Si la fidélité d'Absinthe faisait pourtant l'activité du laboratoire, les visites au Blue Glasshopper n'étaient généralement pas celles qui te réjouissaient le plus. Tu aurais pourtant dû apprécier les attentions de la chenille, certes un poil passives agressives. Un verre pendant la tournée n'était jamais de refus, surtout quand celle-ci s'achevait par ce passage au bar. Mais la condescendance de l'immortelle te tapait trop sur le système pour que le jeu n'en vaille la chandelle. C'est donc à reculons que tu passais la porte de l'établissement, ton sac en cuir bien rempli sur l'épaule.

Elle doit reconnaître ta démarche, depuis le temps. Combien de fois es-tu entré ici, prêt à lui remettre son colis? Combien de fois as-tu fait traîné les semelles de tes bottines sur le sol de son repère. Alors tu ne sourcille pas, quand elle te hèles si rapidement. Tu te contente de suivre le son de cette voix trop familière jusqu'au comptoir, et d'y retrouver un cocktail que tu ne connais que trop bien.

Tu as pourtant placé la commande toi-même, tu devrais donc savoir qu'on a pas chaumé cette semaine.

Tu t'assois au bar, ton paquet sur le genoux, et un sourire légèrement agacé sur les lèvres. Tu as du mal avec le ton de la tenancière, mais tu sais que tu ne peux pas te permettre d'en venir à la violence avec elle, qu'importe à quel point sa simple présence suffit à faire monter ta tension. Alors tu porte le liquide verdâtre à ta bouche, laissant soin à la chaleur de l'alcool qui vient te piquer la trachée de calmer ta flemme intérieur.

La pochette glisse sur le comptoir tout justement astiqué, et tu en extrait les éléments de sa commande un à un. Les sachets s'accumulent sur le plan pour qu'elle procède à la vérification de la marchandise. Avoir l'occasion de pouvoir mettre les choses au clair aussi ouvertement est un privilège que tu apprécie, mais auquel tu as rarement le droit.

Je te laisses le soin de vérifier que tout est là. Même si je pense que même une vieille peau comme toi et tes millénaires de souvenirs aurait de quoi se vider l'esprit avec tout ça.

Les doigts occupés à faire tourner le verre par son pied sur le bar, tu ne peux pourtant t'empêcher de jeter un regard intrigué en direction d'Absinthe. Elle ne semble pourtant pas avoir grand-chose à regretter. Sa vie te semble si simple. Bercée au Pays de Merveilles, pour une éternité. Qu'est ce que tu aurais aimé que ton passé se résume à cela. Tu ne t'en rappelles peut-être plus, mais tu la sent encore, cette sensation de soulagement d'avoir échappé à ce qu'il y avait avant.  

Elle demande le respect, et ton sourire se tend un instant. La main crispée sur le verre entre tes mains, tu la sens, la colère qui se propage dans tes veines. Comme si tu lui devais quoi que ça soit, au nom de ses années passées à Wonderland. Au nom de la quantité de ses souvenirs qu'elle tentait si bien d'oublier. Qu'est ce que tu pouvais bien devoir à une junkie qui n'avait à sa disposition qu'une bibliothèque de mémoire à moitié disparue, en partie notées sur des coin de papier usé pour s'épargner la honte de son cerveau débordé?

La tension entre ton pousse et ton indexe augmente, et tu sais que si tu ne te contrôle pas pour la faire diminuer, la fine paroi qui retient le liquide verdâtre craquera avec toi. Et tu ne peux pas te le permettre, parce comme le le dit, c'est essentiellement sur sa consommation que repose ton buisines. Sans faire faillite à proprement dit, les recettes subiraient une sale baisse si la chenille cessait de commander. Et tu sais que l'importance de ton rôle ne tient vraiment qu'à ce que tu rapportes.

Alors tu utilises toute la patience que tu as à disposition, pour accepter ses doigts dans tes mèches colorées. Pour ne pas saisir son avant bras, et le tordre contre le comptoir. Tu hais sa condescendance, sa façon de te prendre de haut, et plus encore le fait de n'avoir d'autre choix que de les accepter docilement. Tu ravales tes couleuvres, Osvald, mais ça ne t'empêches pas de te défaire de son emprise, secouant la tête de droite à gauche en même temps que tu entreprenais un mouvement de recul.

