Et sa peau se retrouve tâchée de rouge, ses mains douloureuses, poisseuses, des lambeaux de chair, du sang dont on les recouvre. Et les coups pleuvent, toujours plus fort, toujours plus puissants. Folie dans le regard quand on s'acharne sur ce visage aux traits déjà déformés. Des hurlements grotesques, furieux, quand on crache depuis plusieurs minutes, déjà, la demande assassine.

Rends-les-moi. Rends-les-moi. Rends-les-moi !

Mais il ne répond pas. Il ne répond plus. Les grognements animales ont laissé place à un silence pensant. Pourtant, Judas frappe, encore et encore, attend l'aveu de son vol, attend qu'il avoue sa faute. Ce fils de pute. Cette sombre merde. Prends ce qui ne lui appartient pas, n'a pas eu une once de pitié quand il a arraché les gants précieux pour aller les cacher. N'a pas eu une once de pitié quand suppliant et pleurant, on était allé le trouver. Rien que de la condescendance. Theodosius qui l'a envoyé dans l'antre des monstres. Et les coups pleuvent, encore.

— RENDS-LES-MOI J'AI DIT RENDS-LES-MOI !

Pour vous seulement des accessoires, pour lui une armure. Et ça rend fou de ne plus sentir leur contact, ça rend fou de sentir à même la peau la bouillie que devient son visage à mesure qu'on frappe. Et ça résonne, encore, une obsession, rends-nous-les. Et ça résonne, encore, toujours, frappe pour avoir une réponse, frappe parce qu'on ne lui en donne pas. Tout est devenu agression et folie depuis qu'il n'a plus le contact du tissu sur lui. Écume de rage dans un état second, tremblant, hurlant. Plus rien d'humain, Judas. Plus rien du bleu fraîchement arrivé quelques jours plus tôt. Juste un monstre à votre image. Juste un fou. Finalement, Théodosius avait visé juste, il n'y avait pas meilleur candidat que lui pour s'introduire dans vos vies.

Sursaut quand tu attrapes son poing. Le regard fou quand il détourne la tête, prêt à voir le visage d'un autre de ces monstres que Theodosius lui a ordonné d'observer. Si fou qu'il soit prêt à te cogner toi aussi, car qu'importent tes raisons, tu empêches la folie de s'assouvir, la punition de se faire. Car ce fils de pute sait, Dundee, il sait où il les a cachées. Et il en a tant besoin, tu vois, tant besoin de leur vue, dans leur contact. Sans eux, il devient la bête folle et hors de contrôle, car sans eux, tout devient une agression continuelle et il n'en peut plus de la violence, Dundee. Et quand tu l'attires vers toi, il se débat déjà, prêt à te pousser, à hurler des insanités parce qu'il les veut, si fort, si désespérément, ses putains de gants. Mais alors tu tires de ta poche le bien tant recherché. Dans ses yeux la surprise, alors qu'il fixe interdit ce pourquoi il avait fait pleuvoir les coups. Le cœur s’apaise une seconde, pour s'accélérer de nouveau. Alors qu'il prend conscience de ces choses poisseuses sur sa peau. Porte sa main à sa bouche dans un réflexe vieux comme le monde. Tente de retenir la nausée qui le prend. Mais dans son champ de vision apparaisse le rouge, le mou, sur sa peau si blanche. Et l'horreur déforme ses traits, Dundee, prend conscience de ses actes. Se détache de toi pour venir vomir lamentablement au sol le corps tremblant, bientôt secoué par les pleurs immondes alors qu'il ne sait plus quoi faire de ses mains, Judas.

— Putain, putain, putain

Tourne la tête, misérable, vers le corps allongé non loin. Se demande s'il est mort, cet imbécile. Se demande s'il l'a tué, cet imbécile. Tourne son regard vers toi, terrorisé, paniqué. Ses mains sont si sales, il veut vomir et pleurer encore, Dundee. Ses mains sont si sales, il ne sait pas s'il a le droit de te regarder.

— Dundee...

