il avait fuit sans demander son reste,
sans sourires ni révérence pour le public, rien que la terreur au ventre le poussant à filer au plus vite.
tellement obnubilé par la douleur qui l'élance, la peur d'être suivi — lui fait tourner la tête quand il passe les portes du casino, qu'il ne remarque pas qu'elles sont déjà ouvertes.
percutant le nouveau venu, s'accroche instinctivement à celui-ci pour ne pas tomber, ariel lève un regard paniqué vers
opal
on en serait presque soulagé de le voir si le rouge ne tâchait pas le blanc
litanie d'excuses qui lui échappent sans qu'il n'arrive à les retenir,
avec sa voix qui craque un peu plus à chacune d'elles.
il ramène sa paume sanguinolente contre son torse, contre sa chemise déjà ruinée et poisseuse.
désolé désolé désolé-

le ton impérieux employé le fait tressauter,
le contact sur son poignet le brûle.
pourtant, il se laisse manipuler comme une poupée de chiffon, incapable de protester ou s'extirper de sa poigne pourtant délicate.
il reste figé sur place, même quand le sol s'ouvre sous leurs pieds, qu'il devine le changement de décor au travers de sa vision floue. tout est soudainement trop clair, la nuit éternelle d'halloween city est remplacée par un intérieur familier.
machinalement, comme on le lui avait gentiment ordonné, ses pas le mènent vers le canapé — on prend soin de ne pas ruiner le plancher, de se faire petit, recroquevillé sur lui-même avec le poing toujours aussi serré.
il ne note que distraitement l'effleurement sur son épaule endolorie.
ce n'est qu'une fois laissé à lui-même que la réalité de la situation le frappe enfin, lui fait exhaler une respiration tremblante.
ça va aller
il n'est plus là

ça le fait rire, ariel.
doucement, au début, jusqu'à ce que son corps soit secoué d'un éclat hystérique.
sa curiosité, sa stupidité, l'avait menée jusque-là et il rigole à s'en faire mal à la gorge.
et, avec tout ça, il entraînait quelqu'un d'autre dans ses problèmes.
imprudent et misérable, ça lui colle si bien à la peau.

le rire se mue en hoquets, toujours agité par les tremblements et l'adrénaline qui refuse de s'estomper.
muscles tendus comme des ressorts et prêt à déguerpir.
ariel sursaute violemment quand on le touche, fixe le visage tout sauf familier qui se trouve devant lui avec frayeur.
une partie encore lucide de son esprit suppose que c'est le fameux billy mentionné plus tôt par le lapin blanc.
l'autre est trop occupé à se faire violence pour ne pas lui arracher son poignet des mains.
ça va, ça va, ça va
après tout, opal est là.
il n'est plus au casino.

on lui présente un verre, à boire cul-sec — la mixture lui est étrangère, mais trop exténué pour en demander le contenu, il s'exécute.
pose celui-ci, vide, sur la table et s'efforce maintenant de ne plus trop bouger.
à l'observer s'affairer silencieusement, lèvres pincées pour se retenir de produire le moindre son.
malgré l'élancement qui électrifie ses nerfs à chaque fois que le chiffon glisse sur la blessure, s'imbibe un peu plus de sang jusqu'à enfin dévoiler l'étendue des dégâts.
ça le fait figer, horrifié de constater la profondeur et la gravité de celle-ci, lui arrache finalement un sanglot.
puis un second, un troisième.
les larmes, contenues jusque-là, roulent librement sur ses joues.

et la question le fait se replier sur lui-même, incapable de regarder opal ne serait-ce qu'une seconde.
il a beau le savoir immortel, il n'a pas envie de l'entraîner à sa suite dans ses déboires, encore moins quand ils ont été causés par son entêtement et sa curiosité mal placée qui devait bien un jour lui exploser en pleine figure.
à trop s'approcher du soleil, on fini par se brûler.

— c'est ma faute, c'est-

ma faute.

s'il avait réussi à ne pas trop bouger quand l'aiguille perçait sa peau, réprimant un frisson chaque fois que le fil refermait un peu plus la plaie sur elle-même, le contact sur sa nuque le fait tressaillir — toujours partagé entre l'envie de fuir et celle de se laisser conforter.
il le laisse sécher ses joues sans protester, offre une faible résistance quand il le force à le regarder avant d'abdiquer, cligne des yeux pour chasser les dernières larmes qui perlent encore à ses cils et brouillent sa vision.
si, ça l'est.
mais il reste silencieux.
cesse de te blâmer.
si opal connaissait les circonstances, avancerait-il réellement de tels propos ?
il sait que ce n'est qu'une façon de le rassurer comme un autre, mais, avec la fatigue qui finit par enfin pointer le bout de son nez, s'installe au plus profond de ses os, il se contente d'acquiescer faiblement.

