ARRETEZ-VOUS

Ton regard n'a pas besoin de se tourner vers la source de l'interpellation pour que tu saches ce qu'il t'attends. Le bruit des bottes de la police de Neverland foulant le goudron t'es, avec les années, devenu assez familier pour que tu ne réfléchissent pas une seconde. La langue racle tes incisives avec un juron contrarié juste avant que tu ne commence à courir. Mauvais coin pour s'échapper, tu le sais. Les alentours de Central Park sont largement ouverts, pas de ruelles pour disparaître du champ de vue des forces de l'ordre, pas d'endroit louche où trouver refuge.

Tu te fraie pourtant un chemin au milieu des badauds à grand coups d'épaules et de hanches sur les grandes avenues, ton regard à la recherche d'une échappatoire. D'une grille à escalader. D'un escalier dérobé. On pourrait penser que tu as passé bien assez de temps dans cette zone quand tu n'étais encore qu'un Alice, mais tes années dans la pénombre d'Halloween City on flouté une bonne partie des détails de ces souvenirs.

La rue commerçante, penses-tu, t'offrira plus d'occasions. Tu prend la première à droite, virage au plus serré pour ne pas les laisser réfléchir trop longtemps à la topographie des lieux. Ca ne les empêche pas de réduire la distance qui vous séparent. Alors tu risques le tout pour le tout. Sautant la rambarde des escaliers qui descendent vers le quartier résidentiel, tu gagnes quelques précieuses secondes, mais perd le couteau qui logeait dans la poche de ta veste. Tu entends à peine le bruit strident de la lame rebondir au sol dans la panique. Mais à peine as-tu fini de dévaler la pente qu'une seconde unité te tombe dessus, sortant d'une rue perpendiculaire à la tienne.

Tu t'es fait encerclé comme un bleu. Et t'as le sang qui te monte aux joues. Pas de honte, mais de rage. De rage, de voir les petits sourires satisfaits de ces incapables qui se resserrent autours de toi. Avant qu'on te menotte, t'auras au moins pu en arracher un. Coup de poing bien placé au milieu du nez. Mais il n'y a pas grand-chose que t'aurais pu faire de plus face à la supériorité numérique.

T'aimes pas l'idée que ça soit à l'usine qu'on t'amène, mais d'un autre côté, tu préfères toujours ça à des locaux dépendant de la Mairie. T'as pas envie de voir sa gueule. Ca fait plus de cinq ans, mais ta rancœur envers Theodosius est aussi intacte que si l'incident avait eu hier. Et enfermé dans cet entrepôt désaffecté, t'as l'impression que ce sont les seules pensées qui acceptent de te tenir compagnie.

Tu fais pas l'effort de crier, ou de taper contre la porte de ta cellule tant que le silence reigne dans cette prison improvisée. Mais à la moindre semelle venant grincer contre le béton glacial, tu ne te prives pas de laisser ta rage de déverser sur quiconque aurait eu la mauvaise idée de passer par là.

Ouvre cette porte, enfoiré! Tu m'entends?! Je vais pas-

Tu ne t'attendais certainement pas à ce que la porte s'ouvre, effectivement, à ton appel, et la surprise t'hôte les mots de la bouche. Tu ne t'attendais pas non plus à voir la silhouette d'Alastor se dessiner dans son encadrement.

Hmf, je ne me savais pas être devenu essentiel  au point où Alastor Hauting en personne vienne faire le déplacement. Il faudra que je pense à ajouter ça a mon CV.

Bouche insolente qu'est la tiennes, Osvald, tu ferais mieux de la boucler. Et malgré ta faussa assurance, cette conscience transpire quand même dans ta posture pas aussi confiante qu'à l'accoutumée, et dans ton intonation pas aussi sarcastique qu'on n'en aurait l'habitude. Malgré tout, tu préfères redescendre d'un ton.

J'imagine que je t'en dois une, maintenant?

