Elle allait de question saugrenue en question saugrenue.
Toujours plus inattendu à chaque fois.
Un peu comme une enfant qui découvrait le monde.

La dernière en date me demandant de comparer l’effet d’un corps à ceux de l’alcool. Vraiment avec elle il fallait toujours rester concentré si l’on voulait comprendre quelque chose à une conversation. Ce qui faisait son charme sans doute ? Ou bien elle avait simplement de la chance que je sois plus patient qu’un autre.

Quant à la réponse à sa question :
─ Ce sont des plaisirs différents ma chère. Le sexe et l’alcool… ce sont deux choses qui peuvent provoquer de l’addiction chez certains. Le problème c’est que ça relève de l’ineffable Jamie. Tu ne peux pas me demander de mettre des mots sur ça, il faut le vivre, le ressentir pour le comprendre. Mais au final, c’est parfois juste une question d’humeur. Il y a des jours où je troquerai une bouteille de vin contre un joli postérieur, d’autres non. Ne cherche pas de logique où il n’y en a pas.

Me doutant que la prochaine connerie allait venir vite ; ce qui ne manqua pas. La voilà qui pouffa de rire, me demandant ce qui pourrait me décrocher de ma bouteille. Je ne répondis pas dans un premier temps, procédant à l’échange de breuvage. Clairement je n’avais pas un palet fait pour le rhum. J’appréciais, mais sans plus. Un peu comme un plat genre coquillettes et un steak : simple et efficace.

Mais ce commentaire-là, je le gardai pour moi. Préférant me concentrer sur les mots de la rouquine et un questionnement de plus. Mes conquêtes ? Je ne pus contrôler un rictus amusé ; encore moins pouffer de rire.

En parfait gentleman cependant, je répondis à mon interlocutrice :
─ Ton postérieur vaut la moitié de ma bouteille à vrai dire. Sachant que j’y arrive bientôt, je peux la troquer contre ta chute de reins si tu veux. Rire gras et moqueur et ça repart de plus belle : quant à mes amants… je les aime bien silencieux pour la plupart. S’ils sont bavards, ils ont intérêt à être drôles sinon je les fuis comme la peste. Quant au physique que je préfère… voyons voir… Blond ? Quand ça m’arrive au buste c’est pas mal. Charnu ? Oui c’est mieux, que je puisse mettre les mains sur quelque chose quand même. J’aime bien ceux qui savent ce qu’ils veulent, mais je ne suis pas contre les inexpérimentés non plus. Mais si tu veux la jouer carte sur table… en ce moment mes conquêtes ressemblent à une transaction plus qu’autre chose. Satisfaite ? Et puis j’osai surenchérir : et toi alors ? Qu’est-ce qui fait battre la chamade à ton petit cœur de pirate ?

Mes chances de me voir tripoter sa chute de reins s’amenuisaient à mesure que le temps passait. Mais rien à foutre, la vanne valait le coup ! Point positif, au lieu d’être vexée elle en riait ; cela ne pouvait que m’encourager à continuer mes conneries.

Puis il y eut ce moment. Cet instant où lorsqu’elle devait pourtant répondre à une simple question, elle sembla se figer l’espace de quelques secondes. Il n’était pourtant pas difficile de dire le type de personnes qui pouvaient nous plaire ? À moins qu’elle n’en savait rien ? Ou alors c’était moi et elle n’osait pas le dire ? Oh, ma pauvre Jamie, ne t’en fais pas, je survivrai à cet aveu de ta part. J’en suis certain.

Mais point de confession me concernant malheureusement. Juste une incompréhension. Une incapacité de sa part d’évoquer ce qui pouvait provoquer en elle ce petit émoi amoureux que l’on pouvait ressentir pour quelqu’un. Elle n’avait donc peut-être jamais trouvé son âme sœur jusqu’à présent. Fort possible.

