Tu t'étais senti si légère que ça t'avait donné l'impression de voler - mais pourtant tu avais couru, les pieds bien ancrés dans la terre battue.
Le chevalier nommé Anaël juste derrière, tu jettes un oeil par dessus ton épaule, à peine essoufflée, un brin audacieuse.
Pour le provoquer dans la défaite, pour briller de ta victoire ambitieuse.

Tu l'avais suivi cependant vers Dreamland. Cette fois c'était toi qui restait derrière, en retrait. Arpentant autour de la ville pour en trouver l'entrée, tu avais réprimé des frissons d'inquiétude lorsque vous aviez contourné Halloween City. C'était impressionnant, comme la nuit et la lune dominaient juste au dessus de la ville, créant une frontière flagrante avec le reste du monde.


Une fois dans Dreamland, tes yeux s'écarquillent devant la modernité qui contraste avec le royaume de coeur. Tu en es persuadée Andy, c'est là que tu veux vivre désormais.
C'est ce décor si familier dans lequel tu te sens le plus en sécurité.
Et c'est en tant que femme libre que tu veux le découvrir dans son intégralité.

Anaël est étrange, Anaël a les yeux qui brillent et toi aussi, mais c'est peut-être de la poussière car t'as la larme au coin de l'oeil qui menace de son petit gout salé.
Il n'a pas besoin de toi pour s'accaparer l'espace, pour recommencer ses comparaisons marrantes avec des souvenirs de votre enfance, t'imposant une mélancolie heureuse et désabusée.

Les mains derrière le dos, tu balaies d'un regard redevenu sec par un coup de manche discret, les plaines et les étoiles.
Quand il se met à chanter, tu es d'abord désarçonnée.
Avant d'éclater d'un rire franc et frais.

— « Le meilleur c'est Big Heroe 6 de toute façon ! » Tu te demandes un instant s'il l'a vu.
Depuis quand est-il là ? « Mais je préférais l'animation japonaise, dans tous les cas. »

Ça va te manquer, c'est certain.
Mais rien que ce parc vous donne l'impression de vivre ces histoires merveilleuses que vous dévoriez petits.
C'est vous, les héros de l'histoire, dans cette nouvelle vie.

— « IT IS WHERE WE ARE
IT'S ENOUGH FOR... »

Tu sais plus Andy.
C'est quoi les paroles déjà ? La mémoire déraille et les souvenirs aussi.

— « THIS WIDE-EYED WANDERER »

Quand il compare à Gladiator, tu as l'air un perdu.
Lui fait comprendre d'une grimace, hausses les épaules et grimpes une colonne en lui faisant signe de te suivre.
Vous vous trouvez au sommet du parc, et la hauteur vous permet de contempler les différents univers abordés. C'est magique, c'est du délire.

Tu te risques à demander :

— « Tu penses qu'on nous observe ? Qu'on est les personnages d'une télé-réalité à grande échelle ? »

Quand on sortira.
C'est que tu le regardes presque avec des grands yeux pétillants, lui, le porteur d'espoir - le seul qui n'a encore jamais essayé de te faire entendre raison (qui n'a jamais essayé de te faire croire que tout était perdu et qu'il fallait abandonner).
Ton coeur s'emballe et presque comme un automatisme, tu acquiesces d'un hochement de menton, les lèvres plissées.

Quand il parle, ça t'hypnotise.
Il parle beaucoup.
D'habitude, c'est toi qui mène la conversation, assommant de connaissance. Et lui, il mitraille de références. T'en as le souffle coupé un instant ; ça t'avait manqué d'être fascinée par quelqu'un d'autres que les monstres qui composent ce monde.
Anaël semble si simple que tu le perçois comme exceptionnel.

— « Je ne sais pas. Ces histoires de camps à prendre, ça parait tellement normal pour eux. Et en même temps, le reste du monde n'a aucun sens. »

C'est une torture pour toi Andy, de ne rien comprendre.
Tu te savais intelligente, dotée d'un esprit logique et raisonnée. Et pourtant, quand Anaël dit "fuck off", on est soulagée.
Soulagée sur le fait que c'est normal d'etre perdue.

Tu plisses les paupières, en réflexion sur ses paroles.
Des sages paroles, quoique un peu fantasques.
Ça résonne fort en toi Andy, parce que t'as toujours aspiré à être protagoniste. Les héroïnes sont persuadées de remporter les batailles avant même de les avoir engagé. C'est un élan de motivation et d'inspiration.
Anaël se tourne vers toi, les cheveux noirs reflètent les lumières étincelantes qui bordent l'horizon d'un tapis d'or.

