Toujours aller de l’avant.
Toujours.

Sur ce point, l’une n’avait jamais changé, tandis que l’autre l’accompagnait sans broncher, même dans les aventures les plus folles. Elle l’avait promis, la future madame Stark ; promis qu’elle aiderait sa fiancée à maîtriser son nouveau don, quitte à la mettre dans une posture désagréable. Elles avaient aussi quitté leur cocon à Halloween City pour se rendre là où le danger pouvait venir de n’importe où.

Les substances concoctées par l’araignée auraient sans doute pu suffire ; mais Crowe ne voyait pas cela d’un bon œil. Pour avancer plus vite, elle devait prendre des risques. Car maîtriser sa nouvelle capacité devenait petit à petit une question de vie ou de mort. Si un jour le contrôle lui échappait, qui sait ce qui pourrait se produire ? La bretteuse avait déjà eu quelques aperçus, elle pouvait casser quelqu’un en deux comme une allumette si elle le voulait.

Pas un instant elle n’oubliait qu’au-delà de mettre sa vie en danger, celle de sa fiancée pouvait l’être également ; et ça pas question. Bien qu’elle avait confiance en sa douce araignée pour la protéger du danger et vice-versa ; le risque était trop grand pour le prendre à la légère.

Devançant légèrement son amante, elle leva soudainement la main pour l’intimer de s’arrêter. Et pour cause, la faune de l’endroit montrait le bout de son museau. Elle chuchota à sa belle avec calme, la voix dépourvue d’émotion :

— Il y a une petite bande de dents-de-lion un peu plus loin. Je crois qu’ils sont en train de chasser. On va les laisser passer leur chemin, en espérant qu’ils ne nous prennent pas pour des proies… non pas qu’elle en avait peur, mais réduire la faune de Wonderland n’était pas dans la fiche métier d’une mercenaire de la brigade ou alors elle avait mal regardé.

Elle fit un pas de recul, la main sur son katana, se mettant à la hauteur de sa chère et tendre. Puis elle se retourna d’un coup et cria :

— Bouh ! Non je déconne ils sont bien trop loin pour nous avoir remarquer. Je m’assure juste qu’ils prennent la direction inverse de la nôtre, sinon on changera notre itinéraire. Pas trop fatiguée ? Elle marqua une petite pause, le temps d’avoir la réponse de sa fiancée avant de reprendre la parole : c’est amusant, la dernière fois que je suis venu ici, c’est à ce moment que j’ai commencé à envisager de faire ma vie avec toi. J’ai d’ailleurs rencontré quelqu’un qui vit reclus dans une bicoque non loin de là. Étrange, mais utile.

Sans mentionner le nom d’Uriel, elle inspira longuement, usa de ses sens pour anticiper les déplacements de la petite bande de prédateurs avant de constater qu’ils s’éloignaient d’elles. Un soupir apaisé plus tard et la mercenaire de la brigade fit signe à sa partenaire d’avancer avec elle.

— T’es sûre de pas le regretter, ma future madame Stark ? Ça ne va pas être une randonnée de tout repos. On peut encore rebrousser chemin… d’ailleurs, j’en étais où dans mon récit sur les événements d’il y a quelques jours ? Tu sais le truc avec les géants là.

Ça aussi, c’était une péripétie qui valait le détour.
L’une des plus étranges que la bretteuse avait vécue.
Et quelque chose lui disait que ce ne n’était que le début.
La tempête n’était plus loin.

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Elles n’étaient pas du genre à regretter.
Pas pour les mêmes raisons cependant.

Pour Crowe, c’était surtout de l’insouciance et cette envie immuable de rester ancré dans le présent. Toujours se focaliser sur ce qui se passait maintenant que le reste. Darya semblait plus réfléchie dans les décisions qu’elles prenaient bien qu’elle était elle aussi capable d’être impulsive par moment.

