le brouhaha s’était enfin tû.
restes du géant finalement emportés — il les avait observés travailler, de loin, dans les tréfonds du lagon.
aucune envie d'interagir avec qui que ce soit.
ou quoi que ce soit.
rien que le silence et ses pensées, aussi amères soient-elles.
jours qui s’étirent, se transforment en semaine.
puis une seconde.
il sait, sait, pourtant, qu’il devait revenir.
il le lui avait promis
mais il se sent si las, si vide.
comment pourrait-il être une épaule sur laquelle s’appuyer, s’il n’arrive même pas à feindre d’être heureux ?
après tout, il n’est bon qu’à fuir, fuir, fuir
vestiges de voix distordues qui lui soufflent toujours ses pires insécurités
parvient presque à les ignorer, désormais, yeon
le soucis, c’est qu’il est d’accord avec elles.
leur donne raison.
encore une fois.

et ce n’est pas la première, qu’il se traîne hors de l’eau.
s’avance sur la plage, jusqu’à l’orée de la forêt et-
rebrousse chemin.
s’étale dans le sable, à laisser le temps filer, filer, filer
doutes qui ne font que s’intensifier.
accepterait-il seulement de le revoir ?
il l’avait abandonné, alors qu’il lui avait juré d’être là pour lui.
rayons de soleil qui se font de plus en plus maigres, alors que le ciel commence doucement à se targuer de son voile d’encre.
esquisse un mince sourire, yeon, sans joie et fatigué.
journée qui tire à sa fin, et il est toujours là.
encore une fois.

il n’a pas envie de se lever, ou de faire le moindre geste.
parce qu’aujourd’hui, on ne l'attend pas, en bas.
parce qu’aujourd’hui, ça devait être la bonne, la vraie.
que peut-être, lorsqu’il reviendrait, ce serait accompagné.
soupire, yeon, alors qu’il se redresse — époussette distraitement les grains de sable qui se sont accrochés à ses cheveux.
il lui faut bien un endroit où passer la nuit, se hasarderait presque à toquer à la porte de nessy, s’il n’était pas aussi terrifié à l’idée de décevoir quelqu’un d’autre.
doute que son coeur arrive à le supporter et-

regard qui tombe sur une silhouette familière.
ça le laisse interdit un instant, mais bien vite, il rejette la tête vers l’arrière, rit à s’en ébrécher la gorge.
larmes qui perlent à ses cils, qu’il chasse du revers de la main.
se fiche bien de paraître dément, avec ses vêtements trempés et le sel incrusté dans ses mèches écarlate.
lèvres étirées en un rictus trop large, fend son visage en deux — il lui offre un piètre tableau, mais ce ne serait pas la première fois.

— opal.

à croire que mon malheur t’attire.

— quel bon vent t'amène ? je suis désolé, la vue n’est pas des plus égayantes.

même pour elle, il ne parvient pas à feindre.

ariel
inspiration tremblante, à ce coup de poignard involontaire.
il s’était vite habitué, à ne plus l’entendre, ce nom.
à refuser de l’entendre, surtout, vu tout le mal qui y est rattaché.
mais il ne dit rien, conserve son rictus, alors qu’elle s’installe à ses côtés — iris roses, plus clairs que dans ses souvenirs, fixés dans les siens, toujours aussi rouge.
détourne le regard, yeon, oriente celui-ci vers l’horizon.
on dit que le temps apaise tous les maux, et il aurait pu y croire, s’il ne se sentait pas aussi vulnérable.

— je vois.

placidité presque plate.

— j’espère qu’absinthe se porte bien.

parce que s’inquiéter pour elle, c’est s’aventurer en terrain miné.
opal n’a pas besoin de marcher, pas quand la possibilité d’atteindre les coins les plus reclus de wonderland est à portée de main.
sauf qu’elle avait choisi les plages du lagon, pour le faire.
et il ne se souvient que trop bien de ce jour désastreux, la dernière fois où ils s’y étaient retrouvés.
doigts qui s’enfoncent dans le sable, dents serrées.
son sourire, aussi factice soit-il, avait disparu.
expression tendue qui se pince plus encore à ses mots.
et toi ?
qu’est-ce qui l’amenait ici ?

— mes mauvaises décisions.

comme d’habitude.

