rosée du matin
sanglots saccadés.

rosie fière enfant du désespoir dissimulé
frottait de ses phalanges médiales les traces accusatrices d’une nuit tristement mouvementée,
la solitude pour garant.

et dans sa boutique, elle entretenait ses pensées (fleurs)
prisonnières de ses mains,
tenues par ses doigts acérés.

on devine, par ailleurs, à ses yeux rouges
qu’elle aurait voulu serrer son cou.

il fallut attendre midi
avant que ne se brise soudainement cette phase léthargique
d’un supposé vase cassé elle entrevoie par-dessus ses peines, l’eau ruisselante.
rosie s’était surprise à congédier ses tourments pour rejoindre l’entrée de sa boutique,
où gisaient quelques tournesols renversés et les morceaux abrupts qui l’avaient sortie de son chagrin

le pot peint de ses mains ne tiendrait plus une seule tige, renversé comme il l’était.
ses yeux gonflés s’adressaient sans agacement au visage du maladroit,
et elle hésita sans parler.

en elle se ruaient des sentiments qu’elle se tuait à faire taire.
mécontentement démesuré, lamentations criardes, l’exagéré pardon ironique…
ses lèves s’entrouvrent à mesure que ses pupilles s’affaissent
il était trop tôt, ce matin-là, pour se battre avec elle-même.

« aah… »

résignée elle plia ses genoux et saisit les quelques gros morceaux de sa création.

« ce n’est pas grave. »

d’une voix éreintée par ce mensonge à moitié dissimulé,
un vase parmi tant d’autre.
mais elle pensa à comment se briser elle.
et si quelqu’un pouvait la bousculer.

grinçante sonnait la voix du garçon téméraire qui s’osait à l’humour en ces lieux tapissés d’ironie. fière maitresse de l’auto-dérision, un sourire se loge sur ses lèvres alors que ses mains vagabondaient à ramasser les éclats de sa vie. fleurs en poudre de fée ? elle songe à ses lys en sucre. non, ce n’est pas ici que le jeune homme apprendrait à voler. un rire à peine retenu l’accompagne dès lors qu’elle se relève, avant de cesser soudainement.
c’était un homme en rouge. face à une dame en blanc.

sur l’échiquier comme dans sa vie, rosie savait très bien qu’ils ne pouvaient se tenir sur une même case sans se déclarer bataille. ses pupilles arrogantes par audace soutenaient son regard curieux – ses mains quant à elles s’imprégnaient des éclats verdâtres à nouveau peint par son sang.

« non. » réponse instinctive, banni d’hésitation. elle cacha ses poignets derrière son dos, tendue comme une timide exploratrice sur les terres hostiles qui faisaient chavirer son cœur. c’était trop rare pour l’habituer, les rencontres inopinées de ses « ennemis » sur son terrain. lily-rose comme une enfant prise au dépourvu baissait soudainement ses yeux en pinçant ses lèvres abimées : ses mots affolés parvenaient à peine à traduire l’excitation qui la prenait, mais elle savait sans le moindre doute qu’à trop réfléchir elle finira tuée par son mutisme.

« j’ai une variété de fleurs en sucre roux. »

se bousculent les questions quant à la présence d’un homme de rang dans sa boutique, rosie se demande si c’est coutume, ici aussi, d’offrir à ses amours quelques roses rouges ? guidant l’intru vers le présentoir à succès, elle inspire le courage, se débarrasse du moindre effroi.

