possessivité, Darya montrait ses vraies couleurs.
Et si la traqueuse pouvait en être flattée, il n’en était rien. L’araignée ne comprenait peut-être pas que son amante ne faisait qu’être factuelle ; mais cela n’aurait probablement rien changé que de lui dire. Trop tard. Le mal est fait. Même d’une déclaration à faible volume, Crowe pouvait ressentir toute la rage et l’amertume qui habitaient celle qui l’accompagnait.

Mais à cet instant, elle n’avait ni la force ni l’envie de s’y intéresser. Et bien que c’était purement égoïste de sa part, Crowe ne se voyait pas non plus s’excuser de la façon dont elle faisait référence à celle qu’elle avait aimée.

La traqueuse n’avait de toute façon pas besoin d’une araignée joviale. Une araignée obéissante et létale lui suffisait. Devait-elle en avoir honte ? Peut-être. La ressentait-elle ? Pas une seule seconde non. Crowe n’était pas là pour gérer les états d’âme de son amante. Elle avait un objectif à accomplir et celle-ci avait insisté pour l’accompagner ; le reste, elle n’en avait cure.

Les deux marchèrent sans un mot, sans un regard. La bretteuse ne fit aucun effort et la dame aux araignées ne semblait pas non plus disposée à en faire. L’une trop préoccupée par ses sentiments, l’autre par sa quête… difficile d’être sur la même longueur d’onde. Aidé de l’acuité de ses sens, elle ouvrait la marche, pistait sa cible comme la chasseresse qu’elle était lorsqu’elle le voulait.

Elle sentait une chose : elles se rapprochaient dangereusement de leur cible, leur marche étant  probablement bien plus rapide et soutenue que celle de son mentor et de ses ravisseurs. Les disciples de la colombe ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi Kiyoshi ? Que de questions sans réponses… qui l’attendaient sans doute au bout du chemin.

Le temps filait… sans dire un mot, sans un regard pour son amante. Jusqu’à ce que Crowe s’arrête et s’exclame d’un ton agacé :
— L’idole et l’amour de ma vie ? Vraiment ? Toi qui sembles tout connaître de moi, tu peux me dire ce que je ressens pour elle à présent ? De l’admiration ? De l’amour ? Hm ? Dis-moi, je suis curieuse… tu parles comme si tu savais. Le regard posé sur elle, la voix basse, mais non moins agressive, Crowe semblait vouloir lui chercher des noises. Ou bien clarifier son propos… mais de la pire façon possible : ne confonds pas le respect que j’ai pour elle et la façon dont je parle d’elle pour une quelconque nostalgie de notre relation. Garde la tête sur tes épaules et ton sang-froid veux-tu ? Tu ferais mieux de ne pas oublier les sentiments que j’ai à ton égard plutôt que te focaliser sur ceux que j’ai ressentis pour une autre. Les uns appartiennent au passé, les autres au présent. Ah oui… j’en oubliais presque une dernière chose.

D’un bond elle se rapprocha alors de son amante, posa une main sur son épaule avant de la toiser d’un regard mauvais. À des années-lumière de la tendresse dont elle avait fait preuve quelques jours auparavant. Elle s’exprima ensuite d’un ton aussi froid que désagréable :

— Lorsque viendra le temps de la tuer. Tu ne poseras pas la main sur elle. Fais-ce que tu veux quand elle ne respirera plus, je m’en fiche. Mais à l’instar de mon mentor, seule la lame de mon arme caressera sa peau. Je serai la seule qui repeindra le sol de son sang. Toi… tu seras là pour admirer le spectacle. Tu pourras même en profiter autant que tu voudras, si tu as encore dans ton esprit le moindre doute me concernant. Mais te mettre en travers de mon chemin… serait une idée, fatale.

Mortellement sérieux était le papillon.
Peut-être aveuglée par sa vengeance, en oubliait presque ses sentiments à l’égard de celle à qui elle parlait. La haine trop souvent trop proche de l’amour ; la barrière entre les deux était tellement floue. Mais si Darya avait un quelconque doute quant à la suite des événements, Crowe clarifia cela ; bien que la forme était à revoir.