— ne cherche pas à minimiser, voix qui se fait acide, j’ai parfaitement conscience de mon état.

pitoyable, encore une fois.

rire cynique qui lui échappe, éclat bref.
opal, par le fruit d’un funeste hasard, avait effectivement eu la chance de l’entrevoir dans ses pires moments.
aujourd’hui ne faisait pas exception.
réitère que son malheur semble définitivement être une source de divertissement, pour que ce monde maudit se complaise à continuellement mettre le lapin blanc sur sa route.
comme pour lui rappeler ses multiples échecs.
il n’a pas besoin d’elle, pour y être confronté.
le fait déjà bien lui-même.

je pensais que ça allait
lui aussi.
pas suffisamment pour dire que ça allait bien, mais suffisamment pour dire que ça allait mieux
lui permettant de caresser l’espoir de voir les choses s’arranger, recoller les pièces d’une porcelaine éclatée pour une énième fois.
frôler la mort
e n c o r e
la jungle pourrissante et ses murmures
tout cela avait réduit à néant les efforts des derniers mois.

— tout est dans le temps. allait est le bon mot.

fixe son visage.
son sourire tendre.
pincement au coeur qui lui fait serrer les poings.
braises de colère qui se ravivent bien malgré lui, face à cette blessure qui ne s’est pas tout à fait refermée.
pas encore.

— ne me souris pas comme cela. s’il te plaît.

on sait tous les deux que je ne le mérite pas.
ce n’est pas à lui que devrait s’adresser ces douces risettes.
inspire, yeon.

— il faut croire que le bonheur n’est pas quelque chose qui m’est destiné. chaque fois que tout semble parfait, on me l’arrache. et inévitablement, je reviens ici, à contempler mes erreurs.

je suis désolée.
lui aussi.
s’il n’avait pas été aussi faible, rien de tout cela n’aurait eu lieu.
ils n’auraient pas ce fossé entre eux, remplis de non-dits et de regrets.
peut-être auraient-ils simplement pu être amis, sans ce sempiternel c’est compliqué qui entache le tableau.
mais il n’a rien à ajouter yeon.
écoute silencieusement le bruit des vagues qui s’échouent sur la plage, en attendant simplement qu’opal prenne de nouveau la parole.
c’est que les silences ne s’étirent jamais bien longtemps, finissent toujours par être brisés.
par lui ou par elle.
cette fois-ci, peut-être aurait-il dû espérer qu’il dure éternellement.

non qui devient oui
c’était réciproque.
il ne dit rien, yeon, reste muet dans sa stupéfaction.
sensation désagréable d’engourdissement qui le prend, alors qu’il tremble.
partagé entre un énième rire et l’envie de pleurer.
un peu des deux, au final — ricanement humide, alors que sa vision se brouille.
ne devrait-il pas être heureux, quelque part, de voir ses sentiments partagés ?
en retard.
quand c’est trop tard.
pourquoi est-ce que c’est aussi douloureux ?
je t’ai aimé, a r i e l, sincèrement
tressautements de ses épaules qui redoublent de plus belle, incapable de retenir ce trop-plein d’émotions face à la situation.

— t-tu- tu n’as pas le droit de dire ça. pas ici, pas maintenant.

pas quand il avait plus ou moins réussi à faire la paix ce qui s’était passé.
s’il n’était plus une distraction pour passer le temps, un jouet duquel on s’était lassé
il n’avait tout de même pas été suffisant

— tu n’as p-pas le droit de re- revenir comme ça. de d-dire un truc pareil. ce n’est-

secoue la tête, yeon, sourire contrit malgré les sillons humides qui marquent ses joues.

— ce n’est pas juste.

mais rien ne l’est.

réminiscences d’une conversation qu’il s’était pourtant efforcé de mettre derrière lui.
à genoux face à elle, implorant d’achever les sentiments qu’il éprouvait à son égard, parce qu’il ne réussirait pas à le faire de lui-même.
et la voilà qui venait rouvrir la plaie.
pas tout à fait guérie.
pas tout à fait cicatrisée.
mais plus sanguinolente, douleur diffuse, dissipée.

— il- il est là, le soucis, opal.

inspiration rageuse.
expiration qui l’est tout autant.
tremblement qui subsiste, malgré tous ses efforts pour le calmer.
ses larmes se font silencieuses, alors qu’il l’observe — ébauche de sourire disparue.

— je n’y pensais plus. plus autant. j’avais réussi à oublier, à t'oublier. et te détester. c’était facile.

s’abandonner à ses démons aussi.
trouver réconfort là où il ne fallait pas.
c’est pourtant comme cela que ça avait commencé, entre eux.
quelle ironie.

— c’était facile de me convaincre que je n’étais qu’une distraction, glisse une main dans ses cheveux, agrippe ceux-ci à s’en faire mal, distraction de son coeur qui hurle, rien qu’un imbécile-

oh, il l’est toujours.

— et maintenant-

laisse retomber son bras, yeon.