Il rétorque avec la froideur qu'on lui connaît. Alastor sait remettre les sale gamin comme toi à leur place, après tout. Alors quand il te dit de la fermer, et de t'asseoir, tu n'as d'autres choix que de t'exécuter, les mains en l'air et une expression presque penaude sur le visage. T'es pas certain de son plan, et dans une certaine mesure, tu t'en fou. T'es pas censé lui répondre, après tout, mais aussi loin que ça te concerne, t'aurais préféré prendre la poudre d'escampette aussi vite que possible. Certains dirons que c'était exactement ça qui t'avait mené à cette situation, mais Osvald, si tu apprenais de tes erreurs, tu ne serais plus à Wonderland depuis une décennie. Et certainement pas en train de te faire attacher à une chaine dans une entrepôt désaffecté par le croque-mittaine.

Kinky...

T'aurais probablement ajouté que tu préférais être celui qui attachait les menottes, mais que ça pouvait s'arranger si ça réglait ta dette envers lui. Heureusement, on t'avait ordonné le silence, et le chuchotement amusé qui t'avait échappé était déjà plus que ce que tu pouvais te permettre. Puis, honnêtement, même sans le voir, tu pouvais imaginer le genre de regard que devait te réserver le gourou, et tu ne comptais pas tester sa patience plus longtemps. Si tu te gardais bien de le montrer, tu restais reconnaissant de sa venue.

Un nouveau grincement dans le couloir fige définitivement ta langue de vipère. Et tu devine au rythme de la marche que tu ne vas pas aimer ce qu'il t'attends. La silhouette qui se dessine dans la lumière t'es bien trop familière et le rire qui l'accompagne fini de confirmer tes doutes. Ton nom entre ses lèvres te donnerait presque la nausée, et sa salutation bien trop théâtrale t'agace encore un peu plus. Pas une mauvaise chose que tu sois tenu de resté le cul sur cette chaise, parce que tu lui aurais bien mit le poing au visage, sans te rendre compte de la position de sa main.

Tu me voles la réplique, Theodosius. Je n'étais pas au courant que le bon maire de Neverland rendait visite à ses prisonniers.

Tu réponds avec autant de sarcasme que l'autre. Cherchant à gagner un peu de temps, tu évites sa première question. Alastor t'avait laissé dans l'ombre, mais tu imaginais que son plan n'incluait pas d'être identifié au premier coup d'œil.

Mais dis-moi plutôt, tu ne penses pas en faire un peu trop dans la paranoïa? Je veux bien reconnaître que je préfères avoir des témoins pour nos éventuels tête à têtes depuis la dernière fois, mais je préférerais encore utiliser un tel allié pour plier bagage. C'est pas que je m'ennuie ici, mais le confort de cette chaise est assez discutable.

Tu t'agites dans ton siège, faisant frotter les pieds de bois contre le béton du sol de la cellule. Que ça permette à ton partenaire de bouger sans se faire repérer ou attire le maire vers toi, ça semblait être un bon plan.

Tu te rends compte, on m'a attaché parce que j'étais "trop bruyant". Honteux. Tu voudrais pas faire un bon usage de ce qu'il y a à ta ceinture pour me détacher par hasard?

Je suis flatté.

Les pas d'Alastor t'apparaissent à peine audible, mais tu sens sa présence se mêler aux ténèbres qui vous entoure dès que Theodosius s'approche. Ses mots se veulent menaçant, cependant tu n'arrives pas à déterminer si tu dois les prendre au sérieux. Son expression est grave, mais tu es trop confiant pour te sentir en danger.

Mais je ne serais pas là, si c'était ton intention, n'est-ce pas?

La diversion, s'arrête là. Tu as laissé assez de temps à ton partenaire pour se faufiler derrière le maire. La porte claque sous les doigts du brun, ne laissant que l'obscurité  planner dans l'entrepôt. Il te faut quelques secondes pour t'habituer à l'absence totale de lumière, mais tu situe le coeur de l'action en suivant la voix du gourou, et le reflet de sa lame sous le cou du dernier arrivé. Une image que tu jubilerais de voir en détails, tu dois l'admettre, et tu es un peu vexé de devoir te contenter d'une vague ombre dans la nuit. Te régaler de la surprise dans son regard. De la peur qui dilate ses pupilles. Faute de mieux, tu te rétracte sur la seconde meilleure option : te sortir de ton pétrain.