Le reste du cocktail glisse le long de ta trachée, pendant qu'Absolem débouchonne sa boisson. L'odeur des aromatiques vient teinter le goût du mélange dont tu t'abreuves, y ajoutant une note de fraîcheur agréable, mais les mots d'Absinthe eux, font remonter une senteur oubliée. La décomposition macabre d'un corps sur le carrelage, qui s'imprègne dans la moquette, et dans chacune des fibre de tes vêtements. L'ombre d'un subconscient malade fait remonter le fluide que tu viens d'ingérer par tes narines, alors que ton estomac se retourne avec effroi.

Boule de rejet au ventre, et parcouru d'un frisson de dégoût, tu fais tourner le tabouret sur lequel tu reposes pour tousser un bon coup, histoire d'expier l'alcool qui t'es remonté de travers, et tu l'espère, cette impression pas très claire d'horreur qui est venu de caresser la nuque.

T'as l'air bien con, à t'étouffer sur une gorgée pas plus conséquente qu'à l'accoutumée. Sur un liqueur pas plus forte que ce que tu avais l'air de consommer. Et pourtant, tu préférais encore ça, que de reconnaître la peur qui t'avait chamboulée, à la suite de la confession de la patronne du bar.

J'ai avalé ma salive de travers...

Débordée par l'idée de faire oublier à la bleue le caractère pathétique de la situation, tu ne rechignes pas à t'exécuter quand elle te demande de lui donner sa dose. Ni la première, ni la dernière des clientes qui attendent de toi de faire voleter la poudre à leur visage. Ton visage s'approche de sa main, alors que tu t'accoudes à la table qui vous sépare, et tu exhausse son souhait, d'une forte expiration maîtrisée pour diriger la substance de ses lèvres à ses yeux.

Je comptais rentrer sur Halloween City pour profiter du bar du casino, mais je dois reconnaître qu'on est plus tranquile ici, quand c'est pas rempli d'Alices en détresse.

Ton indexe fait glisser la coupe par sa base jusqu'à la tenancière. T'es pas d'humeur à la modération, aujourd'hui. L'ivresse est ta meilleure amie, quand il s'agit de faire disparaître les réminiscence de la frayeur qui est toujours dans ton estomac, et tu préfères que les potentiels effets de cet abus se fasse sous les yeux de cette vieille peau immortelle, que ceux de Belial et ses penchant sadiques.

Remets-moi en un avant que les effets hallucinogènes ne tapent trop fort, va.

Le temps qu'elle s'exécute, tu tâtonnes tes poches à la recherche de ton paquet de cigarette et de ton briquet. L'occasion idéale d'en griller une tranquillement. La patronne, tu en étais sûr, n'y verrait aucun inconvénient. Bâton au bout des doigts, tu prend une première bouffée de nicotine avant de lancer la conversation.

Et puis, je me suis toujours demandé quels effets ça avait chez toi, pour que t'en prennes tant. Je vois bien que t'es pas encore en manque, et t'es déjà-là à multiplier les doses. Qu'est ce que t'y trouves, vraiment?

Parce que tu comprends pas, au fond, ce que tes clients affectionnent dans leur dose. Tu sais que c'est pas la même chose pour tout le monde, mais en ce qui te concerne, t'as jamais pu y toucher sans avoir envie de vomir. Plutôt pratique, au vu de ta position, certainement. Mais ça n'empêchait pas que la question te trottait dans la tête depuis bien longtemps sans que tu n'y ait jamais trouvé une réponse qui te satisfasse.   

Elle inspire profondément dans la clope qu'elle vient de te taxer avant de répondre. La lassitude de Wonderland. Comme elle dit, tu peux pas vraiment comprendre. C'est pas encore assez normal pour toi,  malgré les années passées à errer ici. C'est tout ce qu'il te reste comme souvenir pourtant, à l'exception de quelques rares, très rares moments d'égarements. Déjà-vus lointains. Mémoire d'un frisson sur ta peau. D'une intonation de voix. Réminiscence d'une panique oubliée. T'as l'impression qu'il y aura pourtant toujours quelque chose pour te surprendre, sur ces terres inconnues. Absinthe, elle, en a déjà trop vu pour toujours vivre dans cette illusion.

Tu sirote pensivement ton verre. Si la vie éternelle semblait peser comme un ennui monstre aux yeux de la chenille, tu te demandais bien pourquoi elle ne cherchais pas plus de sensations fortes. A sa place, tu ferais probablement plus que de rester assis derrière un bar. Ou avait-elle déjà passé cette période où tout essayé, ou foncer partout la teête baissée pouvait se montrer divertissant? Quoi qu'il en soit, tu donnerais chère pour ne plus avoir à te préoccuper de ce qui pourrait ou non avoir ta peau.

