Il suit la ligne de son cou jusqu’à sa clavicule, contemple la finesse de la peau, le sang qui pulse en-dessous. Prostré près d’un mur, guettant les humeurs de son hôte pour mieux pouvoir s’y adapter, il se veut être un portrait de confort maniéré. Sa méfiance se dissimule dans les contours d’un sourire travaillé, habitué, qu’il tend dans l’intention de simuler, d’établir, l’ébauche d’une familiarité. Ce n’est pas la première fois qu’il se trouve ici, contre ce même bout de mur, et ce ne sera pas la dernière (sauf si Darya décide de le manger).

À sa main, il tient une tasse provenant de sa propre collection remplie d’un thé – fleur d’oranger, girofle et zeste de citron – émanant directement du palais de Marmoreal. Il en a offert à son hôte à son arrivée, s’inclinant bien bas, presque moqueur, désireux de l’amuser (il lui a promis une histoire ou deux pour le goûter). Toujours, il la régale de thé, préférant ne consommer aucune denrée dont il ne connait pas les origines exactes, terrifié à l’idée d’être empoisonné. S’agit d’une ironie dont il ne parvient à se lasser.  

Une visite de courtoisie l’amène dans les tréfonds d’Halloween Town. Un désir d’échanger, d’entendre que ce que les ombres savent chuchoter, de sourire, de tendre les doigts et de tester des nouveautés. Darya est ce point de ravitaillement qu’il apprécie pour ce qu’il peut en tirer (de l’information, des idées, des possibilités). Il apprécie les intérêts communs qui les lient malgré les différences de leurs méthodes et se complait toujours à essayer de la convaincre d’adopter ses dessins. Encore aujourd’hui, il est venu tirailler les fils de la toile dans laquelle elle se tient.

Son œil lorgne une seconde l’une des nombreuses dames huit pattes ayant élu domicile chez son hôte avant de distiller, d’un mouvement minutieux, trois fioles scintillantes de liquides colorés sur la surface la plus dégagée qu’il trouve. Il désigne à Darya (théâtral juste pour le plaisir des yeux) des concoctions à base des plantes et des fongus de l’Ailleurs, luisantes de mystères. Il a réalisé quelques tests – prometteurs – sur des animaux et apprécierait passer au niveau supérieur de sa recherche.

« Crois-tu qu’il serait possible d’ajouter le contenu de l’une de ces fioles à a ta prochaine confection de poudre et de m’en reléguer les effets ? »

Il lui sourit, laisse ses paroles infuser l’air à la manière de feuilles de thé dans l’eau. Bien entendu, il convient que de trafiquer la production de poudre peut s’avérer une activité risquée, mais qui ne tente rien n’a rien. Azazel, toujours, se sait prêt à tenter, prêt à essuyer les éventuelles conséquences de ses actes.

« Bien sûr, je n’ai aucune opposition à ce que tu testes la fiole de ton choix si ma proposition ne te convient pas. J’ai davantage foi en ton jugement qu’en des observations empiriques basées sur les comportements de tes – très particuliers –  (parce que tout les gens qui ingèrent de la poudre le sont)  clients. », ajoute-t-il, candide, faisant mine d’humer son thé pensivement. Nul doute qu’elle n’est pas dupe, que ses imitations d’innocence servent à l’agrémentation de l’atmosphère. Il préférerait nettement qu’elle accepte, qu’elle teste ses confections sur elle-même maintenant. Il pourrait observer, annoter, provoquer.

« Dans tous les cas, je suis prêt à payer. »

Il sent le mouvement d’un serpent (Maurice peut-être ? son préféré) déplacer le textile de son pantalon au niveau de sa cheville.

« Désagréable ? Tout dépend du point de vue. Il s’adonne que du mien, ce genre d’idée ressemble à une opportunité fortuite qu’il serait déplorable d’ignorer. Ne m’en veut pas d’essayer. », est la réponse qu’il sert à Darya lorsqu’elle annonce son opposition d’une question qui n’a pour effet que celui de lui arracher un sourire qu’il veut bienséant, convenable (mais qui n’est que cette dague supplémentaire à son arsenal).

Il soupire dramatiquement (pour la forme, pour le théâtre, joueur renard), mais finit par opiner d’un geste vif qui se veut chargé de (faux) caprice.

« Mais je suppose que la notion de la fureur d’Haunting est un argument de poids. Quelle horrible perte que représenterait ta crucifixion. »

Il l’imagine une seconde; symbole écartelé au nom d’un dogme qu’il ne souhaite même pas prétendre comprendre. Cela dit, il convient que la perte de Darya serait une bien triste affaire, une éventualité à éviter. Azazel rechigne à l’idée de se séparer d’une source de savoir telle que Darya. Dame araignée se distingue parmi les foules qui arpentent Wonderland (sans pourtant être une aberration réincarnée).  Suffisamment précieuse pour ne pas être mise en échec. Il fait donc son deuil (mais pas tout à fait) de la poudre embaumée de ses créations, place l’idée dans une boîte qu’il se promet de reconsidérer plus tard.

Adaptabilité, Azazel.  

Adaptabilité limitée, cela dit, parce qu’il lui apparait impossible d’acquiescer aux conventions scientifiques de Darya. Les bénéfices rattachés à un auto-empoisonnement sont moindres, si bien qu’il dédaigne (depuis des années) l’idée de s’y risquer. S’agit d’un débat récurrent entre eux, un sujet qu’ils n’ont, nul doute, pas encore épuisé.