Il n’y avait point d’amour qui unifiait Esmée à Crowe. Point de nostalgie sur leur relation. Uniquement de la haine. Une envie immuable de venir à bout de la colombe. Darya n’avait ni le droit ni même la décence d’imaginer qu’elle avait son mot à dire dans cette histoire. Car ce qu’elle ressentait pour Crowe n’excusait pas tout.

Et c’est alors que la bretteuse posa une main sur la poignée de son arme. D’une impulsion de son pouce, elle poussa l’ornement, dévoilant quelques centimètres de la lame. Elle s’expliqua de ce geste dans la foulée :

— Nous sommes proches. Je peux analyser la situation maintenant, avant qu’on ne passe aux choses sérieuses. Je peux compter sur toi pour rester sage ?

Bien loin de la douceur dont elle faisait normalement preuve pour elle.
Bien loin de l’excitation qu’elle ressentait d’habitude.
La traqueuse n’était pas là pour s’amuser.

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Si Crowe voulait la faire réagir, elle avait outrageusement réussi son coup.

La tension était montée d’un coup. Non pas que la traqueuse sous-estimait son amante, mais ses mots laissèrent entendre le contraire ; ce qui ne manqua pas de la faire méchamment tiquer. Une nouvelle de ses facettes se dévoilait sous les yeux de la mercenaire de la brigade. Elle aurait pu être impressionnée, aurait pu fuir son regard, il n’en fut rien.

Elle prenait son amante au sérieux, la respectait. Mais en avoir peur ? Jamais de la vie. Même sa plus grande peur l’excitait au plus haut point ; alors celle de voir Darya s’énerver ? Une nuisance, rien de plus. Qu’elle ait raison ou tort ça encore… c’était une autre histoire.

Sujet clos donc. Pour le moment en tout cas ; la traqueuse ne réagit même pas, dans son esprit, elle n’avait plus de temps à perdre avec l’araignée pour se justifier de nouveau. Elle avait comme l’impression que c’était peine perdue. Retour aux affaires donc.

Sa main quitta son épaule, elle vint s’agenouiller alors à quelques mètres de son amante. Concentrée, elle s’appliqua à recueillir toutes les informations dont elles avaient besoin pour que tout se déroule sans accroc. Bien évidemment, pendant son enquête, elle partagea tout ce que ses sens captèrent.

Sans une variation dans la voix, sans émotion. Focalisée sur la tâche à remplir, ignorant les mots prononcés par son amante quelques secondes plus tôt.

─ J’entends une dizaine de rythmes cardiaques. Ils semblent s’être arrêtés pour prendre une pause. L’un d’entre eux fait référence au repère de la colombe ; sans doute le chef de l’escouade. Deux d’entre eux manient une arme à distance, ils sont la priorité de tes filles. Une fois éliminés, on pourra se débarrasser des autres. Je pars devant, je vais les contourner pour un meilleur effet de surprise. Je te laisse te débrouiller pour le reste. Tu n’as qu’à marcher quelques minutes, droit devant, pour arriver à leur hauteur. Je profiterai de la confusion pour les prendre à revers.

Elle se releva alors, tapa sur ses genoux pour en faire partir la terre amassée, puis commença à avancer. Mais avant qu’elle ne soit hors de portée de son amante, elle s’exclama :

─ Sois prudente. Ô toi, mortelle araignée.

L’insolence à l’état pur.
Nous étions loin de l’instant de tendresse qu’elles avaient partagé quelques nuits auparavant. Clairement, les deux femmes avaient des choses à se dire après tout cela. Mais pour le moment, Crowe comptait sur Darya et inversement. Même fâchées, même irritées, elles se faisaient confiance. La bretteuse abandonna alors sa compagnie, et haussa le rythme de sa marche pour contourner ses cibles.

