Curiosité intrusive.
S’il fallait résumer l’idée directrice, justifiant cette filature, c’était ce qu’on pouvait trouver de mieux. De sa première observation au palais jusqu’à maintenant, le concept était toujours le même. Une créature capable de créer un tel bijou pour ma déesse ne pouvait qu’être une personne précieuse qu’il fallait absolument protéger. Et par extension, une personnalité que je ne pouvais ignorer. Je m’en serais sans doute voulu de ne pas lui avoir emboîté le pas pour la perdre de vue une fois sa sortie du palais.

On disait d’elle qu’elle n’était pas commode, qu’elle ne souhaitait pas être importunée. Préférant la solitude de ce monde plutôt que la compagnie qu’il pouvait parfois nous offrir. C’était peut-être arrogant de penser que la mienne pouvait lui convenir ; mais cela ne m’empêcha pas de la talonner pour autant. Aussi discrètement que possible, bien que je me doutais qu’elle allait forcément me repérer à un moment.

Ce n’était qu’une question de temps.
Qui défila pendant des minutes qui me parurent des heures ; ayant pour seule compagnie le bruit de mes pas et ma respiration soutenue ; du même acabit que mon allure, pour ne pas la perdre de vue. Ce qui devait arriver arriva, bien évidemment. À un moment donné, elle disparut de mon champ de vision. Alors que je me maudissais de ne pas avoir été plus attentif, une voix se superposa au bruissement ambiant ; me donnant un indice sur la position de celle que je traquais.

Les mirettes cachées derrière un bandeau de tissu fin, filtrant l’intensité de la lumière, elles vinrent repérer la position de la chasseresse ; me tenant en joue. Amusant ; me prenait-elle pour une proie vulnérable à ce petit coup de semonce annoncé par sa voix étonnamment grave pour une dame ? Pensait-elle que d’un coup j’allais paniquer ? Qu’importe, je n’étais pas là pour la menacer ; mais par curiosité.

Mais je ne pouvais décemment pas jouer la comédie non plus.
Ce n’était définitivement pas mon genre… et cela ne me réussissait jamais longtemps.

— Vous pouvez m’appeler Pace. D’autres m’appellent la tortue. Comme vous, je suis une personnalité connue de ce pays… mais bien plus avenante, j’en ai bien peur. Je suppose que j’empiète sur votre territoire depuis trop longtemps et que pour mon bien, je ne devrais pas faire un pas de plus ? Logique sachant qu’elle pouvait me décocher une flèche à tout moment, l’arc semblait bandé… mince alors, me voilà donc à sa merci ? Haha… ben voyons. J’espère que vous savez bien viser. Parce que je vais continuer à avancer vers vous.

Et elle pouvait bien décocher autant de flèches qu’elle le voulait… aucune d’entre elles n’avait le pouvoir d’atteindre leur cible. Quant à moi, la tortue, je tins ma parole. Je continuais à avancer vers elle, sans craindre pour ma vie. Qu’elle eût le courage de me tirer dessus ou pas, cela n’avait de toute façon aucune importance. Comme je le disais, celles-ci ne pouvaient m’atteindre. Mais ça, elle allait le comprendre bien assez tôt. Alors je continuais avancer, les mains dans les poches, pour bien lui montrer qu'à aucun moment, malgré mon respect pour elle, je ressentais une quelconque appréhension à son égard.

Je m’en doutais.
Je savais pertinemment qu’en continuant d’avancer la sentence allait tomber.

Cette dame avait la réputation de ne pas être avenante. Pas du tout. Habitué à la solitude, si bien qu’on pouvait presque la comparer à une bête sauvage. Est-ce que cela m’empêcha d’être curieux pour autant ? Non. Bien évidemment que non. Et j’avais dans ma botte un atout qu’elle ne soupçonnait probablement même pas : mon don. Loin d’être infaillible, cette capacité unique me protégeait cependant du moment que je voyais venir le danger.

