CARACTÈRE

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Gradine entre tes doigts parsemés d'irrégularités, on regarde ce bloc dont les contours se dessinent quand la lune se pose sur la fourrure. Quelques coups quand ta respiration laisse échapper un filet de buée dans l'air environnant, nulle once de chaleur en ce lieu bénie de lumière glaciale. Les doigts qui se perdent dans la ceinture autour de tes hanches, quand elles saisissent la gouge dessinant des pupilles flamboyantes, guère de son autre que le crissement des outils sur la glace. On recule d'un pas, d'un second pas, et on admire les reflets violets, les reflets bleutés, les reflets presque gris que la lumière se découpe en une myriade d'autres. Un immense ours sur ses pattes arrière, sa patte levée, prête à s'abattre sur son opposant (toi), ses yeux fiévreux de vouloir défendre son territoire, ses petits, sa vie, son honneur, sa fierté. On dépose les outils, on lève une main pour tenter de capturer l'essence de cette vie éphémère qui se laissera fondre dans le regard lourd d'une chaleur constante, loin dans ce ciel, quand la nuit finira. Un dernier souffle, un long monologue sur l'histoire de ce magnifique ours avant que tu ne lui tournes le dos, avant qu'on ne parte rejoindre au plus près la lune.

On laisse l'étoffe se perdre sur nos courbes, on laisse l'étoffe tremper dans la neige qui te mordille les pieds, on laisse les habits rejoindre terre avant que ne s'amorce un titillement dans les articulations. Un long déchirement entre les muscles, un cri muet entre des lèvres qui se figent et se contorsionnent, quand les doigts se perdent dans une fourrure verdâtre. Quand on lève le museau au ciel et qu'on se rend compte qu'il parait si loin, si éclatant, si énorme et pourtant si petit. Quand on sautille un peu plus, contraste éclatant entre la blancheur que tu ne possèdes plus et cette couleur inhabituelle. On gratte à l'entrée de cette chaumière accueillante, on gratte pour fermer les pupilles face à cette subite lumière qui t'agresse avant qu'on ne sente des bras chaleureux te prendre et te bercer. On lâche un petit couinement de bonheur avant de se nicher dans son cou, avant de se repaître dans sa générosité. On pense que si tu n'étais qu'humaine, tu ne pourrais l'approcher, alors on savoure cette anomalie qui te différencie de tes compères.

On l'aime.
La lune.

+:

On aimait ta présence rassurante, on aimait tes cheveux couleurs nuit étoilée, on aimait la galaxie dans ton regard. On voulait que tu nous remarques, on voulait que tu fasses attention à elle, on voulait que tu ne fasses attention qu'à elle. Alors pourquoi ? Pourquoi ta respiration se bloque dans ta cage thoracique qu'importent les coups que tu lui donnes pour laisser passer l'air ? Pourquoi les larmes qui glissent sur tes joues se figent dans l'air, pourquoi tes ongles laissent-ils des traces sur tes bras ? Pourquoi es-tu prostrée à même la neige, pourquoi, pourquoi Lapin ?

On était perdu, on ne savait guère où on allait, on se rappelait qu'on n'était pas d'ici sans réellement savoir d'où tu venais. On n'aimait pas toute cette neige, on n'aimait pas cette froideur qui pénétrait dans tes os, on n'aimait pas sentir ce tiraillement car tu savais (comme nous) que cela annonçait une transformation. On ne comprenait pas ce monde, on ne te comprenait pas. On n'aimait pas ce village. On aimait le timbre de ta voix.

On est restés, tu souhaitais demeurer à ses côtés, tu n'osais te transformer devant lui, cette peur tenace d'être abandonné. Mais tu la repoussais, encore et encore et elle restait des heures durant dans cette froide neige, ne fixant qu'un ciel sans lune. Une simple étole encore accrochée à ses maigres doigts, simple souvenir d'une vie déjà trépassée, fixant de loin ton chez-toi, fixant ce sourire que tu ne lui adressais pas.

On a lâché l'étole.
On a lâché l'espoir de repartir chez soi.
On a lâché les maigres souvenirs.

Regarde-moi, rien que moi.
Aime-moi, rien que moi.
Différencie-moi d'autrui, rien que moi.

Le tiraillement coutumier te laissant  figer avant que tu ne rapetisses, sortant ton petit corps de tes habits, ne sachant guère ce que tu étais devenue. Grattant à sa porte, prenant ton courage à deux mains, souhaitant qu'il t'accepte dans sa vie, que tu puisses être à ses côtés, pour toujours.

Jade.

Un maigre reflet dans un miroir, une tache colorée, une tache verte, toi. Il te donna un nouveau nom, il te donna une nouvelle vie, il te donna un nouveau but. Et pourtant, jeune femme, on sait. Dès que tu ressors de chez lui, tu te teins les cheveux et les oreilles que tu ne peux plus cacher. On le sait que tu le fais pour qu'il ne te reconnaisse guère, pour qu'il ne soit pas déçu, pour qu'il ne t'abandonne point seule dans ce froid qui enfonce des aiguilles de froideur dans ton cœur. On le sait.

Tu te perds.

Qui es-tu ?

Jade ou Xian ?