Lorsqu’elle fut à bonne distance, elle attendit sagement. Katana à la main, visage fermé, un soupir s’échappa de ses lèvres. Elle aussi n’y prenait aucun plaisir pour le moment. Mais elle n’était pas là pour s’amuser. Pour régler ses comptes… rien de plus, rien de moins.

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Araignée vexée, mais araignée obéissante.
Respecta à la lettre les instructions données, pour que le papillon puisse attaquer en toute tranquillité. Sous les yeux d’un mentor impuissant, incapable d’arrêter cette tuerie, pieds et poings liés. Impuissante, la traqueuse le fut également, impossible d’empêcher la blessure de son amante, brisant sa propre concentration.

Elle voulut lui venir en aide, mais ne put le faire à temps. Et de suite elle s’en voulait. Incroyable, mais vrai, pendant l’espace d’un instant, elle se fichait de tout le reste, même de son ancien maître sur le sol allongé. Une fois le sol jonché de cadavres, ne laissant qu’elle, l’araignée et son mentor encore en vie, Crowe s’approcha de la dame aux araignées. Oubliant la présence de sa cible.

Elle tendit une main vers elle, puis lui dit d’une voix autoritaire :
─ Montre-moi. Blessure superficielle, pas de quoi paniquer. Quand bien même, la brune aux reflets indigo ne put s’empêcher d’y aller de son commentaire : il faut resserrer un peu le bandage, laisse-moi faire. Minutieux fut le papillon. Mit tout le reste en suspens pour s’occuper de l’araignée. Dans un sourire gêné, elle conclut : c’est mieux. Mortelle, mais vulnérable… fais attention. On règlera ça en rentrant.

Parce qu’elle avait la ferme intention de rentrer.
Et puis soudain, l’attitude de la bretteuse changea d’un coup. Un sourire mauvais étira son visage dans une expression tout aussi mauvaise. Enjouée, elle s’approcha de son mentor en fredonnant, sautillant à cloche-pied pendant qu’elle réduisait la distante entre elle et lui. Dans un premier temps, elle enleva le bâillon, s’assurant qu’il puisse lui parler.

Sauf qu’elle ne s’exprima pas dans sa langue natale, celle de Wonderland. Elle s’exprima dans le langage que son mentor lui avait appris ; celui de son pays, celui du soleil levant :

─ Comme on se retrouve. Kiyoshi-sensei. Dans un état lamentable certes… la vie n’est pas tendre avec nous. Il semblerait que la colombe ait changé d’avis à ton sujet ? Ces hommes sont les siens… ils portent sa marque. Ironique n’est-ce pas ? Tu sauves sa vie en refusant de la tuer, et elle te remercie comme ça. Prête à faire de toi un esclave.
─ Moth… tu es donc en vie. Je ne saurais dire si je suis heureux ou attristé de te revoir, dit-il en conversant dans la même langue, avant de reprendre : maintenant quoi ? Tu vas finir ton œuvre ? Tu es fière de ce que tu es devenue ? Utiliser mes enseignements pour tuer à tour de bras ! Ton katana devrait servir à défendre la vie de ceux que tu aimes… pas prendre celle de ceux que tu détestes !
─ Pourquoi pas les deux ? Tu me fais la leçon… mais quel hypocrite tu es.

D’un geste vif, elle coupa les liens de son mentor avant de s’éloigner de lui. Très vite, elle ramassa l’arme de prédilection de son mentor sur l’un des cadavres, avant de la lancer à ses pieds. Séparée de lui de quelques mètres, elle l’intima toujours en nippon dans le texte :

─ Ramasse ton katana, maître. Nous devons terminer ce que nous avons commencé. Pas de voix tremblante, mais une émotion différente. De l’impatience, de l’euphorie. Crowe, même blessée, même harassée, savourait ce moment. Enfin elle pouvait en avoir le cœur net. Enfin elle allait savoir si elle était capable de porter le coup de grâce.