Quant à cette imminente menace, elle se matérialisait par la créature me visant avec son arc, prête à me décocher une flèche ; peu importe l’endroit du corps, tant qu’elle faisait mouche. Vint un moment où le pas de plus fut le pas de trop. Le projectile s’échappa de la corde de son arme ; ne laissant planer aucun doute sur ses funestes intentions.

Sauf que voilà, la flèche avait beau être rapide, je la vis venir ; gros comme une maison. Ayant déjà préparé mon don au préalable, lorsque celle-ci rentra dans la zone fatidique, elle perdit soudainement de sa vitesse. Le lièvre et la tortue. À la fin, c’était toujours la tortue qui gagnait. Comme pour prouver un point et lui faire ravaler son sarcasme, je laissais le projectile continuer sa course jusqu’à quelques centimètres de mon corps avant de le ralentir au point où il ne me fallut que tendre la main pour le rattraper au passage.

Démonstration théâtrale, mais qui devait probablement faire son effet. À mon tour de faire du sarcasme ? Oui, définitivement oui.

— Raté. Vous voulez que je vous donne un nouvel essai ? Le résultat sera le même, mais je veux bien vous laisser une petite chance. Si vous échouez à nouveau cependant, je crains que vous n’ayez d’autre choix que de composer avec ma présence dans votre territoire. Mais je suis aussi disposé à simplement vous rendre votre flèche si vous m’accordez un peu de votre temps ?

Un peu de diplomatie ne faisant pas de mal, je tentai le coup.
Parce qu’on ne sait jamais.

Impossible de lire la déception sur son visage d’ici.
Mais j’osais envisager que c’était le cas.

Vraiment, cette dame n’avait aucune sympathie pour moi ou les autres… moi en tout cas c’était maintenant clair comme de l’eau de roche. Cependant, elle n’eut pas la foi de décocher une autre flèche ; soit elle avait la flemme, soit elle consentit à m’écouter. L’un comme l’autre ; que j’eusse raison ou tort, la finalité était la même. Je grimpai sur son promontoire pour finalement arriver à sa hauteur. Premier constat qui était sorti de ma tête auparavant.

— Putain. C’est vrai que vous êtes grande quand même.
« La flèche »
— Ah oui pardon, j’avais promis que je vous la redonnerais. Tenez.

Disais-je en lui tendant l’objet, la laissant s’en saisir, un sourire avenant aux lèvres. Je sentais toutefois que la confiance ne régnait point entre nous. Mais tout de même, quelque chose attisa ma curiosité de nouveau. Tout le monde l’affublait du sobriquet de « l’abominable » ; le caractère de cochon ça je pouvais le comprendre. Mais son faciès en revanche ? Elle avait beau être menaçante, elle n’était pas si horrible que ça, c’était même le contraire.

Mais qu’on se le dise, sa compagnie n’était clairement pas pour les petites natures. Pour la côtoyer, il fallait sans doute avoir du cran. Et encore… je doutais fort qu’elle avait un cercle d’amis important celle-ci. Cercle dont je voulais faire partie ? N’allons pas trop vite en besogne, elle voulait probablement encore m’étriper vu le regard qu’elle me jetait. Que pouvais-je donc faire pour détendre l’atmosphère, si toutefois c’était véritablement possible ?

Là encore, j’en doutais fortement.
Et pourtant, comme j’aimais vivre dangereusement - c’est faux -  il fallait bien tenter une approche non ? N’importe quoi justifiant mon intrusion sur son territoire, autre que le fruit de ma curiosité. Ayant cependant dans l’idée que lui mentir était malvenu, je déclarai d’un ton bienveillant :

— Vous savez, ce n’est pas la peine d’être à ce point sur vos gardes… je ne suis pas là pour vous faire du mal. En revanche, je me dois d’être honnête, au final vous n’avez rien de si « abominable » que ça. Si l’on exclut la propension à envoyer des flèches aux intrus, mais bon ça je peux le comprendre. D’ailleurs à ce propos, vous avez un nom, j’imagine ? J’ai dévoilé le mien, j’ai le droit d’avoir le vôtre non ?

Ça allait mal finir cette histoire.
Je n’étais VRAIMENT pas le bienvenu ici.