— qu’est-ce que ça t'apporte, de me dire cela maintenant ? est-ce que ça allège ta conscience ? est-ce que tu te sens mieux ?

c’est lancé froidement.
change de son habituelle furie, si faussement calme.
parce que lui, ne se sent pas mieux.
les murmures se sont estompés, enfin silencieux.
rien qu’un vide écrasant.

— tu dis que je mérite tout le bonheur du monde, mais de nous deux, qui a la chance de le vivre ? qui a la chance d’avoir droit à un je t’aime ? qui a la chance d’avoir quelqu’un qui l'attend, à la fin de la journée ?

rouge qui reste étrangement absent.
tendance à se manifester dans des éclats sanguins.
il faut croire que même le néant le fait fuir.

— qui. toi. file. toi. le. toi. parfait. toi. bonheur ?

ma joie sera plus grande que mes peines.
perle de sagesse d’ellen qui le fait sourire.
trop large et suintant de tout le mépris qu’il éprouve, là tout de suite.
adieu le vide, colère qui revient au galop.
effectivement, opal n’avait pas su écouter ce que la duchesse lui avait conseillé.
et ils en récoltent les frais.
il en récolte les frais.
yeon se relève, traces écarlate sporadiques derrière lui, alors qu’il s’avance de quelques pas vers l’eau.
tout pour mettre de la distance entre eux.
c’est drôle, ce que le temps peut faire.
fut une époque où il cherchait désespérément son contact
aujourd’hui, il le fuit comme la peste.

le lapin blanc confirme enfin ses dires.
oui, c’est elle qui file le parfait bonheur.
celui qu’elle s’entête à dire qu’il devrait lui revenir, parce qu’il le méritait plus qu’elle.
il est mauvais, l’éclat de rire qui lui échappe, plein de rancoeur.
il avait vécu dans l’illusion, de son vivant.
il avait été bercé par des souvenirs incomplets dans sa non-mort.
et le voilà où ça le mène, face à celle qu’il avait détestée autant qu’il l’avait aimée, lui rappelle tout ce qu’il n’a fait qu’effleurer du bout des doigts, avant qu’on le lui retire.
encore et encore et encore.

note la pause, yeon, mais il n’a rien à dire.
rien pour combler le maigre silence.
méritait-elle seulement un simple d’accord ?
muse silencieusement, droit, à observer l’étendue du lagon.
posture qui change drastiquement quand la voix d’opal s’élève de nouveau.
se fait rigide, tension à son paroxysme alors qu’à ses pieds, le sable se targue de carmin.
elle n’a pas le droit de lui dire que c’était réciproque.
elle n’a pas le droit d’être au courant de ce qui se passe dans sa vie.
elle n’a pas le droit-

— tais-toi.

ton sec, contraste avec le calme dont elle avait fait preuve pour son joli discours.

— ne dit plus jamais son nom.

en cinq ans, sa voix n’a jamais vibré avec autant de hargne.
en mille huit cent vingt-cinq jours, il n’a jamais été aussi en colère.
en cent cinquante-sept millions six cent quatre-vingt mille secondes, il ne l’a jamais autant abhorrée.

— dans quel monde vis-tu pour avoir l’audace de me donner la leçon ? pour oser me dire quoi faire ?

regard qui se pose enfin sur elle.

— tu refuses d’accepter que personne ne puisse me rendre heureux ?

il avait passé le tiers de son existence ici à l’aimer, à en crever.
il aurait préféré mourir que de vivre cette douleur, trop lâche pour toutefois s’exécuter.
s’en remettre, aller mieux et même espérer que les choses allaient s’arranger, tout cela pour qu’on le lui retire de nouveau ?
c’était trop.
qu’elle vienne ici, pour remuer le couteau dans la plaie, avec ses belles paroles
c’était trop

— j’y ai eu droit, à un je t’aime. un, et il ne venait pas de toi, et on me l’a arraché.

sur cette même maudite plage.
inspire, yeon, poings toujours serrés.

— alors par pitié, tais-toi.

il aurait dû y prêter attention, aux signes avant-coureurs
mais peut-on réellement lui en vouloir ?
la dernière fois, opal disparaissait dans les flammes du jabberwocky — lumière dorée presque invisible sous l’intensité de celles-ci.
aujourd’hui, il est trop en colère pour accorder trop d’importance aux détails.
elle vibre sous sa peau, intensifiée par le carmin qui pulse à ses pieds, dévore le sable.
et avec opal qui ne réagit pas
encore une fois
on voit rouge
encore une fois
ouvre la bouche, prêt à lui hurler de dire quelque chose, n’importe quoi, mais il se fait interrompre
encore une fois

ce n’est pas la main du crocodile qui obscurcit sa vision
à défaut du noir, c’est un blanc éclatant qui lui fait instinctivement fermer les yeux, protéger ceux-ci.
ça ne dure qu’un instant — il devine que ça s’estompe, faiblit, derrière ses paupières closes.
lorsqu’il les ouvre de nouveau, c’est pour observer un spectacle qui le laisse interdit.
là où se trouvait le lapin blanc
se trouve un lapin blanc
il a envie de rire, yeon
le fait.
frise l’hystérie.
parce que même dans sa frustration, on se fiche de lui.
se laisse tomber à genoux dans le sable, une main chassant les derniers vestiges de ses larmes, l’autre choit sur ses cuisses.