Resserrant sa propre prise sur la poignée de son arme, elle commença à s’amuser avec, la fit virevolter dans sa main, toujours en fredonnant un petit air jovial. Ce dont elle ne s’attendait pas en revanche, c’est de voir son mentor s’adresser directement à Darya ; cette fois dans une langue qu’elle pourrait comprendre :

─ Et vous, vous cautionnez ça ? Vous êtes heureuse d’être l’amie d’une personne pareille ?! Elle ne sème que la mort sur son chemin ! Elle est incapable d’aimer, elle déshonneur son maitre en tuant tout sur son passage, pervertissant les enseignements que je lui aie prodigués !
─ Ferme-là ! Hurla la bretteuse d’une voix stridente. Elle surenchérit ensuite : mais quel hypocrite tu es ! Juge les autres du haut de ton piédestal ! Tu te caches derrière ton sens de l’honneur et du devoir pour éviter d’avouer que si toi aussi tu as pris autant de vie, ce n’était ni pour protéger ni pour honorer ta famille ! Tu as tué parce que tu aimes ça ! La différence entre toi et moi… c’est que j’assume aimer prendre des vies !

Elle le savait maintenant. Elle entendait le corps de son mentor ; lui dire la vérité. Celle qu’il ne voulait avouer, celle qui lui faisait honte. Enfin, Crowe était débarrassée du moindre remords à son égard. Elle le savait maintenant… ils ne pouvaient co-exister. Elle et son maître ne pouvaient faire partie du même monde. L’un d’entre eux devait partir… pour toujours.

─ Il n’y a aucun moyen de te raisonner… tu restes un monstre Moth. Je ferai ce que j’ai à faire.
Un sourire mutin aux lèvres, la bretteuse se mit alors en position, ignorant au mieux la douleur. Elle répondit alors en ces termes :
─ Tu essaieras. Mon vieil ami. Darya… tu te rappelles ce que je t’ai dit ? Je sais que tu es fâchée contre moi, alors si par malheur je n’ai pas l’occasion de te le dire plus tard, je veux que tu le saches : il ment. Je suis capable d’aimer. Et j’ai beau refouler ce sentiment parce qu’il me fait peur, je veux que tu saches que je t’aime, même si parfois tu me tapes sur le système !

Elle aurait aimé un moment plus romantique pour lui dire cela. Mais malheureusement pour elle… il n’y en aurait peut-être pas d’autres. Mais aussi et surtout, elle défiait une dernière fois son mentor. Et rien que pour le plaisir de voir son visage déconfit, ça valait le coup.

Le moment de vérité.

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Rapidement elle prit l’avantage dans cette confrontation.
Débarrassée de la moindre hésitation elle retrouvait tout son tranchant. Et malgré ses blessures, la bretteuse restait redoutable. Elle pensait Darya hors de danger, était même persuadée que son mentor n’irait pas jusqu’à la bassesse de l’attaquer pour la déstabiliser. Elle avait tort.

Alors qu’elle allait assener un coup visant à ébranler son adversaire, la douleur lancinante de ses côtes l’élança soudainement, l’empêchant de mettre la force dont elle avait besoin dans son mouvement. Kiyoshi profita de cette ouverture pour lui faire perdre l’équilibre. Et alors que Crowe se releva aussi rapidement que possible, prête à parer l’offensive ; son mentor avait quant à lui un autre projet.

Et la traqueuse ne put rien faire.
Impuissante, elle assista au coup d’estoc de son ancien maître.
Lame qui transperça son amante de part en part dans le flanc gauche.

— Darya ! Non ! Elle avait beau hurler… c’était trop tard. Et tandis que son amante se refusait de riposter, respectant la volonté du papillon, celui-ci s’élança alors vers eux. La rage au ventre. Enfoiré ! Je vais te buter !

Perdit son sang froid la bretteuse. Se rua sur son ennemi sans même réfléchir. Adversaire qui retira sa lame du corps de l’araignée avant de parer le coup de son élève. Le maigre avantage qu’elle avait glané n’était plus. Il avait repris le dessus. Crowe dans un instinct de protection, se positionna entre son amante et lui afin qu’il ne puisse pas l’atteindre. Kiyoshi prit quelques pas de recul, l’air grave, il observa son élève… prêt à utiliser sa rage contre elle.