Peur, si peur, alors que son corps tremble tout entier. Et ses mains, Dundee, ses mains. Tremble encore plus, c'est poisseux, ça pue, ça soulève le cœur, ça fait se tordre de panique. La haine vorace à laisser place à la peur, si pure. Gémi ton nom comme un petit garçon. Un appel a l'aide, parce qu'il ne sait pas ce qu'il a fait, il ne se reconnaît pas. Cette violence, ce n'est pas lui, Dundee, crois le par pitié. Cette violence, elle dort, elle gronde, mais elle n'est jamais un plaisir, Dundee. Oh dieux du ciel, il l'a tué, n'est-ce pas ? Gémi de plus, belle, misérable quand tu essuies ses mains. Les pleurs arrivent bien vite. Judas encore un enfant du haut de son éternel 26 ans. Peur, si peur, le front qui vient tomber contre ton torse quand les larmes viennent tracer leurs sillons.

— Pardon, pardon, pardon...

Soubresaut au rythme de ses larmes. Recherche en toi tout ce qu'il peut la rassurer alors que plus ça va, plus il se voit monstre, Judas.

— Je l'ai tué, j'ai tué quelqu'un...

Et ce ne sera pas le dernier, il ne le sait pas, mais toi, tu le sais, n'est-ce pas ? C'est le lot de tous ceux qui évolue dans cette ville dans ce cercle. On pourrait presque dire que c'est le métier qui rentre... Et il se met à haïr le maire, celui qui l'a envoyé en toute connaissance de cause dans votre enfer.

— Comment on va faire, Dundee ? Tant de sanglots, Cher Ami. La voix plus craintive. Je suis désolé, désolé, désolé. Qu'est-ce que j'ai fait ?

Qu'est-ce qu'on devient, Dundee ?
Et le besoin soudain que tu l'emportes. N'importe où, même dans des ténèbres encore plus grandes. Car tout vaut mieux qu'ici.

Respire.
Et il obéit. Force son souffle saccadé, anarchique a retrouvé un semblant de rythme. Ça fait presque mal, dans la poitrine, ce souffle qui se perd, qui ne sait plus comment s'extirper de ce corps. Mais il respire, il se concentre sur l'ordre le plus simple, avec obsession, comme-ci ce simple mot était question de vie ou de mort, trésor plus précieux que tout. Il respire, laisse son corps se soulever, dans l’abri de ton corps il ne voit plus le cadavre, il tente de l'ignorer, de se convaincre qu'il n'est pas là, que la poisse sur ses mains est une illusion qui sera bien vite partie.

— Oui... Oui... Je respire.

Et tu dis qu'il n'y a pas à s’inquiéter, qu'il ne restera plus rien de ce mort bientôt. Il s'apprête à te demander comment, mais il se ravise. Non, au final, il ne veut pas connaître les détails. Qu'il disparaisse, c'est tout ce qu'il demande. Qu'il disparaisse. Fait le disparaître Dundee.

— Ok... Ok. Je suis désolé de te donner du boulot...

Il se laisse choir quelques secondes. Là, c'est tout ce dont il a besoin. Une épaule sur laquelle se reposer quelques secondes avant de formuler un dernier caprice.

— Ramène moi chez moi s'il te plaît...

Loin de la puanteur de la mort, une puanteur qui allait devenir notre parfum.  

Pantin désarticulé quand tu nous portes jusqu'à la sortie. Le corps à la fois si lourd et si léger, on ne savait pas que le choc pouvait à ce point assommer, on ne savait pas que ça pouvait procurer cette sensation terrible où on se sent qu'on cesse de s’appartenir. Dans notre crâne résonné mille envies, se laver les mains, se laver tout court, frotter notre beau jusqu'à la rendre poussière, muer comme mue les serpents, se réveiller pour réaliser que tout ça n'est qu'un rêve, ah comme ce serait beau si tout ça n'était qu'un rêve, Dundee.

