▬ musique

il presse le pas, réajuste le col de sa chemise - hésite entre son envie de cigarette et son énième tentative de taire cette maladive addiction. les pavés moites de la pluie de la veille, les badauds qui vont et viennent - les odeurs, ça et là, des marchants de légumes, de confiseries…

quelle plaie de ne pouvoir jouir du marché, d’autant que les cieux sont cléments.

à l’angle d’un mur, près d’une échoppe de fleurs, un jeune homme attire son attention en agitant ses bras en l’air. c’est lui - c’est l’alice qu’il doit guider et recruter pour le compte d’esthef, c’est oscar ; camael sourit, le rejoint rapidement et s’entame alors entre eux une longue et sérieuse discussion sur la réalité de ce monde, sur la nécessité de prendre garde à soi…

leur pérégrination les mène à un carrefour peu arpenté, bordé d’arbres et de quelques présentoirs à babioles et collations

camael choisit de quitter quelques minutes oscar, lui sommant de l’attendre à l’abris des regards et de ne parler à personne - la soif l’ayant poussé à acheter un café frappé auprès d’une épicière ambulante, soif qu’il maudit aussitôt qu’il revient et te voit

toi, l’inconnu
toi - toi et ton aura pesante, toi et ton aura inquiétante, toi et tes sourires faux
le faux, le factice, le superficiel camael y est trop familier pour être dupé

oscar, pars s’il te plaît - rendez-vous à la mairie, je t’y rejoindrais au plus vite sommation sans possibilité de négation ; l’apostrophé hésite, hébété - on eut dit qu’il luttait entre ébriété et réveil matinal trop abrupte.

état qui ne manque pas d’interpeller davantage la défiance de camael quant à ta présence

finalement, oscar s’en va
notre bon ami expire - soulagement
se tourne vers toi trop grand, trop sombre, trop enjôleur ne te regarde pas, n’y arrive pas n’y arrive pas ? te regarde - lèvres pincées, sardonique si vous souhaitez quelqu’un pour vous conduire à une boulangerie, je me propose le bleu des yeux vissés dans les obscurités du tiens

camael
serre son café
recule, recule encore

la sensation étrange s'amoindrit

voix glacée - puis-je me permettre de vous demander si vous abordez souvent de la sorte, et avec tant d’insistance, les inconnus ? - connait la réponse, ne connaît pas cependant ce que tu veux, ce que tu voulais à oscar

oscar, il ne te laissera pas le suivre
dangereux - tu dégages du danger

qui es-tu ?
fascinante créature ?
vulgaire démon ?

▬ musique

il hésite quelques instants, de longs instants, vous plongeant dans une sourdine quasi funèbre ; en proie à toutes les contradictions découlant de son éducation et à ses valeurs, camael est funambule sur le fil de ses tergiversations et pourquoi ? parce que tu lui tends ta main, parce qu’il ne veut pas la prendre, il ne veut pas la serrer… seulement camael n’est ni malpoli, ni rude alors il cède aux formes et, sans doute le devine t-il au regard couleuvre que tu lui offres, qu’il regrettera de ne pas avoir privilégié le fond

vérité factuelle
votre poignée de mains lui arrache un frisson désagréable, son échine tremble d’une peur qui ne peut encore être nommée, tremble d’une curiosité tacite et il n’a, présentement, qu’une seule et dévorante envie : partir

je tâcherais de présenter vos excuses à oscar, nul besoin de le revoir les traits crispés, en dépit de sa voix qui se veut ferme et placide et ah - que c’est difficile, que c’est embarrassant cette… cette… cette ? aura ?

inspire longuement, poings imperceptiblement serrés
que lui arrive t-il ? pourquoi à sa dévorante envie de partir se couple la dévorante envie de rester et de te ? de te ? de te ? comprendre ? parler ? regarder ? non, non, non, tu pues le vice, les exhalaisons grasses des chairs, tu pues la malhonnêteté, la superficialité, la luxure et le narcissisme

tu pues, alec

tu te fais l’étendard de bien des caractères de l’être humain qu’il conjure et condamne
mais… mais… mais bordel t’es entêtant pour un inconnu

camael articulation propre, esquisse d’un sourire forcé bien… je partir, partir, partir, partir, te regarder, rester, rester, te regarder, bordel je vous accompagne à la boulangerie ? quand bien même tu ne veux pas y aller, quand bien même ce n’était que prétexte et tromperie

il faut bien poursuivre le jeu pour que tu partes, pour qu’il n’y ait plus ni prétexte, ni tromperie
mais… tes yeux… mais… mais peut-être ? avançons ! sa cadence est rapide, son pas leste
mais… mais ? peut-être ? peut-être mérites-tu d’être entendu, d’être découvert ? peut-être se cachent, sous la plastique enjôleuse et les vulgarités déguisées de courtoisie, un jeune homme charmant, intéressant ?