Elle t'accompagne dans la boisson. A même la bouteille, car Absinthe ne connaît pas la modération. A quoi bon, après tout? Quand on a pas à se soucier de l'état de son foi. Toi même n'y prête pas vraiment attention, en toute honnêteté. Et la vitesse à laquelle tu accepte la proposition de rester grignoter au comptoir, synonyme d'un débit constant de boisson, ne fait que le prouver. Et ce malgré les piques de la brune qui se multiplie depuis ton arrivée.

Te sentirais-tu si seule, mère-grand, pour quémander si mauvaise compagnie? Je fais pas auxillière de vie, d'habitude, mais ça serait impoli de laisser une personne âgé en détresse.

Parlant de solitude, ton regard se perd dans la salle habituellement remplie. Le glasshopper était pourtant un endroit populaire, mais se distinguait par le manque de monde, ce soir. Et surtout, par l'absence de certains visages familiers.

T'as renvoyé tout le monde ce soir, d'ailleurs? J'ai pas vu Joy. J'avais quelques trucs pour elle, au passage. Je repasserais, j'imagine.

Dernière gorgée qui coule le long de ta trachée, te réchauffant de l'intérieur, avant que tu ne t'accoudes au bar. Qu'importe la fréquence des livraisons, tu ne passais que rarement du temps avec Absinthe, encore moins en tête à tête. Alors la raison de cette soudaine envie de discuter d'une époque où vous n'aviez rien à vous dire te surprends un peu.

Alors, dis moi, mamie. Qu'est-ce que je fais là, à part tester des derniers petits plats?

Rire étouffé, quand elle te demande si tu flirt avec ses employés. Joy n'est pas un flirt à proprement dit, bien que tu n'irais pas refuser ses faveurs. Parfois ambiguë, peut-être, mais elle était simplement quelqu'un dont tu appréciais la compagnie... et qui appréciait ta production. Disons-le, elle n'était pas la seule barmaid avec qui tu t'entendais mieux qu'un simple habitué, mais tu préfères te contenter de répondre sur sa proposition.

Je préfères lui remettre en main propre. Pas que je te fasses pas confiance, mais le soleil est pas couché, et tu bois à la bouteille avec une clope au bec et de la poudre dans le nez. Sans parler d'Alzheimer qui doit guetter à ton âge.

Malgré le stock qu'elle venait de recevoir, t'étais aussi à peu près certain qu'elle se servirait quand même de dans celui que tu lui aurait confié pour la brune. Autant dire que tu repasserais. C'était bien plus prudent. Tu voudrais pas qu'on dise que t'es livraisons ne sont pas fiables. Tu t'appliquais bien trop pour être aussi irréprochable que possible dans ton taff pour permettre ce genre d'écart facilement évitable.

Elle approche soupe et houmous, un peu de pain. T'as rien à redire sur ses choix au menu, ce qui n'est pas toujours donné, et la soupe que tu entames alors qu'elle te parle de sa purée de pois chiche est définitivement à ton goût. Tu dépose pourtant rapidement le bol sur le comptoir, lèvres retroussées, rictus entre l'ironie et l'hypocrisie.

Je te vois venir à des kilomètres, Absinthe. Si tu veux parler de notre petit ami au poil blanc et de ses déboires au manoir, dis-le de suite. Et pour ta gouverne, avant que tu ne gaspille ta salive pour pêcher des informations que je n'ai pas : je sais pas ce qu'Alastor ou la brigade comptent ou ne comptent pas faire à ce propos. Je fais juste de la poudre dans mon labo, moi.

Un haussement d'épuale désabusé accompagne ta déclaration. D'un côté, ça t'agace cette opacité. Ego qui démange, quand la réalité te rappelle un peu trop brutalement que t'es pas assez haut placé pour être dans les conversations qui importent. Pas ta division, certes, mais t'avais l'impression que tout le monde s'afférait à quelque chose que tu ignorais, et ça ne te plaisait pas vraiment. L'avantage, cela dit, c'était que tu pouvais te montrer honnête avec le chenille ce soir, quand tu lui disais que t'étais pas au courant des plans de la secte.

Levé de sourcil à sa réfflexion sur ta taille. Tu aurais dû te douter que son humour ne volerait pas haut, mais tu ne te laisses pas démonter pour autant. Coudes posés sur le bar, penché dans sa direction, tu la regarde avec audace, tout en tapotant sur le comptoir du bout des doigts.