« Malheureusement, en tant que conseiller à la cour, je ne peux prendre le risque de tester mes fabrications sur moi-même. Être hors-service n’est, tu le comprendras, pas une option. Un peu comme il n’est pas une option pour toi de trafiquer la poudre. »

Maurice s’enroule autour de sa cheville et, malgré son appréciation du reptile (qu’on ne sous-estime jamais), Azazel craint une morsure, un empoisonnement, qui le fait presque ciller nerveusement. Il se raidit, imperceptiblement, puis arque un sourcil (imitation), sourit. La conversation, l’échange, se poursuit.

« Moi qui croyait que ta folie s’agençait au risque, que tes talents te permettaient de reconnaître les miens. Toi qui m’a apporté tant de connaissances, douterais-tu de ta propre expertise ? »

Il abandonne sa pique dans une gorgée de thé qui le laisse considérer les déplacements de l’araignée jusqu’à lui (indéniable prestance, impérieuse reine de son domaine).
 
« Jamais je ne te demanderais de tester quelque chose susceptible de te tuer. », ajoute-t-il, Azazel, alors qu’elle arrive à sa hauteur, qu’elle déplace son poignet pour mieux considérer ses concoctions. ( s’agit d’un mensonge, la vérité étant qu’il préférerait éviter les conséquences fâcheuses, mais qu’il ne connait point l’abstinence et que ses limites s’égarent au cœur de ses moralités douteuses).

« Dernières créations. », corrige-t-il fermement (en retenant les intonations acerbes, en les cachant dans son thé). Il lui pointe ce qui crée des hallucinations, ce qui cause une douleur lancinante et ce qui paralyse. Il lui pointe, avec un brin de fierté qui lui fait bomber le torse (une seconde d’honnêteté dans la cohue des faux-semblants).

« Des rats, des chats. », ronronne-t-il en se rappelant les tests, les résultats, les nuits passés à noircir des pages d’observation. « Tu ferais un bien meilleur sujet, mais bon. »

Il incline la tête, démontant son intention de ne plus insister. Son regard guette Maurice qui a rejoint sa maitresse et qui, dans l’antre de la bête, est cette menace qu’il refuse d’oublier.

Il marque une pause.

« Imagine-les, nos cobayes, disposés autour d’une table ronde, à attendre que nous leur administrions nos créations. C’est à s’en demander quels habitants de Wonderland pourraient disparaitre sans que ne soit posée la moindre question. »

Divine même crucifiée. Azazel considère ces mots (et leur arrogance appréciable) et suppose qu’il s’agit d’une vérité pouvant s’appliquer à bon nombre des têtes d’affiche de Wonderland. Ses pensées divergent momentanément dans la direction d’Opal et de toutes les créatures éternelles (monstres) qui paradent au travers des villes sans jamais s’éteindre. Crucifiés, elles auraient le mérite d’être immobile. L’immobilité est une forme de mort, même s’il doit admettre (ne serait-ce qu’à lui-même) qu’il ne s’agit pas de la forme qu’il préconiserait pour les réincarnés.

Il se dit, toutefois, détaillant encore Darya du regard, que certains individus conviennent mieux à la vie. Nombreuses sont les choses qui grandissent dans les ténèbres et qui éblouissent, qui surprennent. Les araignées qui tissent leur toile à même les recoins sombre sont une preuve simple, naturelle, de l’ingénuité de ce qui émane des ombres.

« Moins que sa sœur du royaume de Crims, cela est certain. », répond-t-il lorsque l’on adresse l’existence d’Eldeweiss, parce qu’il a depuis longtemps décidé que toutes les réincarnations ne sont pas égales et que la reine malgré ses fautes, compte certainement parmi celles qu’il se surprend parfois à apprécier. « J’ose espérer, cela dit, qu’elle valorise davantage mes utilités plutôt que mes apparats sociaux. »

Il se doute qu’Eldeweiss sait voir au-delà de ses grands airs et que cela compte parmi les raisons pour lesquelles elle choisit de le garder près d’elle.

Le doute est sain, pourtant, a-t-il donc envie de rétorquer à Darya, pour le simple plaisir de débattre, de heurter. Peu friand à considérer son arrogance comme une bévue au vu de ses capacités, rare sont les choses étant plus utiles qu’une part de doute (contredis-toi renard). Il se ravise, cela dit, et incline la posément la tête. Là où un débat l’amuserait fort bien, loin de lui l’envie d’énerver (d’antagoniser) l’araignée. Il opte pour d’autres paroles, plus flatteuses, différemment vraies.

« Loin de moi l’idée de te considérer naïve. Comme préalablement mentionné, cela dit, ta mort serait une terrible perte peu importe la forme; crucifiée ou empoisonnée. »

Elle embrasse son acolyte, Maurice, et Azazel suit le mouvement de ses lèvres, de  son sourire à défaut de contempler la démarche qui la porte jusqu’à lui. Ses doigts, lorsqu’elle le touche, se tâchent au contact des mèches rousses (damnée couleur) et les lèvres qu’il toisait sont soudainement à portée. Il inspire et pousse le vice, laisse leurs souffles s’emmêler sans risquer un toucher (qui sait si ses lèvres ne sont pas enduites de poison). Puis elle s’écarte, soupirant des confessions criminelles à son oreille.

Il les lui rend bien.

« Vu comme elles sont traquées, je ne me hâterais pas de me joindre à la chasse. Trop risqué. », susurre-t-il, cherchant à manœuvrer la toile dans laquelle on essaye de l’attirer. « Les orphelins, cela dit. Esclaves à Crims. Des accidents sont si vite arrivés, des amis sont vites oubliés. »

Une suggestion s’impose et il récupère ses fioles, les range dans les pans de sa veste et considère son homologue, une lueur dynamique (orange) miroitant près de ses pupilles.

« Et si nous partions à la chasse ? Qu’en dis-tu chère amie; un jeu dans lequelle nous établissons le profil d’un ou plusieurs cobayes ? »