Mais quand tu demandes où est-ce qu'on veut rentrer, on ne sait pas quoi te répondre. Le premier réflexe aurait été de dire "Esthef", retourner à Neverland, retourner à la première maison... Mais le pouvait-on seulement ? On n'avait rien appris, on n'avait rien accompli encore. Si Esthef était déçu qu'est-ce qu'on devient ensuite ? Est-ce que sa protection tiendrait toujours ? Est-ce qu'on avait seulement l'envie et le courage de lui faire face alors qu'on caresse le rêve de lui envoyer notre poing dans la face, de lui hurler qu'il ne nous avait en rien préparé à ça ? Non, bien sûr que non, on ne peut pas, Dundee.

— Dans ma chambre... Ramène moi dans ma chambre... J'veux me laver.

Faire partir tout cette crasse, faire partir tout ce sang, et probablement se saouler à la javel pour nettoyer tout le mal de l'intérieur.

Pantin désarticulé, on peine à garder conscience de ce qu'il se passe, peine à garder conscience de ce qu'il se passera après. Ne reste que la sensation poisseuse et dégoûtante. Ah, Dundee, c'est terrible de sentir aussi mauvais. C'est une odeur et une sensation sur les doigts qui prend à la gorge, on se demande comment tu fais pour ne pas dégueuler, pour ne pas chialer sous le contact des immondices. Nous, on y arrivera pas, misérable, et quand on entre dans notre appartement et que tu nous retires notre vêtement on se sent toujours aussi sale, toujours aussi démunie, toujours aussi laid. On voudrait arracher notre peau pour en revêtir une autre. Tu nous pousses dans la salle de bain, on a un rire amer aux lèvres.

— Comment ont fait pour s'y faire, dit moi ?

On on ouvert le robinet d'eau chaude, on se brûle la peau mais qu'importe, jet à pleine puissance quand on a pris le gant le plus rêche de notre arsenal pour se frotter, appuyer comme pour faire partir une terrible tache. On frotte, frotte encore, la peau rougie, autant meurtrie par la température de l'eau que par les assauts du gant. Mais ça ne suffit pas, alors on attrape la bouteille de produit d’entretien, on s'en verse à même la peau et tant pis si ça nous détruit, si on en meurt parce que tout ce qui compte, c'est cette obsession, celle de frotter encore jusqu'à redevenir propre.

— Allez, Allez putain !

Pleure, misérable. On ne sait même pas si t'es encore là Dundee.

— J'vous hais, je hais cette ville, je hais ces gens, putain de tarer.

Frotte, frotte encore. C'est peut-être ce jour-là qu'on a vraiment commencé à boire.

Jet glacé, bondit sous l'eau alors qu'un flot d'insultes franchit le bord de nos lèvres. Acide. Haineux. Presque le regard de la bête alors qu'on te repousse sans ménagement, hurle encore.

— MAIS PUTAIN T'ES TARE !

Mais on ne t'apprend rien, n'est-ce pas ? Mais on n'a pas envie de t’entendre, débité tes leçons, débitées tes sagesses, ce qui arrive au corps après la morte putain mais on le sait Dundee. On a encore un peu de chair étrangère sur la jointure de nos poings, qu'est-ce que t'aurais voulu qu'on fasse ? Qu'on te regarde manger en plus ? Sacraliser le sang, y a que des fous pour faire ça. Des fous, tout ce que vous êtes, tout ce que vous serez jamais. Mouvement de recul quand on beugle de nouveau.

— J'AI LE DROIT DE RÉAGIR COMME JE VEUX SOMBRE CONNARD. À fleurs de peau. Qu'est-ce que tu t'imaginais Dundee ? Que j'allais jubiler ? Prendre ma douche en sifflant ? Tu me demandes de me vanter d'avoir tué ? D'en être fier ? D'en être digne peut-être ? Mais putain y a rien de digne dans tout ça ! C'était sale, c'était répugnant et oui, oui je suis dégoutté Dundee et alors ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? Garde ta moral pour toi et laisse moi m'arracher la peau.

Torse qui se soulève sous le flot des émotions, tire le rideau de douche d'un geste sec, revient frotter avec énergie la moindre parcelle de notre peau, quitte à ce qu'on s'en fasse saigner qu'est-ce qu'on s'en fou.

— Barre-toi de chez moi.

Demande que tu fais, faveur qu'on veut que tu nous accordes.