« ça ira pour mes mains. combien en prendrez-vous ? une douzaine ? c’est toujours plus impressionnant une douzaine. je vais chercher un balai, faîtes un tour si vous voulez. »

et va-t-il s’en aller après ? pourquoi resterait-il plus longtemps. que fait-il ici ? et pour combien de temps. les obsessions soudaines s’estompent toutes seules mais rosie s’en fiche, elle fera de cette rencontre un oubli s’il ne la sort pas – même une seconde – de sa bile incrustée. c’était aujourd’hui son premier pas vers brave hearts.

c’est amusant comme le monde aime rire de tout, et de tous.
le garçon ne semblait pas vouloir déposer la moindre monnaie sur son comptoir et pourtant il errait entre les tiges comme une fleur sauvage, l’allure trop fière pour quelqu’un qui n’est « personne ». rosie à l’arrière-boutique, sans curiosité le regarde telle une flamme qui vacille entre ses bouquets fragiles,
l’envie soudaine et retenue d’y poser son doigt.
effleurer le danger,
puis l’oublier.

gourmande elle ravale pourtant ses démons, bande grossièrement sa main écorchée.

« si vous trouvez ça mignon alors vous avez participé au kit. »

nuages de cotons, couronne sans épines, et mêmes les compliments sont sucrés. rien de tranchant non, que des douceurs pour les cœurs. il ne faudrait pas donner l’occasion d’être abrasive, destructrice. lily-rose d’un prénom pareil on attend pas de la violence.

mais lui, ici.
il est jeune, pour un homme qui doit être dur. ah, après tout c’est la vie qui rend les gens durs. et ici on ne sait jamais vraiment combien de temps on a vécu.

rosie revient, traine son manche et la brosse frotte contre le sol. elle s’apprête à s’exécuter alors qu’il lui somme le balai. aphone. sans savoir pourquoi, elle cède.

rosie aimait-elle les ordres ?
ou qu’on la dérange dans ses habitudes.

elle qui prône son indifférence, ah !
un peu d’attention et elle creuse à outrance.

« rentrer dans une boutique sans avoir l’intention d’acheter, et se retrouver armé oui, mais d’un balai pour y faire le ménage… est-ce que c’est à moi de payer finalement ? »

enfantillages maladroits, comme déguisés en provocation. elle cueille douze tiges, les forces contre sa paume. la prudence malgré rosie ne se répand pas aussi aisément que les mots du soldat.

elle décide qu’elle n’oubliera pas.

mais sont-ils réellement vivants ? en piochant un ruban beige rosie se demande ce qu’il lui coûte de respirer cette vaste blague qu’est la seconde chance. tout est si bancale.
ses souvenirs la supplient. ses sanglots la tourmentent.

c’est pas rare ici, les personnages intrusifs. ce qui la surprend, c’est d’avoir peur d'les apprécier.

invitée sous son propre toit où les pensées sont blanches
et ou les droits sont blêmes
il lui dit sans parure de tirer l’épée et

quelle bravoure. elle sourit, peinée.
non. toucher les gens rouges
souiller ses maux opalins pour retrouver le goût…
rose ne pouvait s’y résoudre.

ici tout n’est que retenu.

« merci. »

elle dépose sur le rebord du comptoir son bouquet,
treize fleures sucrées
dont une, graciée de son prix,
pour s’offrir le plaisir
ce soir, entre ses remords et la lune,
d’avoir fleurté avec l’interdit.

et tandis qu’il s’invite un peu plus encore dans ses plaisirs secrets
lily-rose aussi apeurée qu’attisée par l’absurdité de sa venue
penchée sur sa table, admire le travail de son apprenti.

visage heureux sous les fleurs qui pleurent d’être coupées
comme c’est admirable. les esprits joyeux.

« rose. »

c’est frivole les garçons sans idées.
ça donne envie d’en faire autant.