Bien que les deux amantes pouvaient parfois douter, il y a bien une chose sur laquelle elles n’avaient ni regrets ni doutes : être ensemble. Même si tout n’avait pas été tout rose, comme on pouvait s’y attendre avec des caractères comme le leur, au final, leur union n’était que la suite logique de tout ce qu’elles avaient vécu ensemble. Crowe ne comptait pas revenir sur sa décision, Darya non plus. Pour le meilleur comme pour le pire ; ne sachant lequel était à venir, sans doute les deux.

Son corps blotti à la faveur de celui de la traqueuse, l’araignée taquinait le papillon comme il était de coutume avec elle : « Douterais-tu de ta future femme ? Ce serait une bien mauvaise idée de ta part ».
— Jamais.

Pas un mot de plus, même pas le temps d’en placer un alors que sa fiancée vint l’embrasser langoureusement, pour le plus grand plaisir de la bretteuse. Son appétit pour la dame aux araignées n’avait jamais changé. Il était peut-être même devenu plus vorace encore qu’auparavant. Toujours avide de ses lèvres, ses courbes ; avide d’elle. Elle s’écarta ensuite de la brune aux reflets indigo, lui indiquant qu’elle attendait toujours son récit.

Crowe ne la fit donc pas attendre plus longtemps alors qu’elles marchaient ensemble, s’enfonçant dans la jungle :

— Au départ, ça ressemblait à un rêve. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas le cas, j’étais bien trop alerte pour que ça soit le cas. Paradoxalement, malgré le caractère irréel de tout ce que j’avais devant les yeux, j’ai écarté l’idée que je fabulais ou que j’hallucinais. Plongée dans un désert avec un petit groupe d’individus, notamment des ombres comme nous. J’ai très vite usé de mes sens pour trouver ce que n’importe qui doit absolument chercher dans un désert : un cours d’eau.

Elle marquait une petite pause pour souffler, en profita également pour se remémorer ce qui s’était passé avant de poursuivre :

— On arriva vite vers une sorte d’oasis avec un cours d’eau et une cascade gigantesque. Si haute que l’eau semblait limite tomber du ciel. Et ça encore c’est que le début. Devant la cascade il y avait deux géants qui chialaient comme deux madeleines. Il y a une attardée dans le groupe qui a proposé qu’on les tue… sans déconner, trucider la seule source d’informations de cet endroit incongru… quelle idiote. Bien évidemment tu me connais, je n’ai pas la langue dans ma poche, je lui ai balancé ses quatre vérités. L’attardée a ensuite eu la bonne idée de menacer de me couper la langue ; sans doute qu’elle n’avait aucune idée de qui elle avait à faire. Finalement Judas a joué le médiateur en me parlant comme si j’étais une enfant… il a été difficile, très difficile de me retenir de lui casser un bras ou une jambe.

Puis elle remarqua quelque chose la bretteuse ; Darya qui d’ordinaire gardait son sang-froid semblait s’agiter un peu alors qu’elle était hors de la vue de la traqueuse. Bien évidemment, comme rien ne lui échappait et curieuse de connaître la raison de ce palpitant qui s’emballait soudainement ainsi que des signaux qui ressemblaient fortement à de l’agacement ; Crowe demanda :

— Quelque chose ne va pas ? Tu ne sembles pas être dans ton assiette.

Elle avait sa petite idée là-dessus.

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C’était donc ça.
Ce qui avait provoqué l’agacement de l’araignée.

Crowe avait peut-être sous-estimé l’affection que Darya avait pour le « traitre » de la secte. Elle parlait même de lui comme d’un frère. Ça ne se voyait pas seulement dans la façon dont elle parlait, le ton qu’elle employait, son être entier faisait de son mieux pour réprimer la douleur qu’elle ressentait en parlant de lui. Darya faisait bonne figure, mais sa fiancée n’était pas dupe… elle comprit rapidement que le lien que les deux entretenaient était bien plus fort qu’elle l’imaginait.