La bretteuse secoua la tête, tenta de se débarrasser du bourdonnement dans sa tête. Le monstre hurlait ; l’intimait de le massacrer. Mais l’épéiste ne l’écouta pas. Les sens focalisés sur Darya, elle l’entendait souffrir, savait qu’elle devait rapidement lui administrer les premiers soins, avant qu’il ne soit trop tard. Ironique. Kiyoshi avait dit quelques minutes auparavant qu’elle n’utilisait sa lame que pour pourfendre ces ennemis ; elle se tenait entre celle qu’elle aimait et lui pour l’empêcher de lui faire le moindre mal.

— Tiens le coup Darya… mets de la pression sur ta blessure, ralentis l’hémorragie par tous les moyens. Mais avec quoi ? Elle n’avait rien. Rapide dans sa réflexion, la bretteuse trouva alors une diversion pour gagner un peu de temps. D’un pas vif, elle recula avant d’extirper une de ses dagues de son fourreau. Le katana planté dans le sol, elle lança la dague en direction de son maître, essayant de gagner quelques secondes. D’un mouvement tout aussi vif, elle enleva son haori pour le donner à son amante afin qu’elle puisse utiliser le vêtement pour ralentir l’explosion  de carmin. Tiens le coup… ne meurs pas maintenant tu as compris ?!

Les sens en alerte, ceux-ci l’intimèrent de se focaliser de nouveau sur son ennemi qui passait enfin à l’offensive. Ignorant la douleur, la bretteuse se saisit de son katana pour protéger une fois de plus son amante d’un nouveau coup létal lui étant destiné. Kiyoshi était prêt au moindre coup bas pour triompher… les rôles semblaient s’inverser. Le monstre, c’était lui.

Mais il se frottait à un autre qui n’avait pas dit son dernier mot. D’un coup de pied rageur dans l’abdomen, Crowe envoya son adversaire reculer de quelques pas avant de passer elle-même à l’offensive. Il était temps pour elle de lui montrer à quel point elle lui était supérieure. Si elle devait prendre tous les risques… ainsi soit-il. Elle devait en finir le plus vite possible. Elle devait lui sauver la vie.

Les coups fusèrent. L’affrontement dantesque, les guerriers expérimentés faisaient parler le tranchant de leur lame, la maniant d’une dextérité qui n’avait pas son pareil. Crowe manquait de force, mais pouvait compter sur son agilité et sa détermination. Et l’opportunité se présenta au moment le plus saugrenu possible. Lorsque dans un pas d’esquive, le mentor trébucha sur un cadavre, Crowe profita de cette ultime ouverture. Le katana planté dans le poitrail dans un coup d’estoc d’une rapidité ahurissante.

Ensuite, elle ne lui laissa aucune chance, bloquant sa maigre riposte en attrapant le bras maniant son arme. Elle lâcha son arme plantée dans son corps pour briser les os de la main ayant osé s’attaquer à l’araignée. Attrapa le katana tombant au vol et décapita le maître sans une once d’hésitation.

Elle aurait pu savourer ce moment… il n’en fut rien. Le corps n’eut même pas le temps de tomber à terre que la bretteuse se ruait sur son amante. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux, mais se devait de retrouver rapidement son calme pour l’aider. Elle entendait encore son cœur battre, faiblement, mais il battait encore.

Darya n’avait pas l’intention de partir. Pas encore.
Et Crowe ne comptait pas la laisser s’en aller. Pas encore.
Jamais de la vie. Pas tant qu’elle était là.

Mettant de la pression sur sa blessure, l’hémorragie s’était atténuée. Mais elle n’avait rien pour suturer la plaie… il ne restait plus qu’une chose, la cautériser pour gagner suffisamment de temps  afin qu’elle sorte de la forêt en vie.