dis-moi.
dis-moi.
dis-moi.
c'est une mauvaise idée.
terrible même — elle frise l'excès de stupidité qui l'avait mené à se faire poignarder la paume en premier lieu.
ariel observe sa main dans la sienne, la délicatesse dont il fait preuve — contraste poignant avec la scène qui joue et rejoue en boucle dans son esprit.
le rouge qui macule la nappe, le métal froid et la douleur vive.
les serres sur ses épaules, sa vision floue et son regard.
sa respiration s'accélère bien malgré lui, alors qu'il cherche désespérément à ne pas perdre pied.

— le-

sa voix craque avant même qu'il n'arrive à terminer sa phrase.
il n'avait jamais eu peur des monstres sous son lit, mais les choses changent.
inspirant presque rageusement, agacé de sa propre faiblesse, sa propre peur, il force enfin les syllabes hors de sa gorge.

— le croquemitaine.

c'est qu'il aimerait bien le croire, quand il lui dit qu'il ne s'en prendrait plus à lui.
hoche faiblement la tête pour acquiescer, tente de calmer les tremblements qui subsistent encore.
ça ne réduit toutefois pas son esprit au silence, ni la multitude de scénarios, tous plus horribles les uns que les autres, qu'il venait de concocter.
son travail le ramènerait inexorablement là-bas, à jouer et à chanter pour eux.
oh, ariel a bien compris la leçon, n'irait plus chercher réponse à ses interrogations — forcerait sa curiosité maladive à faire la paix avec la raison, pour son propre bien.
mais qu'est-ce qui empêcherait bien le croquemitaine de recommencer, si l'envie se manifestait ?
rien du tout.
et c'est ce qui le terrifie le plus.

la peur est momentanément chassée, se tapie dans un recoin pour surgir plus tard, quand son regard croise celui du lapin blanc.
sa main dans ses cheveux, puis sa joue, lui fait esquisser l'ombre d'un sourire, en écho à celui qui flotte sur son visage.
quand ses lèvres se posent sur sa peau, il se fige une seconde.
ce n'est pas le geste qui le surprend,
on a fait pire, bien, bien pire,
mais la douceur dont il fait preuve.
son coeur fébrile s'agite dans sa poitrine, non pas d'effroi, mais de joie. comme à chaque nouvelle attention qu'il lui témoigne, précieusement cataloguée.
ariel, doucement, se redresse — s'il cherchait désespérément à fuir tout contact quelques minutes plus tôt, il ne désirait maintenant qu'à clore la distance et-
ses yeux tombent vers la chemise d'opal, puis la sienne, et l'expression détendue qu'il avait arborée se pince.
vêtements ruinés par son sang, il note distraitement l'odeur métallique caractéristique à celui-ci et ça lui arrache une grimace plus prononcée que la précédente.

— je- suis désolé, est-ce que je peux t'emprunter quelque chose ?

désigne vaguement le désastre d'un mouvement la main, la mine embarrassée.

— je n'ai pas envie de ruiner autre chose par accident.

le sourire moqueur lui fait arquer un sourcil.
il n'y a pas matière à rire, il est dans un état lamentable. on lui a poignardé la main,  ses vêtements sont absolument ruinés et-
oh
le train de pensée s'arrête net.
l'agacement fugace laisse place à la statique quand il attrape son menton, son visage près du sien.
il ne peut s'empêcher d'abhorrer et adorer cette capacité qu'il a de réduire à néant le tumulte qui l'habite.
et d'en provoquer un autre, complètement différent.
il l'observe, paupières à demi-closes, et n'aurait qu'à s'incliner pour l'embrasser, mais trop vite, opal est hors de portée.
c'est qu'il en serait presque outré, si la réalité dans laquelle il se trouvait était différente et, il doit bien lui donner raison, un bain ne serait pas de refus.

se relevant à son tour, il suit le maître des lieux, plus par formalité qu'autre chose
ariel est déjà bien familier avec l'endroit, ce n'est pas sa première visite, probablement pas la dernière.
e s p è r e que ça ne le soit pas, comme à chaque fois qu'il y entre.

son attention, quand l'eau commence à couler, s'oriente vers sa chemise.
il tente, rien qu'une seconde, de la déboutonner maladroitement, mais le flambeau est bien vite repris, infiniment plus efficace.
ça lui fait plutôt relever les yeux vers le lapin blanc, réprimant ensuite un frisson quand le tissu glisse le long de ses bras, s'échoue à ses pieds.
sa demande le laisse perplexe un instant, oeillade inquisitrice lancée vers la baignoire qui est en train de se remplir.
la question au bord des lèvres est bien vite ravalée quand celles d'opal s'affairent dans son cou, et sans hésiter, il bascule la tête de côté, lui facilite la tâche.