« et vous ? »

mais elle a peur.
pour ses tourments qui l’appellent,
pour ses terres qui la supportent difficilement,

car si aujourd’hui il lui demandait de rentrer avec lui
elle sait
c’est insensé,
mais elle sait qu’elle le suivrait.

se détester à la mort et pleurer tous ses regrets
simple coutume aux soirées douloureuses de cette enfant perdue.
alors pourquoi ne pas péché le jour ? quitte à tout avouer la nuit.

parce que lily-rose se déteste déjà bien assez. et lorsqu’il demande si s’immiscer plus que de nécessaire dans sa vie lui était gracieusement possible,
rose se braque

d’amis chez les idées rouges il ne lui en faut pas
sinon elle chute et se relèvera
les envies claires à nouveau

vers l’acceptation de ses désirs détruis
vers la torture honnête,
vers la violence sincère

« quel garçon envahissant vous semblez être. »

sans reproche, que de la jalousie.
son regard rivé sur le tas souriant qui git au sol
plus heureux qu’elle en cet instant-même

si seulement rose pouvait être un vase que l’on renverse.
la ferait-il sourire elle-aussi ?

« on n’apprend pas au soldat à faire des fleurs. comme on apprend pas à la fleuriste à manier l’épée. »

dans la clarté de ces fantasmes inavoués
qu’adviendrait-il de tout ce qu’elle oublie
si quelqu’un s’adonnait à chambouler l’ordre ?

léger. le garçon qui errait dans sa boutique sans bousculer la moindre fleur mais rose.
philippe-émile philibert.
son sourire gavroche lui sifflote baliverne,
mais elle croit ne pas entendre.
même si son rire lui décroche un sourire
avec lui ici rien n’a l’air important.
pourtant sérieux. l’épée à nue entre les étagères
ses yeux la regardent, pas sûrs d’aimer
pourtant ses doigts veulent y toucher. mais elle ne doit pas.

non rose on ne joue pas avec les armes
comme on ne joue plus avec ses mains,
ni avec le souffle. les « arrête ». les « pitié ». les « je t’aime ».
on ne joue plus.
mais ses yeux pétillants bannissent les règles et
ses yeux à elle, crèvent d’envie.

« doucement garçon… »
trancher ses peurs enivrantes.

le bout des doigts qui viennent effleurer la poignée
il parle, comme pour la capturer dans un vice qui lui échappe
glisse, sa paume presque contre le manche,

mais elle rit, après avoir effleuré le danger rose se reprend
sourit, disparait un instant derrière un mur fleurit

« vous avez le droit ? de sortir ça n’importe où sans raison ? »

sa voix plus forte pourtant rose ne sait pas crier
et elle revient, bouquet entre les mains
(elle les a d’ailleurs rangées dans des gants
maintenant qu’elle ne saignait plus)

« manier une épée c’est un peu comme manier des fleurs. je crois ? »

se dispersent sur la table les tiges
épineuses
puis
se recule,
adossée contre le mur.

loin de lui
de sa lame
de ses tentations
pourtant toujours sous ses yeux

« faîtes donc un bouquet. »

rose aimait regarder sans toucher.

et lorsqu'il s'approcha pour se piquer
elle prévenue

« je suis sûre qu'on peut tuer avec une rose aussi. »

l’insouciance borde ses états-d ’âmes.
rose sans comprendre pourquoi ses sourcils n’oscillent pas
dès qu’une épine s’éprend de lui

penche son visage.
les épées gonflent-elles l’égo au point de se sentir éternel ?
elle aurait dû l’empoignée,
s’enfuir avec, même

si par ce chemin elle n’avait plus à craindre
de croupir sous les ronces de ses maux.

« vous… »
d’une brutalité infantile
la douceur comme victime
il laissa s’effondrer sur la table ce qu’il s’était efforcé de bâtir
elle ne comprenait pas

ce détachement sans limite
comment faisait-il ?

d’une création immonde rose eut un aperçu du mauvais goût
mais découvrit par-delà
une sorte de liberté exagérée.

elle s’absenta une seconde
revenue l’air perplexe
déposer cotons et pansements à côté des fleurs déchues.

« heureusement vous n’êtes pas fleuriste… » sourire écorché
elle poussa du bout des doigts ses soins de fortune

rose ne touche que les tiges car les mains elles sont bien plus pleines d’épines,
et elle ne voudrait pas se blesser de lui.