Moucheron ? De ta part? Tu es sûr de vouloir te lancer dans les comparaison aux insectes?

Nouvelle gorgée du potage, tu es rassuré de voir que la conversation de s'attardera pas sur ce sujet. T'as pas vraiment envie de penser aux visuels qu'on t'a décrit avec un peu trop de détails, Oz. Pas devant un bon repas, dont on te demande justement des nouvelles. Ca t'arrache un roulement d'yeux vers le ciels de le reconnaître, mais t'as pas de critique à faire jusqu'à présent. Tu opte donc pour l'humour gras, pour se distinguer de l'équilibre des plats servis.

Je dois reconnaître que la cuisine est bonne. Presque autant que les barmaids habituelles.

Discrêt rire auto-satisfait, pendant que tu tartines une tranche de pain du houmous qui semble régaler la bleue, pendant qu'elle te raconte ses plans. Belial, hein? Là encore, tu ressens le besoin de rester le plus vague possible. Manquerait plus qu'elle ait des suspicion et interroge le directeur du casino sur votre dernière rencontre. Pic de honte qui refait surface avec les vagues flashs de ton comportement dans son bureau.

Tu pourrais probablement plus faire face au responsable avant un petit moment, après la murge que tu t'étais prit. Ca restait mieux que d'y avoir perdu tes dents... ou pire, et c'était avec ce genre de pensées que tu te réconfortais. Honneur bafoué, mais visage intacte. Ca aurait fait un bon sous-titre pour ton autobiographie, malheureusement.

De ce que j'en sais, pas mal. J'crois que Blanche le calme un peu. Enfin... Va savoir, j'ai jamais été très potin de ce genre.

Pour cause, Oz, t'y as jamais rien compris, au drames amoureux. Et t'as pas le meilleur presentiment sur ce que peut donner une relation entre deux membres de sectes déséquilibrés, mais hey, si ça leur faisait plaisir, hein?

Tu hoche la tête en approbation de sa remarque à propos de Blanche. Toi aussi, tu te dis que t'as manqué une sacrée occasion. Faut croire que la chenille et toi aviez finalement quelque chose en commun. Vos goûts en matière de filles, et peut-être votre consommation d'alcool et de tabac. Mais le fait est que toute similitude ou affinité s'arrêtait à peu près là, et c'était définitivement pas assez pour que tu risque tes sous dans une partie de poker que tu savais déjà perdue, pour son simple divertissement. Cela dit, tu te demandais ce que ça donnerait. T'avais de quoi t'amuser un peu toi aussi, avec tes propres capacité.

Bien sûr, oui. Gentille. Si tu veux m'escroquer, tu peux directement demander, ça ira plus vite.

Nouvelle bouchée de sa préparation, nouvelle bouffée de nicotine à son étrange proposition. On ne manquera pas ton expression confuse, presque amusée de l'absurdité de ce quelle te demande. Espionner ? Pour elle? Et puis quoi encore? La fumée s'échappe de tes lèvres avec un petit ricanement condescendant, qui, tu le penses, suffit à faire comprendre à la patronne que tu n'es pas prêt d'accepter son offre. Surtout formulée ainsi.

Sans rancune, Absinthe, mais je pense que tu comprends tout à fait pourquoi : Tu n'as pas rien à m'apporter de plus.

Ce n'est définitivement pas une question de loyauté à Alastor. Contrairement à une bonne partie de la secte, tu ne lui voue pas un culte sans faille, mais pense plutôt aux opportunités qu'il te donne. Et tu en a bien conscience, personne ne t'en donnera beaucoup plus en l'état actuel des choses. A part en cas de retournement de situation pour les Dark Shadows, donc, tu n'allais pas trahir ton maître. Pas pour elle. Pas encore.

Si c'est ta façon de me mettre dehors, va pour un dernier verre.

Tu accompagnes ainsi le récipient jusqu'à sa main, glissade sur le comptoir lancée du bout de tes doigts. T'as le souffle déjà un peu réchauffé par tes consommation. Pas de quoi te mettre dans le brouillard, mais de te rendre un peu plus joyeux. Un peu plus imprudent. Mais rien qui ne pourrait t'empêcher d'aller retrouver la barmaid chez elle, pour lui livrer sa dose, n'est-ce pas? Une dernière boisson pour une dernière livraison, et t'aurai terminé ta journée.