Il n'a rien d'un prince charmant, c'est certain.

— « Dans cette histoire, je crois pas qu'on s'est rencontré par hasard. »

Tu t'étouffes à moitié, tu t'étrangles en déglutissant. Tu perds la face un instant Andy, car tu te rends compte que c'est le genre de phrase un peu bateau qu'on dit quand on veut draguer.
Et tu veux pas qu'il se méprenne sur tes intentions.
Rouge (de gêne ou par manque d'oxygène, à lui de voir) tu détournes un peu le regard.

— « Je voulais dire... on peut être tous les deux sur le devant de la scène. Je me pousserai pas tu vois, mais je serais ravie de te tirer avec moi. »

La petite référence à Miyasaki, il a capturé ton coeur.
C'est qu'être aussi mignon, fou, et cultivé - c'était pas possible.
Heureusement que t'as autre chose à penser Andy, que de batifoler juste avant la fin du monde.

Le temps passe et tu retrouves ton âme d'enfant.
Ça file à l'envers.

— « OKAY ALLONS-Y ALORS. »

Et c'est à ton tour de retrousser tes manches. Tu attaches tes cheveux en une longue queue de cheval et commence à descendre prudemment le pique de la colline, surplombant un terrain en pente. Tu sautes et manques de glisser, te rattrapant à un arbre, agrippant une branche et tu lèves la tête Andy, lui fais comprendre que le parc est vaste (encore plus dans la nuit) et que c'est pas d'en haut que vous trouverez le point d'eau.

Tu te sens libre Andy, libre comme l'air avec Anaël et ses vols planés pour spectacle ! Ses vautrages aussi, mais t'es qui pour juger ?
Tu l'observes sauter dans le vide et tu ouvres grand la bouche et les yeux, les mains sont tentées de cacher le visage pour pas voir sa gamelle et après une grimace, tu éclates de rire.
Ce garçon est fou - genre, pire que Wonderland.
Tout le monde parle du chapelier, du chat qui sourit - ici rien n'a de sens et pourtant en le regardant lui, il te donne l'impression que tu pourrais tout comprendre.

— « Ok ok ok. Je peux te dire un secret ? SEULEMENT SI TU N'ABUSES PAS. » Tu lèves le doigt en l'air devant lui. « Je sais où Sa Majesté fait planquer ses tartes... Par contre en vrai n'en vole pas, elle te coupera la tête. Et les nôtres, je crois qu'elles repoussent pas. »

Et juste après ça, le voilà qui descend prudemment vers le bas. Tu le suis avec la même précaution, soufflant à chaque pas pour calmer ta peur du vide. Les chaussures dérapent un peu sur la terre sèche mais tu te rattrapes contre un tronc.
Vous êtes presque en bas et Anaël se met en position pour sauter.

— « Alors, déjà, non, tu meurs pas. »

C'est un ordre alors que tu le juges de haut, que tu le toises avec mépris.
Promets le Anaël, meurs pas. « Si tu meurs c'est moi qui te tue. »

On rentre à quelle heure au fait ?
Tes sourcils se froncent, tu hausses les sourcils. Tu sacrifieras une nuit paisible contre une nuit d'aventure.

— « Avant le petit ma- »

Mais il saute. Anaël saute.
Tu étouffes un cri de surprise et te protèges avec tes bras des éclaboussures. Tu souffles u coup et prend de l'élan pour sauter aussi.

— « YEEHAW. »

Tu plonges dans le marais, ton corps s'enfonce sous les eaux. Tu ouvres les yeux et tu vois rien du tout. Il fait si sombre et l'eau est si froide. Alors tu te débats jusqu'à la surface et respires bruyamment, patageant en riant nerveusement, cherchant ton ami.
Tu nages vers lui pour t'accrocher à lui.
Tu t'en fiches si c'est gênant mais tu passes tes bras autour de son cou, enroule tes jambes à son torse comme un koala.
Et comme tu te sens un peu bête, tu caches ton visage dans son cou. Oh mince alors, il va se passer quoi maintenant ?

C'était surement une mauvaise idée mais c'est pas grave, tu t'accroches quand même Andy - parce que t'es frigorifiée et une fois dans ses bras ton cerveau a du mal à ordonner à ton corps de le lâcher. C'est rassurant, confortable, et malgré l'eau qui parfois emporte la bouche et le nez entre deux respirations sifflantes, tu te sens protégée envers et contre tout.
C'est la première fois que tu te laisses sauver Andy.
T'as l'impression d'avoir grandis, compris quelque chose qui te dépasse.