Elle avait toujours eu sa petite idée sur la question, mais ça se confirmait avec son attitude. Néanmoins, la traqueuse aussi s’agaçait de la façon dont elle parlait de lui, comme si tout espoir de le revoir était perdu ; comme si rien que le fait de défier l’autorité d’Alastor était impossible, impensable. La bretteuse elle ne voyait pas les choses du même œil. Mais curieusement, elle garda le silence pour cette fois.

Pire encore, elle tourna le dos à son amante.
Et au lieu de rebondir ce qu’elle avait dit, elle continua son récit :

─ Bref. Aucun mort ni blessé à signaler du côté de notre petit groupe. Nous avons interrogé les géants sur la raison de leur chagrin, il s’avéra qu’un membre de la famille avait… je ne sais même pas comment formuler ça, mais je vais reprendre les mots de la mère de famille. L’un de ses enfants a été « avalé » par la cascade. J’ai pensé que c’était le moyen de revenir à Wonderland au départ ; comme tu te doutes ce n’était pas le cas.

Mais pour une raison obscure, cela semblait être une bonne idée sur le moment. Crowe ne put réprimer un sourire à cette pensée alors qu’elle se remémorait le reste :

─ Nous avons eu une discussion avec un vieillard sorti de nulle part. Enfin ça c’était après que l’un des deux géants nous ait pris en grippe et a tenté de nous écrabouiller comme des crêpes. Je remercie le ciel que mon nouveau don se soit activé à temps. J’ai pu sauver Judas et cet étrange enfant qui s’appelle Lenore d’une mort certaine. Tout en m’évitant de finir aplatie moi aussi. Quant au vieillard… il n’a cessé de parler en énigmes, mais j’ai pu comprendre qu’il annonçait un mauvais présage pour les habitants de Wonderland. Parce qu’il faut toujours que ce soit un mauvais présage…

Avec son récit, Crowe semblait faire comprendre à Darya qu’elle ne voulait plus rien entendre sur Judas le traître et l’affection qu’elle lui portait. C’est en tout cas ce qu’elle laissa transparaître pendant plusieurs minutes durant lesquelles elle garda un silence de marbre, laissant la tension suspendue dans l’air pendant ce temps.

Et puis d’un coup, elle s’arrêta net de marcher. Elle pivota de quelques degrés pour finalement s’approcher de sa fiancée. Elle s’arrêta une fois à sa hauteur, les mains dans le dos. Elle finit ensuite par se pencher en avant, afin que son visage fît face à celui de sa bien-aimée. Puis, toujours aussi directe et tranchante, elle reprit la parole alors que l’intonation de sa voix ne bougea pas d’un iota. Restant neutre à tel point que ça en devenait effrayant :

─ T’as fini de te plaindre et t’apitoyer sur ton sort ? « Alastor l’a renié » ; « Alastor fait foi » ; « J’aurais voulu qu’il soit là » patin, couffin. Je n’entends que des excuses, que des aveux de faiblesses voir même de soumission. Dis-moi Darya, pendant tout ce temps où tu n’avais pas de nouvelles, pendant tout ce temps où tu voulais t’assurer qu’il aille bien, comment se fait-il que pas une seule fois nous ayons discuté de ça ? Comment se fait-il que pas une seule fois tu as eu la présence d’esprit de me demander de mener mon enquête, voir même d’essayer de prendre contact avec lui ? Elle marqua une pause, fronça les sourcils puis reprit : tu doutes de ma loyauté envers toi peut-être ? Ou bien tu penses que je ne me soucis pas assez de ton bonheur pour qu’il soit légitime de me le demander ?

Elle se redressa d’un bond, tourna une nouvelle fois le dos à son amante et fit quelques pas pour s’éloigner d’elle avant de conclure :

─ Cette attitude défaitiste, voire fataliste ; ça commence à me taper sur le système. Si tu veux vraiment qu’il apprenne pour nous deux, merde si tu veux en faire ton témoin même, tu n’as qu’un mot à dire et je trouverai le moyen de réaliser ça. Nous le ferons ensemble. Je crains plus ton chagrin que le courroux de notre cher gourou.