Tes pieds bien ancrés au sol, tu fais glisser ta chaise vers le mur avec un mélange de petit saut de côté et en traînant tes semelles. C'est en te penchant en avant, tu parvient à te maintenir sur tes jambes pour enfoncer le siège auquel tu es attaché sur la cloison de ta cellule improvisée. On parle pas d'une grande discrétion, au point où tu te prend à penser que tu dois gâcher l'intensité du moment avec tes nuisances sonores. Un pied casse rapidement, et c'est en l'attrapant avec bien des difficultés, tes mains toujours liées, que tu réponds à la remarque du blond, qui a su se défaire de l'emprise d'Alastor plus vite que tu ne l'a pu de ses cordes.

Ca tombe bien, je n'ai pas besoin de courage pour mes activités.

Le morceau de bois entaillé glisse entre tes doigts habiles pour se frayer un chemin entre la ficelle, laissant une éraflure sur ta peau avant de fendre tes attaches. C'est ainsi que les yeux de Theodosius sont braqués sur toi quand tu te libères pour t'emparré du pied de biche qu'avait utilisé le chef des Dark Shadows pour s'inflitrer jusqu'ici.

Hey, je t'arrêtes de suite, c'est toi qui t'es foutu dans cette situation, très cher. Enfin, on pourrait dire que c'est aussi un peu de ma faute mais...

La phrase reste en suspend. Tu y penses seulement, mais ça pourrait être à ton tours de faire marcher ta langue. Celle qui emprisonne dans le doute, un instant. Celle qui embrume dans la confusion. Ca ne fonctionne pas encore à tous les coups, et tu n'es pas certain que ta cible soit assez emprunte à la peur pour que ses propres certitudes n'empêche ton baratin de faire effet, mais ça vaut toujours le coup d'essayer. Si t'arrivais à lui faire croire que vous aviez le dessus numériquement, sortir d'ici serait bien moins compliqué que tu l'aurai présagé.

Dis-moi plutôt, tu penses vraiment tes dix gars vont faire le travail face à notre brigade? Tu penses vraiment qu'Alastor serait venu seul?

La crainte dans ses yeux. La rétractation de ses pupilles. La tension qui paraît dans ses muscles. Tu te régales, Osvald. Tu te délectes de le voir glisser dans l'effroi, tandis que tu peine à en cacher ton exaltation. Les lèvres qui s'écartent en ce large rictus bouillonnant, les crocs émergeant sur tes babines, et tes prunelles éclairée d'une lueur d'impatience. Et qu'importe les mots qui sortent de sa bouche, se son de sa voix teintée d'hésitation sonne comme une musique à tes oreilles. C'est une scène que tu ne veux jamais oublier.

Et tu commences à te dire, que lui faire du mal pour le plaisir, comme il le propose, serait une si belle manière de rendre ce souvenir plus mémorable encore. Tu fantasmes déjà de le voir supplier, de sentir son cou sous la pression de tes doigts, l'odeur de son sang, coulant sous son nez pour aller avec le léger écoulement provoqué par la lame d'Alastor. Et t'y prendrais ton pied, assurément. Tu sens déjà l'adrénaline qui monte. Le besoin de violence qui ne cherche qu'à s'extérioriser. Tu sens le sang battre plus fort encore dans tes veines remplies par la rage, et tes phalanges se resserrer sur la barre de fer à laquelle tu es agrippé.

J'en ai besoin.

Besoin de voir ses traits trop parfaitement poli pour ses sujets, déformés par tes poings. Besoin de reprendre le contrôle sur une personne qui en avait trop eu sur toi. Et tu te fou de ce que tu pourrais perdre. Tu te fou même de savoir si ses menaces en l'air valent quoi que ça soit.

Un pas, deux, puis trois. Tu ne laisses pas le maire prendre ses distances, suivant le regard de ton partenaire. Un quatrième, pour être menaçant. Parce que c'est tout ce que tu peux te permettre, sans les ordres du chef absolu. Ah, s'il pouvait te faire ce signe de main. S'il pouvait te laisser la proie à ta merci.

Je ne pourrais pas te faire la même promesse, Theodosius. Je suis persuadé que la douleur te sied au teint.