— « JE M'ACCROCHE JE FAIS QUE- »

Tu bois la tasse, tousse et recrache derrière lui, agrippe un peu plus ses épaules (griffe un peu son dos) et cette fois c'est un peu la panique mais tu intériorises pour juste attendre que ses jambes se stabilisent. Une fois que tu sens que ses pieds ont touché le sol, tu détaches les tiennes, toujours agrippée à son cou et tapotes de la pointe de l'orteil le sable du marais.

La rive est là, alors tu lâches tout et te laisses glisser au bord de l'eau, les cheveux roux dans la boue et l'eau comme couverture. Tu regardes Anaël de tes grands yeux fatigués, et rit nerveusement à ton tour quand il se marre.

— « J'ai bien failli nous tuer une deuxième fois... »

Tu trouves de la joie là où vous devriez être triste. Il faut rire de tout, surtout quand on est trempé dans un univers loufoque coincé dans un monde parallèle dans l'au-delà.
Il faut relativiser.
Pas se prendre la tête.

Mais merde alors, c'est quoi ce secret ? Ce qui pourrait vous donner une seconde chance ? Pour la première fois depuis ton arrivée, t'es si bien qu'au fond de toi tu souhaites l'avoir oublié (pour toujours) ; il n'y a que d'Anaël dont tu veux te remémorer. De cet instant de déconne avant de retourner au travail.

— « Quelle vie... Des fois je me demande ce qui me force à y retourner. Je serais bien là... »

Puis on pense au fait que lui, il s'y trouve.
Et finalement, c'est pas si mal.

Tu lèves les bras comme une enfant et le chopes par le col pour l'attirer vers toi. L'eau boueuse continue de venir vous chatouiller les jambes et les pieds. Des grosses gouttes tombent de ses boucles pour venir s'écraser sur ton visage.

— « J'ai froid, Ana. Pas toi ? »

Un appel un peu subtil qu'il peut tout à fait esquiver. Vos deux corps s'attirent alors qu'ils ne se connaissent peu, mais peut-être que comme le reste depuis le début de cette soirée ; peut-être que c'est rien qu'une autre mauvaise idée.

L'image de vous deux en train de couler dans le parc de Neverland, ça t'aurait fait une belle jambe devant l'entrée du paradis.
Dieu qui se serait penché et vous aurait dit "bah alors, on est si bête que ça ? Dans l'eau on nage, dumbass" ; et t'aurais répondu que tu t'es accroché à l'amour pour avoir l'impression de vivre - frôler la mort, frôler la vie.

Il t'aurait pas lâché.
Est-ce que Anaël est du genre à suivre ses principes à l'autre bout du monde ? Même s'il doit en mourir ou se perdre ? Tu ne sais pas si tu dois trouver ça adorable ou un peu naïf. En tout cas, sa détermination te touche un peu ; car c'est un peu le premier prêt à se noyer.

— « Non, pas chez moi... je parlais du château. Chez moi, je sais pas si c'est vraiment possible en réalité. Je veux dire... soyons lucides. »

Tu écarquilles les yeux lorsqu'il te confie ce qu'il pense être son secret. Tu éclates de rire, comme prise de spasmes incontrôlés. T'as mal au ventre putain.
Toi, tu pourrais jamais ! Il est complètement fou. Et t'aime bien ça Andy.

— « Je crois que moi mon secret c'est qu'en vrai je suis tellement souple que je peux retourner mon coude à l'intérieur. »

Tu le laisses imaginer quelques secondes, plissent les paupières pour le dissuader de se moquer avant d'éclater de rire, encore. T'as mal à la gorge à cause de la tasse que t'as bu et à force d'avoir toussé.
Puis entre deux râles d'hilarité, tu lui fais un appel de phare.
Anaël comprend pas - et ça t'arrange parce que tu regrettes automatiquement. A la place il te soulève et tu t'empourpres Andy, tu rougis et on sait pas si c'est parce que t'es intimidée ou qu'il t'a donné chaud d'un coup.
Mais sans protester, tu te fais une petite place, en boule et la tête contre son torse.

— « Radiateur humain. Oh, tiens, ça manque de radiateur au royaume de coeur. »

Ça t'est venu comme ça, comme une idée de génie.
Puis à force qu'il avance, cherche une autre sortie, un autre endroit ou se poser - te demande la direction de où aller. Tu veux pas qu'il t'imagine comme une chose fragile.