— c’est déloyal-

il a beau souffler cela sur un ton pétulant, quand il s’attaque à son épaule, ça lui arrache une inspiration sifflante qui se brise dans un soupir.
une partie de lui se réjouit à l’idée de savoir les contacts indésirables du croquemitaine remplacés par les siens, lavé de ceux-ci pour être marqué d’une autre façon.
l’autre est, malgré tout, religieusement concentrée à la tâche qui lui a été confié, regard rivé sur l’eau qui continue de monter.
ses doigts s'agrippent à son haut, tirent, réduit la distance entre eux comme seule requête impérieuse, alors qu'il reste docile et pliant sous ses attentions.
mais bien vite, trop, à son humble avis — il n’a pas spécialement envie de l’arrêter, bien satisfait là où il est, il doit se détacher.
puis instantanément regretter son absence dans ses bras, les traits pincés dans une expression renfrognée.
au moins, un désastre est averti.

— ça devrait être bon ?

désigne le bain d’un vague mouvement de la tête, le regard désormais posé sur opal.

— tu m'accompagnes ?

sa voix, malgré le sourire qui éclaire son visage, est incertaine.
s'il avait précédemment cherché à éviter le contact, encore sous l'emprise de la terreur, c'était maintenant tout le contraire.
c'est tout ce qu'il désire, et  ariel accepterait gracieusement tout ce qu'il aurait à lui offrir.

— ou juste... reste ? s'il te plaît.

c'est le froid qui le fait frissonner, cette fois-ci, quand l'entièreté de ses vêtements jonche le sol et qu'opal n'est plus dans ses bras pour chasser celui-ci.
il n'a pas à se plaindre bien longtemps, ses mains se posent de nouveau sur lui, et ariel s'avance, chasse ses lèvres quand elles quittent les siennes après un énième contact trop court.
puis, fidèle à lui-même, le lapin blanc lui file entre les doigts.
mais on a l'habitude de courir, de le suivre aveuglément — toute personne sensée aurait eu tôt fait d'abandonner et pourtant, il est toujours là.
stupide ténacité, stupide affection.
ça lui ferait rouler des yeux, ariel, s'il n'était pas en train d'esquisser un sourire amusé face à la grimace affichée, quand il l'observe s'installer dans la baignoire.

vient son tour, où il enjambe le rebord pour se glisser dans l'eau
évitant de s'appuyer sur sa main blessée — ou de la mouiller, lorsqu'il s'assoit et quand il recule, c'est pour se caler contre lui, la tête contre son épaule et les yeux fermés.
la quiétude, bien que bienvenue, est presque assourdissante.
les restes d'adrénaline et de terreur fondent comme neige au soleil, les battements de son coeur ne lui résonnent plus aux oreilles.
ça le laisse seul avec ses pensées, et c'est dangereux.
tu te sens comment ?
ariel ouvre un oeil, en levant sa paume au niveau de son visage, force tendons et muscles à lui obéir dans une grimace contrite.
ses doigts ne se replient que légèrement, avant qu'il n'abandonne l'idée — ce serait bête d'aggraver l'état de la plaie.

— ça pourrait aller mieux, je suppose.

oh, avec un peu de recul face à la situation, il devine que le contenu du verre qui lui avait été offert était probablement une potion de soin.
après tout, la douleur est déjà atténuée, momentanément engourdie, mais toujours présente dans un recoin de son esprit.
esprit qui se complaît justement à lui rejouer les événements de la soirée, images dont il se passerait grandement.
pourtant, il ne peut s'empêcher de tiquer sur les mêmes phrases, à chaque fois, avant de voir et revoir le couteau planté dans sa chair.
et il ne sait pas ce qui l'affecte le plus.
l'insulte à peine voilée ou la lame lui renvoyant son reflet horrifié.

— suis-je vraiment rien qu'une salope ?

sa voix est morne et son expression vide.
il a conscience de son pouvoir, de l'emprise de celui-ci sur autrui.
il en joue, quand ça l'arrange, quand la solitude est un poids trop grand, quand il ne sait plus quoi faire de sa personne et cherche une distraction, histoire de se sentir vivant, apprécié rien qu'un instant.
puis, opal en avait fait les frais, la première fois.
accidentel, certes, mais bien désiré.