Parce que malgré sa loyauté envers la secte, malgré l’affection pour l’homme ; Crowe n’en oubliait pas une chose : il n’y avait qu’un être au monde auquel elle était véritablement dévouée. Et c’était celle à qui elle avait demandé sa main.

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À force de la voir docile, on en oubliait sa sauvagerie.
À force de la voir calme, on en oubliait sa folie.
À force de la voir douce, on en oubliait sa violence.

La traqueuse était un animal carnassier et sanguinaire, Darya avait simplement le privilège de profiter de son humanité. Peut-être qu’elle-même en oubliait ce dont son amante était capable lorsqu’elle perdait le contrôle, lorsqu’elle perdait patience.

Alors oui, ses déclarations abruptes en étaient presque inhabituelles tellement la bretteuse était douce et mielleuse avec l’araignée. Mais à cet instant elle oublia la bienséance et ne mâcha pas ses mots.

Mais ne fut pas le pire. Non, le pire fut qu’elle en perdit sa concentration alors que les mots de sa fiancée la frustrèrent. Elle entendit trop tard l’arc se bander, la flèche était déjà partie. Il ne tint qu’à un réflexe inhumain, inhérent à ses décennies d’entraînement pour éviter le pire. Elle écarta son amante du chemin du projectile, mais à quel prix ?

L’araignée fut violemment projetée contre un arbre alors que la traqueuse entendit la mélodie discordante des fêlures et craquement osseux. La flèche alla quant à elle finir sa course dans le bras gauche d’une Crowe furieuse de ce moment d’inattention. Elle entendit le second projectile, mais eut cette fois le temps d’esquiver.

Son regard se posa sur sa fiancée vers laquelle elle s’élança, prenant position afin de la protéger des prochains projectiles qui pourraient venir. Elle en profita pour casser la flèche qui traversait son bras avant de retirer le bois de celle-ci. Elle déchira rapidement un pan de son haori en grommelant des injures, faisant ainsi un garrot pour arrêter l’hémorragie. Dans son malheur elle avait de la chance, aucune artère n’avait été sectionnée.

Elle tourna la tête vers son amante pour l’intimer d’une voix basse :

— Ne bouge pas. Tu dois probablement avoir quelques fractures en plus des fêlures. C’est une bonne occasion pour me tester un peu… laisse-moi faire. Elle dégaina son katana d’une main ferme, puis tenta d’être drôle même si ce n’était pas réellement le moment : je ne laisserai personne te faire du mal, même si c’est un peu tard de ce côté-là.

Car la responsable de la douleur que l’araignée ressentait… c’était la traqueuse et personne d’autre. En revanche, ce qu’elle comptait faire du groupe d’agresseurs ; il n’y avait pas de mot pour l’exprimer.

On se concentre, on se concentre. Une quinzaine… putain. Deux archers. Je dois m’en charger en priorité tout en protégeant Darya. Faut voir le bon côté des choses cela dit, je n’ai pas besoin de me retenir comme j’aurai pu le faire pendant mes entraînements. Je peux me lâcher complètement. Ça tombe bien, je voulais me tester. Merci pour l’aubaine.

Un sourire mauvais s’étira sur ses lèvres tandis qu’elle se redressa. Elle en profita pour user des sens afin de localiser la position des deux archers. La dernière étape fut d’attirer l’attention des agresseurs sur elle, s’adressant à eux d’une voix déformée par l’excitation grimpante :

— Allez, venez me tuer ! Je suis à votre merci, vous ne voyez pas ? Venez jouer avec moi ! Je veux vous voir vous vider de votre sang ! Je veux vous voir les entrailles à l’air ! Je veux vous voir hurler de douleur pendant que je vous déchiquette !

Elle hurlait, riait aux éclats. Son corps tremblait, gigotait comme si elle était possédée par un esprit malfaisant. Elle agitait son arme dans tous les sens comme si elle était devenue folle. Elle goûtait de nouveau à l’ivresse d’une tuerie imminente, elle aimait tellement ça. Si bien qu’elle en oubliait presque qu’elle devait protéger sa fiancée.

