On dirait qu'on a arraché quelque chose. Qu'on adéchiré quelque chose.

Et que cette chose était essentielle. On ne sait pas à quoi, on ne sait pas à qui. À toi ? À moi ? À nous ?

À personne.
(vraiment ?)

Un simple mot et tout bascule. C'est un aveu maudit, et pourtant on a mille fois rêvé ce moment. On a imaginé toutes les possibilités, que tu hurlerais, que tu accepterais, que tu refuserais ...

Mais rien de tout ça, et c'est ça le pire. Qu'on te connait si bien qu'on avait pas voulu voir, pas voulu comprendre que l'idée même de cet amour te bouleverse. Que l'idée même qu'on t'aime pour ce que tu es te renverse.

Pardon.

Ne rien dire. Les poings serrés, les ongles dans la paume et le sang (il fallait qu'il y en ait) qui goutte sur le tissu blanc. Il faut croire qu'on ne sait qu'être violent. Avec toi, avec moi.

Pardon Susan, de provoquer des ouragans.
Mais égoïstement, on se dit que tu devais savoir. Que tu devais comprendre à quel point ton corps entre les bras du Jabberwocky le rendait fou. Blesser parce qu'on a été blessé.

Non.
On a pas voulu faire mal, on a voulu arrêter d'avoir mal.
Et maintenant, c'est toi qui souffre.
(échec)

regarde-moi.

Et les yeux se tournent vers toi. Il y a des tempêtes dans nos iris et nos esprits qui hurlent à l'incompréhension. On a arraché quelque chose. On a déchiré le déni de Susan (le nôtre aussi un peu). Et il court après les morceaux. Non. Ce n'est pas banal, rien ne l'est quand il s'agit de toi. Jamais. Non. Je ne te dois rien ou alors si, je te dois mille et une choses mais à la différence de tout ça (collier) c'est que je l'aurai choisi. Et là, elle sera là ma liberté.

- Susan-

Pas le temps de dire plus. Et il parle, il s'éloigne, se bat contre ce qui pour Balthazar est une évidence.
Il fronce les sourcils. Ne comprend pas. Il est peut-être trop con le Bandersnatch, trop éternel pour ne pas comprendre à quel point la finitude t'a façonné, trop immortel pour envisager le monde à travers tes yeux.

- J-je ne comprends pas ... je me fous du temps, je veux le vivre avec toi.

Et tes doigts électrisants, on sent le frisson qui dévale le dos, on réfreine l'envie de saisir tes hanches et te serrer au plus fort pour ne jamais, jamais te lâcher. Au diable les retenues, ça lui a échappé une fois, maintenant c'est une cascade maladroite qui se presse à ses lèvres. Et tendrement, comme un souffle tu viens la cueillir.

Balthazar ne réagit pas tant c'est doux.
On l'a attendu cent ans.
Et tu demandes de l'oublier.

Non.

- Arrête de fuir Susan !

Ça tonne et on regrette aussitôt d'avoir élevé la voix. On s'en mord les doigts si fort mais ça s'entrechoque tellement tellement. Grondement qui monte de la gorge et Balthazar fait les cent pas dans la chambre, comme une bête en cage.

- Je sais que tu es insignifiant. Je sais tu le dis souvent et je te dis que non. Putain, t'as pas le droit de me dire d'oublier t'as pas le droit. Je n'ai le contrôle de rien, même pas de mon temps, même pas de ma mort Susan. Laisse moi être avec toi, laisse moi choisir de perdre mon temps avec toi si c'est comme à que tu le dis, laisse moi sacrifier cette soit-disant liberté.

Grognement sourd, perdu, on en arracherait des mèches de cheveux. Le poing sur la commode (pardon le bois est fissuré) et la colère, la colère sourde parce que c'est trop d'émotions et qu'on ne sait pas. C'est toi la clé Susan, c'est toi qui provoque ça. Pardon pour cette responsabilité. Pardon pour tout ça.

- Laisse moi t' a i m e r.

Vois les yeux suppliants du Bandersnatch.
(ou dis moi stop et plus jamais tu ne me verras)

C'est terrifiant.

S'ouvrir comme ça, écarter les côtes pour dégueuler cet amour sanglant. Dévoiler les failles, se mettre à nu, quitter la fierté des immortels pour apprendre à respirer à ta hauteur.

C'est terrifiant.

Réaliser aussi qu'on s'est emporté peut-être. Réaliser que si on s'est tant censuré avant, c'était pas à cause du Jabberwocky. C'est à cause du Bandersnatch. Qui voudrait aimer une bête sanglante, enchaînée à un tyran ?

Balthazar sait, sait au fond de lui que Susan tient dans le creux de ses mains, son humanité. Il a la conscience de son sillage de mort mais continue de voir au delà, de voir avec, de voir tout de voir plus. Et c'est déjà tellement énorme tellement beau. A-t-il vraiment le droit d'exiger plus ? D'espérer plus ?

Non.
Bandersnatch n'a plus le droit aux envies.

Et Susan qui s'effondre, Susan qui se recroqueville. Balthazar monolithique dans son dos. Le souffle court parce qu'on réalise ce à quoi on renonce, ce qu'on détruit.

Il a outrepassé les limites le Bandersnatch.
(recule d'un pas, tremblant)

tu

C'est si petit si déjà tellement minuscule, insignifiant comme tu aimes tant dire. C'est si énorme, c'est si intense parce que chacun de tes mots l'est que quels qu'ils soient on les chérit.

Il se redresse et ses yeux (larmes ?) errent sans jamais se fixer et ça fait mal. On repasserai entre les mains d'Opal pour ne pas subir ce regard si perdu.

- Je ne sais pas.

Ce que ça va changer. Ce qu'il fera. Parce qu'il ne s'est jamais autorisé à l'imaginer, jamais autorisé à le penser, à l'envisager. Parce que tu ne mérites pas ça Susan. Et écouter tes mots tomber, et ils perdent leur sens. Balthazar est perdu, Balthazar est mourant et son cœur aimerait tellement, tellement cesser de battre, cesser de souffrir.

je ne veux pas.

Rire nerveux. Rire brisé. C'est évident. Qui voudrait du Bandersnatch ? Comment as-t-il pu imaginer une seule seconde que Susan se plierait à ses aveux, que Susan à ses pieds se jetterait.

- T'as raison Jabberwocky baise mieux, t'aime mieux. Mais je suis meilleur que lui pour jeter de la farine, wouhou quel honneur. Merci Susan. Ça me rassure.

Voix froide et mauvaise, jalousie mesquine. Parler pour blesser parce qu'on a mal maintenant. Mal parce qu'on ne comprend pas pourquoi ces moments que tu décris ne pourraient pas se parer d'amour. Peut-être parce que l'amour est déjà pris.

Jabberwocky et Susan.

Rire amer.

- Invitez moi aux fiançailles, promis, j'essaierai de pas l'égorger.

(et c'est maintenant qu'il se perd le Bandersnatch)
S'avance vers toi, prêt à te contourner, prêt à partir.

(on t'avait dit pour les crêpes.)