« vous avez l’air d’un enfant trop gourmand
prêt à dévorer la moindre seconde de vie
c’est.. »

déroutant.
mais,

excitant.

« un bol d’air frais, et à la fois très stressant. »
ce philippe ou que sais-je

rose sans amour pourtant
voulait le garder dans sa boutique
cultiver ses boucles, faire varier les couleurs
sentir sa folie
préparer cent bouquets de sa bêtise

pour que jamais elle ne puisse ignorer
qu’il existe ici des hommes dépourvus de pensées
car ils ont conquis les actes.

« je vous offre votre création
j’espère cependant que vous êtes plus habile avec votre épée. »

et rose curieuse voudrait la voir fendre
briser ses pots, piétiner ses pétales
qu’on saccage ce qui la fait tenir à cette réalité

qu’elle s’évade rose loin des fleurs
plus près du cœur.

le sourire gêné qui s’enjolive d’un sourcil haussé
non,
« la touche perso » n’est pas à son goût.
y’a que les idiots qui parent leurs fleurs de sang
sinon on offrirait des dessins vierges
quitte à les colorer nous-même.

mais il est drôle,
ce chevalier pas très charmant.
il a de l’extase dans les yeux et des étincelles entre les doigts,
puis  elle se souvient
les sourires parfois ça cache des rancœurs.
alors était-il du genre à
préparer de grands feux, ou
à apaiser les brasiers qui s’essoufflent ?

les coudes sur son comptoir
son visage dans ses paumes
cambrée pour tenir
les yeux curieux

pep est marrant,
comme un ami perdu qu’on ne cherchait pas
débarque et s’installe dans nos souvenirs
elle n’oubliera pas.

« romane ? très peu pour moi le yoga, mais je comprends que vous en fassiez. quoi qu’un soldat qui se détend par la relaxation ça sonne un peu… psychopathe… et prétentieux. » trop honnête rose.

les pupilles sur l’épée.

une écorchure,
rien qu’une écorchure…

«  rangez ça dîtes, ça n’a pas sa place dans ma boutique. »

face à ce garçon condescendant,
qui avait tenté de braver ses repentirs déjà deux fois
mais rose ne manie pas. rose ne veut pas de glaive sous ses yeux.
il ignore surement, par ailleurs,
qu’à sa troisième requête,
lily-rose ne quémande plus,
mais exige.

« s’il vous plait, monsieur philibert. »
le calme fuyait la tempête.

la politesse pour gouverner
les non-dits pour se protéger
l’épée rejoint son fourreau et
le désir

chaotique

rejoint ses méandres
moroses
alors lily ne se coupera pas plus aujourd’hui
et la douleur d’être vivante ne serait
qu’un regret de plus, parce que ce soir

elle le sait, elle se dira
« tu ne changes pas.
tu veux toujours graver tes poignets
qu’on appose sa marque sur toi
que de rose on n’en trouve plus que la tige ;
et son bourgeon décapité
pas vrai ? »

silence.
le trouble appartient à la nuit,
et il faut rester belle pour le jour.
les lèvres remontées,
elle sourit, commerçante avant tout.

pep n’est pas un ami
mais elle espère
sans trop s’y attarder,

le revoir déambuler,
stopper le temps
qu’elle trouve la folie en les autres,
en lui,
à défaut de s’avouer la sienne.

pas un mot sur les batifolages
elle reprend, l’air moins sévère ;

« à bientôt pep ;
j’espère que ça lui plaira. »

le doigt pointé sur sa composition (désastreuse)
elle retient un rire
tous les gestes du garçon sont comiques
pleins d’énergie
ça fait bizarre
pour quelqu’un qui se traine comme un cadavre
de rencontrer la vie.

« ciao bye. »
c’est comme cela qu’on
s’oublie un peu ?

en
omettant ce caractère trop abrupt
qui nous défend
de faire la moindre
« erreur » ?

mais tant qu’il n’a pas dépassé la porte
rose est inerte
figée
veut se souvenir de cette journée.