Mais comment résister ? Comment ? La traqueuse ne le pouvait tout simplement pas. Elle vivait pour ces moments là. Le visage déformé par les éclats de rire discordants alors qu’elle entamait sa danse macabre. Plongée dans un état second durant lequel elle ne répondit de rien. Elle testait les nouvelles limites de son corps alors qu’elle exterminait ceux qui voulaient lui faire du mal, à elle et l’amour de sa vie.

Elle découpait les membres, les têtes. Elle taillait les chairs, éventrait ses ennemis sans hésitation ni pitié. Chaque coup avait presque la force et l’impact d’une dizaine grâce à son nouveau don. Elle brisait les os, paralysait les agresseurs, tout cela avec une force et vitesse qui semblaient ne pas appartenir à ce monde. Et pourtant, à Wonderland tout était possible. La preuve, même une monstruosité raffinée comme elle avait trouvé son âme sœur.

Et quelle démonstration elle lui faisait ! Terrifiante certes, mais aussi fascinante. Le visage gorgé de sang, elle revint finalement vers son amante en traînant la carcasse de l’archer ayant tiré la première flèche. Le corps dépossédé du bras ayant lâché le projectile. Elle maintint une pression à l’aide de son talon sur le plexus du tireur, afin de le garder immobile.

Le regard se tourna une fois de plus vers Darya alors qu’elle la toisait de ses saphirs. Puis elle tourna le visage vers le faciès horrifié du dernier agresseur encore en vie. D’une voix calme, sans que l’intonation ne changeât, elle scella son funeste destin :

— Toi… c’est à cause de toi si ma fiancée est blessée. Tu veux savoir ce que j’ai ressenti quand j’ai entendu ses os se briser ? Tu veux savoir ce que j’ai ressenti quand j’ai vu son visage déformé par la douleur ? Penchée sur lui, elle leva le bras tout en serrant le poing. Elle donna ensuite le coup de grâce. L’impact fut d’une telle puissance qu’elle traversa la poitrine de l’archer, écrasant son palpitant contre le sol au passage. Et malgré les séquelles que cet élan de folie pouvait engendrer, la béatitude se lisait sur le visage d’une Crowe délivrant sa dernière réplique au macchabée : Quelque chose comme ça.

Elle revint alors près de son amante, s’agenouillant pour être à sa hauteur, son visage au même niveau que le sien. L’éclair meurtrier de ses saphirs n’avait pas disparu, presque comme si elle avait des intentions funestes pour sa fiancée. C’est pourtant son faciès qu’elle approcha dangereusement du sien. Ses lèvres qu’elle mordilla alors qu’elle débordait encore d’excitation. Sa peau qu’elle caressait de sa main peinte de carmin.

Son visage.
Sa peau.
Son corps.
Son être.
Crowe en était ivre.
Folle à lier.
Folle d’elle.

— Personne d’autre ne te tuera si ce n’est moi…

Ce fut la promesse qu’elle lui fit.

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Parmi tous les scénarios envisageables, il y avait également celui-ci. Celui qui rebutait la traqueuse à cet instant, mais qu’elle gardait dans un coin de son esprit néanmoins. Et bien qu’elle eût du mal à y croire, il se pourrait qu’un jour les sentiments de la traqueuse pour sa fiancée s’en aillent.

Si jamais ce jour arrivait, quelle serait sa réaction ? Du côté de Darya en tout cas c’était clair, elle préférait mourir que vivre sans le papillon. Le cas échéant, si Crowe devait se lasser d’elle un jour, bien que cela lui paraissait impossible, cette possibilité existait, qu’elle le voulût ou non.

À ce moment-là, il n’y aurait plus qu’une seule solution : prendre la vie de sa future épouse. Une fois encore, cette idée la débectait, elle souhaitait la réfuter de tout son être. Mais celle-ci ne voulait pas quitter son esprit. Bien qu’elle voulût ne pas y penser, elle le devait. Elle n’avait pas d’autre choix.

