Ses talons claquent sur le parquet lustré du Moulin Rouge, de l'ancienne maison. Elle se souvient de tout, chaque pièce, chaque détail, de ce petit accroc discret sur le tapis de la chambre numéro 4 à la tâche de café qui a marqué le bois du bureau deux pièces plus loin. Elle se souvient, Benvolio. Probablement la prison la plus douce qu'elle n'est jamais connue, probablement le foyer le plus doux qu'une esclave puisse rêver. Pas de coup. Pas de fouet. Pas de marques humiliantes dont le maître se vante pour montrer au combien il est fort. Non, avec toi, c'était autrement. Une forme d'esclavagisme doux et tendre. Arrivée en lambeau dans ton antre pour en sortir libre, conquérante. Revenue souvent depuis puisque l'attache à ce lieu et à son personnel reste grand et qu'il y avait une forme de revanche délicieuse à pouvoir devenir ces clients qu'on observait avec fascination et dégoût.
Mais elle jurerait, Romane, que depuis son départ, tu as changé, toi. Dans tes sourires elle ne retrouve plus la tendresse d'autrefois, dans ta voix elle n'entend plus la chaleur rassurante et sincère d'avant. Mélange de frustration, d’inquiétude et de déception. Tu as dit vouloir notre bien et prendre soin de nous, Benvolio alors pourquoi ces mensonges ? Que Sa Majesté nous offre le cadeau ultime aurait dû te réjouir, te rendre fier et pourtant... Elle ne comprend pas Romane, si c'est elle qui tu aimais ou si c'était la personne à sauver qu'elle était. Pourtant, elle n'a pas tant changé. À peine sortie d'ici qu'elle était revenue. Femme libre, avide de vivre, mais perdue. À recouru à tes services parce qu'elle ne se voyait pas demander à quelqu'un d'autre d'imprimer sa liberté jusqu'au bout de ses ongles. Ce n'est pas comme-ci elle était partie, ce n'est pas comme-ci elle avait changé. Le rouge de ses lèvres, les tenues exubérantes, le sourire fier, tout ça n'avait pas changé les peurs profondes, la crainte de la violence, de la domination. Ces mêmes craintes qu'elle avait exprimées tant de fois en pleurs dans ton bureau. Persuadée que parce qu'elle avait cassé un verre, tu allais la battre, la déformer, comme tant d'autres l'avaient fait avec toi. Jalouse, Romane, de ne plus avoir le droit à cette même tendresse alors qu'elle te reste fidèle malgré le fait qu'on loge à la cour de Juliette, maintenant. Elle voudrait savoir pourquoi. Elle va d'ailleurs directement aller te le demander.
Passe la porte de ton bureau sans frapper. Sa robe noire, légère, vaporeuse, sa crinière rouge cascadant sur ses épaules. Elle s'est faite belle à en mourir pour toi, Benvolio. L'incompréhension et la frustration de ne plus être cette princesse. Le désir de le redevenir, parce qu'elle est comme ça, Romane. Elle a pour défaut de ne pas savoir tourner la page.
«
Je voulais te rendre visite, je ne te dérange pas ? »