— « Je peux marcher. »

C'est mort.
Strong and independent woman.
Tu te débats un peu pour qu'il te lâche et avant que tes pieds ne touchent le sol, tu déposes un baiser mouillé sur sa joue et murmures un "merci" un peu ambigu mais dont il ne relèvera pas la subtilité.
Tu le connais pas, mais assez pour avoir compris ça.
Tu cours un peu en éclaireur puis t'arrêtes à une certaine distance pour lui crier.

— « J'AI TROUVE UN PASSAGE DERRIERE UN ROCHER ON DIRAIT LE DECOR DE MAD MAX FURY ROAD »

Un nouveau monde se dessine sous tes yeux ébahis, alors que tu lui fais des grands signes avec les bras pour l'attirer vers le petit passage secret. Tu traverses en premier la faille entre les deux rochers et te retrouvent éblouie d'un immense soleil, en plein milieu d'un désert aride. Vous n'êtes pas perdu dans l'immensité car les limites du parc se dessine subtilement sur les lignes de l'horizon. Mais l'illusion est parfaite et tu lâches un sifflement d'admiration.

— « Ils sont forts quand même. »

Là, tu te rappelles qu'il a posé la question du pourquoi et comment. Tu hausses les épaules, toujours à détailler avec fascination les détails du nouveau décor. Vos habits sèchent rapidement sous le soleil.

— « Je sais pas, c'est la première fois que je viens je te rappelle ! Mais j'ai cru lire sur l'écriteau à l'entrée que le parc a aménagé plusieurs zones pour ne se plier à toutes les envies. Je suppose qu'après le bain de minuit c'était le désert qui nous attendait. »

Tu commences à te jeter dans le sable chaud pour faire l'ange, puis te redresses, les jambes allongées ; tenant en équilibre avec tes bras, tendus vers l'arrière. Tu l'écoutes parler cinema et d'un réalisateur en particulier.

— « Denis Villeneuve ? J'étais allé voir Blade Runner 2049 à Liverpool avec... »

C'était quoi déjà son nom ?
Celui de ta meilleure amie...
La mémoire te joue des tours.
Pourquoi tu te souviens de ça et pas du plus important ?

Tu te masses les tempes, réfléchissant bruyamment - soudain inquiétée de ta démence précoce.

— « Dis.. toi aussi t'as l'impression de devenir fou ? De zapper des trucs que tu t'étais juré de jamais oublier ? »

Tu rabats tes genoux contre ta poitrine, les entourant de tes bras pour y déposer ta tête.
Un peu confuse.

— « Désolée, je casse l'ambiance. Tu voulais dire quoi ? »

Anaël est impressionné d'un rien. Le voir comprendre de quoi tu parles, s'extasier en onomatopée dès que tu ouvres la bouche - ça flatte ton égo mais ça te raccroche aussi un peu à ce monde d'avant que tu peines à oublier mais qui s'échappe quand même par bribes sans que tu ne le remarques. Wonderland joue avec vous, ce monde semble vous tester et tu repenses à ce que Anaël a dit un peu plus tôt.
Il n'existe pas de coïncidences.
Et si on t'avait délibérément placé sur sa route ?

Tu sens à peine les grains de sable sur ta jambe, t'es passé du sourire de la discussion autour de Blade Runner à chercher chercher chercher encore le nom de ton amie passée.
Est-ce que tu lui manques, sur Terre ?

Tu rougis un peu de gêne quand il parle de crise existentielle - et même si son clin d'œil trahit une moquerie bienveillante, tu as du mal à sourire au naturel. C'est étiré, forcé, nerveux.

— « Je n'oublierai pas. Non, je veux pas devenir comme les autres. Piégés ici... »

Ils ont beau avoir la classe, ils ont beau être si puissants... tu n'incarnes rien Andy. Tu vas juste mourir si tu restes là. T'es pas un oiseau de feu comme Romane... T'es juste Andy.
Et quand Anaël parle de son père, tu écarquilles les yeux pendant une seconde.
Que devient Brotchan ? Tu culpabilises, que la bravoure lui ait enlevé sa fille.

— « J'espère que tu pourras le retrouver. J'espère que tu en auras la chance ! Si c'est ce que tu veux. »

L'idée d'un coup de le voir disparaitre devant toi, se souvenir et pas toi.

— « Je t'aime bien. »

Tu veux plus penser aux pères. Aux mères et à cet enfer qui est peut-être bien sur Terre.
Mais tu te rapproches d'Anaël, fait glisser le sable en équilibre sur tes chevilles. Quand vos visages sont proches, tu installes une intimité, et demandes sans sourciller de lui révéler un autre de ses secrets. Celui qui pourrait peut-être vous rapprocher.
Celui que nombreux sont ici à avoir complètement oublié.

— « Comment tu es mort ? »