Alors, pendant que son amante était aux petits soins pour la bretteuse, en dépit de ses propres os brisés ; Crowe parcourut de son autre main le visage ensanglanté de l’araignée. Elle vint soudainement attraper son cou entre son pouce et son index, serrant celui-ci fermement presque comme si elle avait des intentions funestes à son égard.

Et sur un ton froid, inexpressif, détaché à un point que cela en devenait terrifiant, elle s’interrogeait à haute voix :

─ Je me demande comment je le ferai. Je pourrais te briser la nuque comme on craque une allumette, te trancher la carotide ? Elle descendit jusqu’à sa poitrine, visant son palpitant de son index en maintenant une pression presque désagréable sur sa peau ; je pourrais t’arracher le cœur de mes mains ou y planter ma lame. Plus bas encore elle descendit sa main, jusqu’au niveau de l’intérieur de ses cuisses, qu’elle parcourait en faisant courir ses doigts dessus : ou trancher cette artère-là peut-être ? Le corps humain est si… fragile.

Elle prononça cette dernière phrase sans pouvoir masquer son dégoût, son aversion pour la vulnérabilité de la race humaine. Il était si facile de prendre une vie, de faire souffrir. Mais si elle devait mettre à fin à celle de son amante, il y avait au moins quelque chose de certain :

─ Je promets que je ferai ça vite et sans douleur. Que cette affirmation fût rassurante ou pas, elle avait au moins le mérite d’être sincère. Darya était la dernière personne que Crowe voulait voir souffrir. Ce pour quoi elle surenchérit d’une déclaration venant de nulle part, saupoudré d’une voix déformée par l’excitation lascive la parcourant soudainement : dommage que tu sois toute cabossée, je t’aurais bien prise, là, maintenant.

L’insanité de la traqueuse dans toute sa splendeur. Alors qu’après s’être occupée de sa fiancée, l’araignée lui indiqua qu’elle irait même jusqu’à redonner sa splendeur d’antan à son vêtement abîmé. Ce à quoi la traqueuse ne répondit rien. Elle se releva d’un bond et d’un coup… elle subit le terrible après-coup de sa capacité.

Une douleur lancinante parcourant son corps, comme elle n’avait sans doute jamais ressenti auparavant. Un hoquet mélangeant surprise, frustration et algie alors qu’elle s’écroulait après avoir fait un pas pour s’éloigner de son amante.

La mâchoire serrée pour ne pas laisser échapper le moindre cri pouvant trahir la présence des deux amantes blessées, elle convulsait alors que l’intensité de son supplice ne faiblissait pas. Et pendant cet instant qui sembla durer une éternité, elle comprit qu’elle en avait trop fait, qu’elle avait trop sollicité ses muscles et que ceux-ci lui faisaient comprendre son erreur de la pire des manières.  

Comme des crampes sauf que l’agonie en était démultipliée à cause de l’usage qu’elle avait fait de cette nouvelle capacité qu’elle ne maitrisait pas encore. Si intense qu’elle en eût les larmes aux yeux. Si intense qu’elle lui rappelât alors sa condition. Crowe aussi était une humaine. Crowe aussi était vulnérable. Et lorsqu’elle n’avait pas de solutions, elle faisait ce que tout le monde faisait face à la détresse : elle appela à l’aide.

─ Darya… qu’elle prononça dans un effort presque surhumain alors qu’elle tentait de tendre sa main vers elle.

Une chose est sure en tout cas… cette douleur, elle s’en souviendra, quand elle reviendra à ses esprits. Car à cet instant, il n’y avait rien d’autre que l’algie. Et quand c’était ainsi, il n’y avait d’autre choix que de prendre son mal en patience. Ou d’attendre que son amante vînt l’aider.

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Les secondes étaient des minutes, les minutes étaient des heures. Pour elle c’en était presque une éternité. Pourtant elle connaissait la douleur ; combien de fois elle l’avait expérimenté ? Sous combien de formes ? Elle la connaissait si bien qu’elle l’accueillait presque comme une vieille amie. Crowe avait coutume de dire qu’il n’y avait rien de mieux pour se sentir vivante que de souffrir.