le lapin, opal, hurle.
visiblement énervé contre l’univers entier.
on est deux qu’il a envie de dire, entre deux éclats de rire qu’il s’efforce d’étouffer.
c’est ridicule, tout cela est r i d i c u l e
expire, incline la tête de côté.

— opal.

note distraitement le blanc qui ronge le rouge.
comme d’habitude.
soupire, yeon, incroyablement las.
il étire un bras, l’attrape aussi délicatement que possible — contraste avec la violence réprimée qui l’habitait précédemment, pour le tirer hors de sa robe.

— ne t’avise pas de me mordre, ça risquerait de mal finir pour nous deux.

surtout pour lui, mais il n’en a cure.
ça lui prend quelques secondes, mais il le dépose rapidement face à lui.
l’observe, aussi.

— t’es sacrément petit, en fait.

sans moquerie, rien qu’un constat.

— j’ose présumer, vu ta joie palpable, que ce n’était pas prévu, de revenir sous cette forme ?

c’est qu’on ne s’est jamais réellement penché sur cette facette des réincarnations.
concept alien que sont les changements de cycle, quand on a qu’une vie à vivre.

cligne des yeux, yeon.
visage familier qui remplace le lapin qui se trouvait en face de lui.
respiration qui se bloque dans sa gorge, à peine la première syllabe de son prénom soufflée.
accuse la claque en silence, alors que sa tête suit le mouvement, statique plein les oreilles.
stupéfaction qui le laisse tétanisé, incapable de faire le moindre geste.
avait-elle, avait-il, seulement levé la main sur lui, autrefois ?
pose finalement les doigts sur sa joue.
douleur plus lancinante qu’escomptée.
devine déjà son épiderme qui se colore d’écarlate.

il ignore opal.
ignore sa présence à ses côtés
ce qu’il a à dire.
ses yeux restent perdus sur l’horizon.
pourquoi étaient-ils ici, à se déchirer ?
une partie de lui s’agite, l’exhorte de continuer. il a encore plein de choses à cracher, toutes plus horribles les unes que les autres
on en demande plus, toujours plus
mais il est fatigué, n’a plus envie de se battre, yeon.
et il était prêt à abandonner la partie, si on ne l’avait pas si brutalement ramené à la réalité.

— dans un monde-

parole coupée en un souffle.
la prise sur son menton qui le force à le regarder.
presque submergé par l’envie de se dégager, il se résout malgré tout à rester immobile.
serrer les dents à s’en faire mal, pour ne pas céder à ces petites voix, commettre l'irréparable et aliéner le peu de bons sentiments qui subsistent encore entre eux.
y en avait-il seulement encore ?
opal parle d’affection à son égard.
et lui… lui ne sait même plus ce que le lapin blanc lui évoque.
sentiments compliqués qu’il n’est pas en état de démêler.
il l’observe se redresser, s’éloigner, sans chercher à le retenir.
il n’en a pas envie, préférerait même qu’il parte.
retrouve dundee, retourne à son bonheur.
qu’on le laisse être misérable et seul-

— arrête de m’appeler comme ça.

murmure presque silencieux.

— ARRÊTE DE M’APPELER COMME ÇA

ce n’est pas la seule chose qu’il a envie de hurler
il aimerait lui dire, lui répéter, de ne pas lui faire la leçon.
qu’il sait pertinemment qu’il aurait dû lui dire je t’aime
les choses auraient été différentes, peut-être plus simples.
mais son coeur ne bat plus ainsi pour lui, ne s’abîme plus ainsi pour lui.
plus pour ses yeux roses, mais pour des iris dorés. alice devenu entité au pire moment possible et qu’il avait lâchement abandonné.

— non, ce n’est pas moi qui-

poings qui se serrent, ongles qui s’enfoncent dans ses paumes.
fixe le sol, yeon, incapable de soutenir son regard plus longtemps.
sourire amer aux lèvres.

— je n’ai pas eu le temps de le lui dire, qu’il a tout oublié.

moi compris.

— ce monde est une vaste blague et je suis fatigué d’en faire les frais.