La curiosité des rivages s'était étendue à la connaissance du monde par les grands cris affolés du pauvre hère qui l'avait trouvée. Ses échos étaient parvenus jusqu'aux terres arides de Crims, portés de murmures en chuchotis par un millier de lèvres intriguées – atteignant même la couronne, qui par prudence avait préféré envoyer un émissaire sur place afin de s'assurer qu'il ne s'y trouvât nul danger.

Le rôle avait été confié à l'oiseau noir, qui en messagère zélée avait l'usage des longues chevauchées à travers tout Wonderland. Parvenant alors aux abords du lagon aux sirènes sous une chaleur de plomb qui n'était pas sans lui rappeler ses terres, elle descend de sa monture, qu'elle laisse vagabonder librement, et observe la scène qui s'offre à elle sur le sable, en contrebas. Un pli maussade vient assombrir ses lèvres carmines lorsqu'elle aperçoit plusieurs silhouettes massées près du gigantesque corps léché par les vagues. Elle réprime un soupir, agacée de n'avoir pas le champ libre pour mener sa tâche à bien, et entreprend de fouler la plage pour s'approcher du groupe.

À présent suffisamment proche pour détailler les visages un à un, elle reconnaît sans peine celui d'Anaël et fronce le nez, lâchant du bout des lèvres :



Passé le déplaisir, elle réalise alors l'activité à laquelle s'adonnent les curieux, dont certains se sont déjà hissés sur le cadavre avec l'enthousiasme des inconscients. Un air proprement scandalisé se peint sur son visage pâle, et la stupeur la laisse muette un instant, presque désemparée face aux cris et aux rires. Alors, sa voix discordante se met à résonner, roulant contre les dunes comme un éclat de tonnerre :



Le bleu de ses yeux irradie de fureur, et son ton ne souffre aucune réplique.



Elle relève alors le regard sur les intrépides perchés en hauteur, qu'elle désigne d'un doigt menaçant.



Sa mine outragée ne la quitte pas. Un instant, elle hésite à claquer des doigts pour couper court à toute protestation, mais se dirige plutôt vers la tête du géant. Une ombre passe dans son regard, emplie de peine. Elle esquisse alors un geste en direction du groupe, avec la désinvolture de ceux qui prodiguent les ordres plutôt que ce s'y plier.



Qu'il puisse au moins reposer avec un peu de dignité.

L'oiseau noir représente une menace partout elle va, aussi ne se formalise-t-elle pas d'être accueillie froidement. Non, ce qui l'irrite au plus haut point, c'est qu'on moque son indignation, et pire, qu'on discute ses ordres. Bande petits pourceaux. L'éternité rend la rancune tenace, croyez bien qu'un jour ou l'autre, elle saura vous faire payer cet affront.



Le regard irradie, captant les gestes grossiers les plus silencieux. Vous ne perdez rien pour attendre : un mot de sa part, et des avis de recherche à votre effigie couvriront les murs de Crims. Une moue réprobatrice lui tord les lèvres lorsqu'une protestation fuse, infondée et pleine de mauvaise foi.



À ces mots, les yeux se tournent vers la dépouille du géant, guettée par les oiseaux. Une vague de mauvaise humeur l'envahit en réalisant que personne ne lèvera le petit doigt pour fermer les yeux de la pauvre créature afin de lui offrir un tant soit peu de dignité, tout à leur nouvelle découverte : deux navires qui voguent sur l'onde, et se rapprochant de la plage. Alors que tous quittent les lieux en courant, elle s'approche du visage du géant, et pose une main contre son gigantesque menton, peinée.



Puis, sur un soupir, elle se résigne à tourner les talons et trotter sur le sable dans le sillage des garnements qui se sont échappés en direction du bateau le plus proche. Sa tâche lui incombe de s'assurer qu'il ne s'y trouve aucun danger.