— Je suis désolé ma belle… tu vas souffrir un peu, mais je vais te sauver. Reste avec moi hein ? Ne t’endors pas ! Parle-moi, parle-moi. On ira tuer Esmée ensemble hein ?! On restera toujours ensemble !

Elle en oublia sa vengeance. Oublia le meurtre de son ancien maître. Plus rien n’avait d’importance que d’aider son amante à survivre. Plus rien. Et bien que cela faisait mal, bien que cela lui déchirait le cœur et la rendait folle d’inquiétude… Crowe ressentait pour la première fois à quel point l’amour pouvait être douloureux. Elle ne songeait plus à rien d’autre qu’elle. Ne voulait personne d’autre qu’elle. Et tant qu’elle serait là pour la protéger, plus personne ne pourra lui faire du mal. Et de cela, Crowe en faisait le serment.

Bien sûr qu’elle était capable d’aimer.
Et Darya en avait la preuve.

---

Il aurait été facile, de céder à la panique.
Pour beaucoup cela ne demandait aucun effort ; certains sombraient si aisément dans la peur. Crowe elle, avait préféré la rage. Après cet affrontement, elle aurait certainement beaucoup de questions à se poser ; mais la priorité était ailleurs. Le plus important à cet instant : ramener Darya saine et sauve à Halloween City. Leur maison.

De son mieux, elle lui avait porter assistance pour interrompre l’hémorragie. Il n’était pas question pour elle d’être dominée par sa peur de la perdre. Pour son bien elle se devait de rester impassible, en tout cas du mieux qu’elle le pouvait. Plus facile à dire qu’à faire, mais elle fit de son mieux.

Les sens focalisés sur son amante ; entendait son pouls faiblir, savait qu’elle était faible, vulnérable et qu’elle avait besoin de Crowe pour s’en sortir. Et celle-ci n’avait aucunement l’intention de la laisser tomber. En oubliait presque le reste la traqueuse. De dépêcha de récupérer son katana et de récupérer celui de son mentor, avant d’aider Darya à se relever.

Ensemble, elles marchèrent, l’araignée s’aidant du papillon. Lorsque celui-ci sentit que les forces de la dame aux araignées faiblissaient davantage, elle décida de la porter. Curieusement, bien que son propre corps meurtri semblait vouloir lâcher lui aussi, la bretteuse ne s’était jamais sentie aussi forte. D’une détermination qu’elle ne soupçonnait même pas, elle portait le corps fatigué et endolori de son amante pour la ramener saine et sauve.

Et pour s’assurer qu’elle ne perde pas connaissance, elle l’obligea à lui parler, lui posant d’innombrables questions pour la garder consciente.

— Tu vas voir, je vais bien m’occuper de toi. Tu vas être traitée comme une reine. Tu l’as bien mérité. Je sais que tu es fatiguée, tiens le coup d’accord ? Reste éveillée, continue de me parler. Le temps va passer vite !

C’est ce qu’elle espérait de tout cœur. Mais elle n’était pas dupe pour autant. Il fallait du temps pour revenir et Crowe espérait que Darya ait la force de tenir jusque là. Rassurée cependant par le battement régulier de son palpitant, malgré la faiblesse de son intensité, elle sentait que son amante pouvait tenir le coup.

Est-ce que cela calmait son esprit ravagé pour autant ? Loin s’en faut. Furieuse, elle l’était contre elle, contre son mentor, contre ce monde d’une cruauté sans limite. Pourtant elle le savait pertinemment ; qu’elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Crowe était partiellement responsable du malheur qui s’abattait sur elle. Cela n’était pas une fatalité mais un choix délibéré.

Et elle maudissait ce choix qu’elle avait fait.
Maudissait cette vengeance qui gangrenait son esprit dérangé.
Maudissait le monstre en elle, affamé, avide de sang.
Se maudissait elle-même.

Je vais te ramener Darya. Même si je dois me briser les os pour le faire. Coûte que coûte. Ensuite… nous verrons.

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