Là, ce fut tellement intense qu’elle en perdit le contrôle de son corps et son esprit. L’un convulsait pendant que l’autre se perdait dans ses méandres. Mais il y eut quelqu’un pour attraper la main qu’elle avait tendue par désespoir de cause. Et ce fut la même personne que d’habitude, la bonne : Darya.

Toujours pleine de ressources, ignorant la douleur lancinante qu’était la sienne, elle se rua sur l’épéiste qui ne pouvait rien faire de plus que de subir, d’attendre. Elle sentit son corps se blottir contre le sien, pour la protéger, la rassurer. Parmi l’écho dissonant de ses pensées, elle entendit le son de la voix de son amante ; elle était là pour elle, toujours, en dépit de sa propre douleur.

Sans opposer quelconque résistance, sans en avoir réellement la possibilité, elle se laissa manipuler comme un mannequin désarticulé alors que le liquide descendit le long de sa gorge. L’étreinte de l’araignée n’avait pas son pareil. Elle était parfaite, tout ce dont Crowe avait besoin, rien de plus, rien de moins.

Il semblait presque que les deux partageaient leur douleur commune dans cet instant suspendu dans le temps. Elles y faisaient face à leur façon ; ensemble, comme cela devrait l’être pour les deux amantes. L’une n’avait besoin que de l’autre pour être heureuse et vice-versa. La bretteuse se raccrochait à cela de toutes ses forces, pour rester consciente, pour continuer de contempler le visage de celle qu’elle aimait, même déformé par l’inquiétude qui la rongeait.

Vint un moment où les convulsions s’arrêtèrent. Vint un moment où la traqueuse se sentait de nouveau capable de bouger, même un mouvement infime lui suffisait tant que ça voulait dire qu’elle reprenait le contrôle. La douleur s’atténuait et elle se sentait presque flotter comme sur un nuage. Elle sentit de nouveau la chaleur enivrante et rassurante d’une Darya blottie contre elle pour la protéger du moindre danger.

Ses sens étaient un peu émoussés, sans doute à cause de sa concoction… mais quelle importance. Elle avait enfin la force de parler. Et naturellement elle s’exprima avec son humour si particulier :

─ Te connaissant tu irais même jusqu’à me poursuivre dans l’au-delà. Le palpitant de son amante semblait enfin se calmer un peu maintenant que Crowe avait repris ses esprits et le contrôle de ses membres. Celle-ci tenta de bouger un peu, mais elle manquait de force, alors elle ordonna : embrasse-moi. Maintenant. Elle attendit que Darya s’exécute, capturant ses lèvres presque timidement tant elle manquait d’énergie. La traqueuse n’était vraisemblablement pas prête à bouger davantage.

Elle ferma dont les yeux, se focalisant sur ses sens, essayant d’étendre son spectre d’informations à glaner du mieux qu’elle le pouvait. Elle écoutait le battement de son cœur, celui de sa fiancée. Elle écoutait la jungle respirer, les araignées qui les entouraient, les insectes qui menaient leur petite vie, la faune et la flore qui vivaient, tout simplement. Et puis elle se souvint de leur conversation interrompue par leur mésaventure. Qu’elle voulut tout naturellement reprendre, sans pour autant mettre de l’huile sur le feu :

─ Tu ne crois pas qu’un caprice, ça se décide à deux Darya ? Je veux dire… comment tu peux être certaine que tu en fais un si je décide que ça n’est pas le cas ? Si j’estime que ce que tu veux est à ma portée, que je suis prête à le faire pour toi, pourquoi ça en deviendrait un caprice ? Je tourne autour du pot je sais, je vais tâcher d’être plus claire. Je veux t’épouser Darya, te rendre heureuse du mieux que je le peux ; si tu veux que l’on vienne trouver Judas pour qu’il soit là pour ce moment important de ta vie, tu n’as qu’à me le demander. Je le trouverai. Pour toi.

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