Elle voyait la beauté, mais n’y succombait pas ? Étrange.
— Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas succomber à la beauté d’un corps en particulier ? L’amour et le sexe ne sont pas liés même si beaucoup voudraient nous faire croire que si. J’en suis la preuve vivante, parfois l’ébat est simplement un besoin que je dois assouvir à l’aide d’une simple transaction. Et le fait de ne pas être composé pour aimer… qu’est-ce que cela voulait dire ? Pour moi, cela n’avait aucun sens. Tu crois que t’es trop mal foutue pour tomber amoureuse ? C’est ce qu’on pense quand on a pas encore trouvé la perle rare. Mais tu sais Jamie… l’amour, ça tombe de manière totalement inattendue. L’expression « chercher l’amour » est non-sens total. On ne le cherche pas réellement, on l’attend.

Et qu’on le voulût ou non, ça nous tombait dessus parfois sans prévenir. Là encore… j’en étais la preuve vivante. Je n’attendais rien de Wonderland au départ, je ne pensais pas être capable d’aimer… pensant qu’il me manquait une case sans doute. Une pièce de mon puzzle que je ne retrouverais jamais. Et pourtant, j’ai aimé. Même si aujourd’hui… je parlais de cela avec nostalgie, sans savoir si je pouvais le faire de nouveau.

— Attends, attends une seconde. Tu n’as jamais désiré personne ? Arrête tes conneries ! T’es là depuis combien de temps Jamie ? Tu vas me dire que tu n’as jamais voulu personne ?! Même pas moi ? Tu me brises le cœur !

Sort de ta torpeur ma chère. Je n’aime pas te voir ainsi ; hésitante, indécise. Je préfère te voir souriante et prête à tout pour une vanne. Il n’y avait rien de mieux qu’une Jamie avec le sourire aux lèvres et le verbe facétieux. C’était selon moi la meilleure version d’elle-même.

Ne pas ressentir l’envie ?
Pas d’étincelle.

C’était d’une tristesse telle que cela m’arracha presque une petite larme. Ne pas chercher l’amour était une chose ; prétexter ne jamais l’avoir ressenti pour quelqu’un, c’était tout autre chose. Dans un sens, j’espérai presque que la rouquine me mentait pour ne pas briser mon petit cœur fragile. Mais elle ne semblait pas mentir, c’était sans doute ce qui était le plus malheureux.

Pour autant je ne fis aucun commentaire cette fois, me contentant de hausser les épaules ; suivi d’une moue légèrement approbatrice pendant que je continuais de déguster mon breuvage. Léger sourire aux lèvres lorsqu’elle rit de plus belle. Que c’était agréable de l’entendre rire plutôt que de raconter des conneries mélancoliques.

Soudain, le coup d’épée en plein cœur.
Jamais elle n’avait succombé au moindre de mes charmes.
Coup de tonnerre ! Et moi qui pensais que j’avais une touche avec la rouquine.
J’ai été mis sur le banc de touche plutôt.
Quelle déception !

Pourtant je ne pus m’empêcher de rire. Pas vexé pour un sou ; ce serait mentir de dire que je ne fus pas un peu déçu. Mais qui sait ce que nous réservait l’avenir ? Un jour, peut-être que je finirais par l’attirer dans mon lit. Qui vivra verra.

─ Je pense aussi que tu as été ensorcelée Jamie. Je veux dire, comment pourrait-il en être autrement ? Ne pas succomber à mes charmes alors que tu as suffisamment joui de ma présence dans ta vie ? Il y a là une anomalie que nous nous devons absolument de découvrir. Quant à la question de l’exorcisme… je fis mine de réfléchir avant de reprendre : pas bête. Mais comment rompre le sort qu’on t’a jeté ? On doit sans doute faire comme dans les contes de fées, je dois t’embrasser et tu reviendras sans doute à toi ? Hum… ça se tente.

Ce fut alors à mon tour de la taquiner d’un léger coup d’épaule. Tandis que la demoiselle noyait son chagrin dans l’alcool, moi je me contentais de terminer ma boisson.

─ Plus sérieusement ma chère. Ne sois pas pressée de trouver l’amour… je vais t’avouer quelque chose, mais je trouve ça parfois un peu surcoté. Ça peut faire autant de bien… petite hésitation ; que de mal.

