CARACTÈRE

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Glisse les doigts fins sur la pierre vieillie, alors qu'avec cette atroce lenteur sensuelle ton corps se pose sur le rebord des remparts. Vipère manipulatrice, ondulante parmi les gens, déconcertante et silencieuse araignée avec qui on ne sait jamais sur quel pied danser.

Tu te complais dans tes faux-semblants, dans les mensonges de ta solitude, âme perdue et écorchée qui ne semble pouvoir s'épancher qu'auprès de ses jolies araignées. Tourne, Tourne les méandres de ton existence surfaite, obsessionnelle veuve noire qui ne semble jamais éprouver le moindre regret.

Panthère tapie que par la vision de la mort seule est excitée, tu attends, sagement patiemment, le bon moment pour à nouveau frapper. Mort lente et torturée que tu exaltes de donner à tes maigres invités. Puisse tu étranger, ne jamais entrer dans l'antre de l'araignée.


- Musique -

Tu pousses ton premier hurlement ici, dans cet immense domaine. Dans cette chambre que ne sera rien de plus que celle du premier jour de ta vie et le dernier de celui de ta mère. Une mère qui rend son dernier souffle quand tu hurles ton premier cri. Journée heureuse et macabre pour ton père, une journée qu’il n’oubliera jamais, une journée qu’il te rappellera toujours.

Vint neuf années plus tard, tu le revois encore dans les méandres de tes souvenirs bousillés, l’écho de la voix de ton père, de ce sourire doux qu’il avait, de ce regard douloureux qu’il arborait. Et tout ce que tu voudrais à ce moment précis, c’est le revoir encore, croiser encore son regard douloureux, son sourire doux qui emportait ton cœur dans son sillage. Qu’il te parle encore de ta mère, à quel point tu lui ressemble, à quel point elle était belle, à quel point il l’aimait.

Tes doigts gelés caressent tremblant le sol abimé et gelé de la cabane de jardin dans laquelle tu te trouves enchaînée. Ta voix semblable à un soupir étouffé qui ne fait que répéter.

« Oh Papa, si tu savais… »

Mais seules les araignées silencieuses sont là pour t’écouter. Tu n’as plus force de pleurer, plus la force d’hurler, plus aucune volonté. Parce que personne ne viendra te sauver. Abandonnée tel sacrifice à la mort qui n’a plus qu’à venir te chercher. Ton souffle qui s’échappe de tes lèvres pour former cette légère brume blanche, seul témoin du froid qui règne.

Le cliquetis de la chaine à ta cheville comme musique régulière, alors que lentement dans un murmure désabusé tu te mets à chanter.


Mais qu’est-ce que la vie t’a fait, pour qu’ici tu finisses par t’échouer.

C’est la faute de ses yeux, de ses yeux qui d’un coup d’œil t’ont charmé, enivré, et que tu as succombé. Dans ses filets il t’a capturé, enchainée, écorchée, bousillée. Il avait tout de l’homme parfait, tout du prince d’un de ces satanés contes de fées, belle illusion dans laquelle tu t’es laissée bernée, abusée, déchirée. Tout était aussi doux qu’une tasse de thé, jusqu’à ce que dans son antre tu ne poses le pied.

Battue, violée, insultée, enchainée. La moindre erreur te vaut une volée, ou d'être dans la baignoire presque noyée, discipline dans laquelle ton esprit semble finir par se conformer, tu te hais Darya, te regarder c’est cauchemarder. T’endosse toute la culpabilité jusqu’au point de non-retour, jusqu’au moment où tu réalise que tu ne pourras jamais t’échapper. Oiseau rare dans ta cage dorée, ta seule solution c’est de l’empoisonner.

Et c’est que tu fais, liquide discrètement glissé dans sa tasse à café, tu attends que le produit fasse effet. Tu ne sais plus ce qui l’a enragé, mais quelques minutes après tu te retrouve à nouveau de coups roué, et par les cheveux trainés hors de la maison, dans la neige, pour seul témoin de ton passage, le sang qui coule le long de tes jambes tachant l’immaculée robe blanche dans laquelle la terre est parée.

Il t’enchaîne, à ce cabanon que tu connais pour y être restée bien des fois durant les dernières années passées. Seulement cette fois, alors que la porte est claquée, tu sais qu’il ne reviendra jamais. Parce qu’à peine la porte passée, tu l’entends s’écrouler, sombrer dans la neige, sombrer dans le sang que tu as laissé. Il est mort, tu as gagné.

Et Maintenant la Mort va venir te rafler.

Victime, tu ne le serai plus jamais.