Il te faudrait presque ravaler un peu de salive, tant l'excitation te démange. Mais aujourd'hui, tu n'es que le chien-chien d'un autre. Tu n'es pas en position de décider de la suite de cette entrevue surprise. Alors tu joues la seule carte que tu es en mesure d'abattre, pour rassasier tes pulsions. Un large swing en sa direction. Tu laisse l'air que ton arme rencontre frapper la peau du trentenaire, comme une simple menace. Et laisse entendre au décisionnaire ta position. Tes orbes océan sont plantées dans celle de ton supérieur, qui ne pourrait manquer ton désir brûlant dans ton expression quasi transparente.

Si ça ne tenait qu'à moi, tu sais, on s'amuserait un peu. Qui sait, ça ferait peut-être avancer un peu la conversation. Mais je me plierai à ta décision, Alastor.

Pour l'instant, du moins.

Rauque et profonde, la voix d'Alastor résonne dans  l'entrepôt, brisant le long silence que la tension qui avait pris possession de la pièce avait laissé derrière elle. Et à la simple prononciation de ton nom, à l'intonation dans sa façon de t'appeler, tu sais déjà ce qu'il te reste à faire. Tu as déjà resserré ta grippe sur le pied de biche, quand il parle de lui donner une leçon.

Pupilles dilatées, à la simple idée de l'entendre crier, tremblant d'une excitation peu habituelle pour une rage habituellement si spontanée. Le grand chef se retourne. Il rate le spectacle, penses-tu alors que tu fais un premier pas en avant, sourire carnassier sur les lèvres.

Et le maire, déjà, perd ses moyens. Tu ne reconnais pas ces notes de peur chez lui. Une nouvelle mélodie qui t'enchante, dans sa façon de te tenir à distance. Lame qui se rapproche, tu ne peux t'empêcher de te demander s'il serait au moins s'en servir. Du temps que tu as passé en sa compagnie, dans sa tour d'ivoire à Neverland, tu ne l'as probablement jamais vu avoir besoin de recourir à la ces méthodes.

C'est donc sans la moindre crainte que tu fais claquer tes semelles sur le béton de la cellule, ignorant les injonctions du blond de garder tes distances. Les doigts glissant le long du morceau de métal avec un dédain à peine dissimulé, tu ne détaches pas ton regard des iris grisonnants de ta victime toute désignée.

Il va falloir supplier plus fort que ça.

Langue qui s'égare sous une canine belliqueuse, tu considère l'idée de le laisser mener la danse, de profiter de son impulsion pour le déséquilibrer. Mais il n'y a pas de temps à perdre, et encore moins l'occasion d'assouvir tes pulsions vengeresses dans le temps qu'il vous est imparti.  Ton bras armé part en arrière, longue prise d'élan qui se voudrait pointé à son visage, mais s'arrête sur le poignet menaçant du maire.

Plus de résistance que ce que tu t'y attends dans sa poigne, ton arme rencontre la sienne, et malgré la force que tu appliques dans ton avant-bras pour  récuser sa défense, ce sont vos deux instruments de combat qui tombent au sol dans un bruit métallique strident. Plus bas, c'est ton pied qui prend la suite de la charge, venant se glisser derrière le talon de ton opposant avant asséner un coup à son épaule opposée.

Tu l'accompagnes dans la chute, Oz, parce que tu refuses de manquer le moindre détail de son expression quand tes poings viendraient teinté sa peau de nuances de bleu et de gris. Parce que tu te refuses de manquer le moindre détail de ses supplices. Et les genoux autour de ses hanches, les doigts qui glissent jusqu'à son cou déjà amoché par le gourou, tu jubiles de la tournure des évènements.

Dis-moi, Theodosius, qui est-ce qui qui a le plus à perdre, maintenant, hm? Et pourtant, tu le vois, hein? Que rien ne pourrait me faire plus plaisir que de voir ton petit minois paré de terreur.

Pouce sur sa pomme d'Adam, la pression que tu y exerces qui augmente, lentement, jusqu'à ce que tu remontes ta main jusqu'à son menton, relevant son visage pour jauger de son expression un instant. L'attrapant par les cheveux pour le figer un peu plus longtemps immobile. Profiter de ce moment.

Mais appelle donc à l'aide si c'est ce qui te chante. Je t'attends que ça. Ou laisses-nous sortir d'ici sans faire d'histoire après un petit interrogatoire par le gentil monsieur. A toi de voir quelle proposition t'es la plus favorable. En ce qui me concerne, j'aime beaucoup la première.