En ce qui me concernait… les deux.

Menaces de castration… carrément.
Je n’eus comme réponse qu’un sourire mesquin.

Elle avait peut-être une mauvaise image de moi la rouquine ? Suffisamment en tout cas pour oser croire que j’avais ce genre de… pratiques. Ne voulant pas laisser un malentendu planer dans l’air plus longtemps, je désamorçai la bombe avant qu’elle n’explose :

─ Tu dois avoir une piètre image de moi si tu crois que j’impose les baisers sans demander la permission au préalable. Un peu de respect je te prie, tu me prends pour qui ? Nan je préfère attendre que tu me demandes de le faire, c’est bien plus drôle. Qui sait, ça arrivera peut-être un jour.

Sourire mutin sur mes lèvres alors que je terminais ma réplique et ma boisson, préférant ensuite me focaliser sur la rouquine et son sourire retrouvé. L’alcool avait cependant légèrement délié ma langue ; et j’abordai un sujet pour le moins… délicat. Rarement je m’étalais dessus, bien que cela arrivait malheureusement plus que je ne le voudrais.

« On t’a brisé le cœur matelot ? »
─ Quelque chose comme ça oui. Mais ce n’était la faute de personne ne réalité ; si tu tiens absolument à trouver un coupable, je pense même être le plus fautif dans l’affaire. Je suis malheureusement tombé amoureux de la mauvaise personne. Vint un jour où je ne pus même plus la regarder en face, lorsque nous fûmes confrontés à la dure réalité de ce monde : certains n’ont pas la même espérance de vie que d’autres. Les natifs disparaissent un jour, les entités comme moi, resteront ici pour toujours à moins d’un cataclysme. J’imagine que tu vois où je veux venir ? Regard inquisiteur posé sur elle, puis je conclus : passons, c’est un sujet pour une autre fois. Bon… j’imagine que tu ne veux pas passer la nuit avec moi, il va falloir qu’on se sépare à un moment donné. Tu crois que tu survivras sans moi ?

Et d’un coup la tension baissait.
Jamie, malgré ses dires, me faisait toutefois un peu confiance.

Elle savait pertinemment ce que je pouvais me permettre et ce que je n’osais pas faire, même pour la taquiner. Respecter ses barrières, même si je mourais d’envie de ne pas le faire… par affection pour elle, mais également par déférence, parce qu’elle le valait bien. Moins quand elle faisait sa scène pour se foutre de ma tronche cependant.

Mais avec une chute de reins pareille et un minois comme le sien, on lui pardonnait plus facilement ses impairs et son insolence. À son cinéma, je me contentai de la regarder en simulant une pointe d’agacement ; tentant tant bien que mal de réprimer mon rire. Réussissant cependant avec brio, bien que je ne pus m’empêcher d’avoir ce sourire mutin aux lèvres ; un qui imitait le sien.

« Je devrais survivre beau gosse. Tant que tu me promet de pas m’éclater la tête contre le bitume la prochaine fois qu’on se voit. »
— Ça dépend. La prochaine fois faudra pas m’ignorer même quand tu fuis pour échapper à tes agresseurs. N’oublie pas que je suis là pour te protéger si tu le demandes gentiment. Pour tes beaux yeux et ton petit cul, je m’engage toutefois à t’épargner la cabriole. Même si bon, faut bien avouer que personnellement ça m’a fait beaucoup rire.

Mais toutes les bonnes choses avaient une fin.
Notre moment aussi.
Mais ce qu’il y avait de bien avec elle…
C’est que toujours elle revenait.
Surtout au moment où on s’y attendait le moins.

— Jamie ? Prochaine fois que tu viens ici, fais en sorte de ne pas être en cavale… si t’es sage je te ferais même à bouffer. Que tu vois un peu l’étendue de mes talents ! Mais surtout et c’est le plus important… alors que je posais ma main sur sa joue, la caressant de mon pouce avec tendresse, je concluais : ne change rien d’accord ? Reste comme tu es.

Parce que cette version de toi.
C’était la meilleure.