non, tu pues
ses sens et son intuition le trompent rarement

silence

pardonnez-moi mais, je trouve votre phrasé inconvenant à lui-seul. il ne peut pas s’en empêcher, il lui faut dire la vérité, il lui faut se rassurer, il lui faut contrer ce que tu dégages de si malsain et entêtant (t’es vraiment entêtant pour un inconnu) vous ensemencez votre voix d’inflexions propres aux oeillade en coin nécessiteux désireux de charmer et de tromper. il vaudrait mieux qu’il cesse sa croisade et reprenne bon sens afin de partir

oui mais bordel ! bordel ! putain! ta proximité l’incite à rester - ironie cruelle quand il éprouve son corps tout entier lui intimer de prendre la fuite

vous venez d’un autre royaume ? habiller les pensées, habiller les espaces entre les espaces, habiller un échange, habiller la distance que tu creuses, habiller pour ne pas ressentir, pour ne pas te ressentir, pour ne pas que son attention n’est plus que toi comme sujet

et plus il creuse la distance entre vous
et plus il respire convenablement, réfléchis correctement
et plus la certitude que tu n’es pas un homme louable s’ancre en lui

▬ musique

il lui faudrait quitter ta présence et te laisser là, devant cette boulangerie - car vous y êtes, oui, vous y êtes enfin ; la mascarade peut donc se terminer ? les rideaux peuvent donc être tirés ? pourquoi demeurer sur scène - il n’y a pas de public, il n’y a pas d’orchestre, il n’y a pas de lumières…

camael bouge

non

tes mots sont à l’égal de piqûres d’insectes - ils le démangent, il souhaiterait les ignorer mais il n’y parvient pas et il les gratte, il les gratte, il les gratte jusqu’à en devenir fou

ainsi, comprenez ce non
non

camael ne bouge pas

il demeure droit, debout à tes écoutes, debout à tes yeux - c’est curieux, n’est-ce pas ? ce que peuvent faire naitre la curiosité et l’aura d’autrui au noir de vos tripes ? ce désir insidieux et pernicieux de vouloir plus, de connaître plus
quelle est donc ta magie, alec ?

si je te dis que je viens du paradis, tu penses pouvoir t’y établir malgré tout ? un rictus muet - cessons la courtoisie, tu ne la mérites pas ; tu mérites l’absence de formes pour ce que tu distilles dans l’air de vicieux et de dangereux ; tu mérites d’être lové et couvé de ces mêmes miasmes affamés dont tu le loves et le couves depuis votre premier échange de regard

camael ne souhaite pas user de sa sympathie et de sa diplomatie - non ; pour t’apprendre, pour t’enseigner, pour te punir - d’être tel que tu te présentes, sous ta bonhomie superficielle et ta beauté chasseresse - il fera de tes armes les siennes

les types dans mon genre ne sont pas rares il sourit ils sont discrets ils sont en retrait ton engeance, en revanche… - et son sourire s’étire

sans te laisser le luxe d’appréhender son geste - il cherche ton paquet de cigarettes à même ta poche, en extrait une - l’allume au feu follet de la tienne qu’il te dérobe avant de la replacer à l’exacte commissure qui jusqu’à lors l’avait coincé merci le calcite bleu de tes yeux qui crépite

s’être ainsi rapproché de toi n’arrange en rien sa curiosité et les amertumes qu’elle renferme

un pas en arrière, deux pas en arrière, six pas en arrière - respire - les airs détendus et la détente singulière bien pause alec… fausse nonchalance - ton oeillade dans le vide à moins que tu ne me divertisses par d’autres manèges, celui qui fut mien est terminé pointes du doigt la boulangerie dans son dos j’ai à faire un peu partout, sans doute là, je m’y perds beaucoup l’esquisse d’un rire, à l’imitation de ses paroles - moqueur

or il est vrai
camael a rendez-vous avec une charmante jeune femme dans un café
aussi charmante que plaisante ; sa compagnie saura le laver de votre rencontre

et quand bien même son corps tout entier lui intime le contraire - quand bien même il désire satisfaire tout ce que sa déraison requiert - quand bien même il ravale des goulées lourdes et denses, il tourne les talons et se hâte de gagner le susnommé café

à mesure que la distance se creuse entre vous, il peut à nouveau entendre les babillages des badauds, le ronron des calèches, les bruits de la ville toute entière - et celui de sa respiration, apaisée