C'est qu'il avait le moral bien bas, Elias
C'est qu'il était en colère, Elias
colère sourde qui ne se manifeste pas, tapie dans l'ombre mais qui se devine dans ses gestes, dans ses paroles et dans son regard inhabituellement embrasé
colère contre Balthazar
colère contre son tortionnaire
colère contre le monde entier
colère contre lui-même, surtout
qu'il s'en veut, Elias, de ne pas avoir été là au bon moment
qu'il s'en veut, Elias, d'avoir failli à son devoir

Il avait suffit, tu sais, d'une mission ailleurs, d'une courte inattention, d'un clignement d’œil
et voilà que le chien de la reine, d'abord envolé, est retrouvé en bien piteux état
il a envie de faire payer à bien des gens, tu sais ─ tout le monde, en vérité
mais surtout à lui-même
impardonnable incompétence, c'est qu'on s'en veut, finalement, bien plus qu'on en veut à autrui
qui qu'il soit, l'agresseur de ce satané animal ferait bien de craindre la colère du chasseur
(c'est qu'il déteste qu'on le ridiculise, vois-tu)

Il arrive, finalement, comme tu l'a demandé ─ sait déjà ce qui l'attend, et c'est peut-être ce point-là, finalement, qui lui fait le plus mal
ne pas avoir été à la hauteur quand on te l'avait promis
briser une promesse qu'on avait prononcé avec tant de ferveur
on a l'impression de t'avoir trahi et ça fait
mal
si mal
ça lui broie le cœur lui tord les tripes hante son âme
ah ! c'est insupportable, ça fait bien plus mal que ce qu'il ne veut bien penser
pourquoi ?

C'est face à tes foudres qu'il se trouve, dans cette pièce ravagée par ta colère ─ c'est à peine s'il prête attention au désordre ambiant, reflet de tes états d'âmes
Et les mots qui tombent, tranchants et douloureux
Vous m'avez déçu
comme une sentence, comme un châtiment, c'est qu'il ne peut soutenir ton regard, ni te faire face, à vrai dire
(c'était bien plus douloureux quand c'était toi qui assenait ce constat que quand c'était lui qui le posait à lui-même)

▬ Je sais, votre Majesté.

Ne s'excuse pas, ne le peut ─ qu'est-ce qu'il pourrait te dire, de toute façon ? Il n'échappera pas à ton courroux, il le sait très bien
(ne veut pas y échapper, n'en a pas le droit)
Il n'a rien à dire pour sa défense, tu sais, rien qui pourrait le sortir de là

▬ J'ai commis un manquement impardonnable à mon devoir.

Avait l'horrible impression de t'avoir trahi, toi et la confiance que tu lui avait donnée
(n'en était plus digne, il le sait)
Alors sans rien dire, le cœur battant, il attend la sentence ─ quelle qu'elle soit, il l'acceptera

Elias attend la sanction ─ sent la rage qui émane de toi, qui vient teinter l'ambiance de ses couleurs écarlates
Et c'est sa joue, aussi, qui le devient lorsque la gifle retentit ; surpris, il se laisse faire, n'esquisse le moindre geste ─ c'est qu'il s'attendait à bien des choses, Elias, bien des choses affreuses et méritées, mais sûrement pas à
ça

Le silence se fait verbe des incompréhensions
(des tiennes comme des siennes)
Et il ose, enfin, tourner le regard, le poser sur ton visage
noyé sous des larmes étrangères
A peine son nom prononcé que le voilà contre le mur à subir les assauts d'une reine éplorée
Ne rend aucun coup, Elias, te laisse exprimer ta frustration et n'ose t'arrêter

Et il ne sait, Elias, non plus, ce qu'il doit penser de cette image nouvelle que tu le force à contempler
Il ne sait pas comment, réagir, mais il sait qu'il doit faire quelque chose
dire quelque chose, peut-être
mais quoi ?
Tu lui offrais une facette à laquelle jamais il n'aurait pensé faire face un jour, à laquelle, sûrement, il n'aurait jamais dû être confronté
de la déesse toute puissante ne restait maintenant qu'une enfant fragile et esseulée
Quand tout s'arrête, quand ne reste plus que la tristesse dénuée de toute colère, il ose, Elias, poser l'une de ses mains sur ta joue et passer maladroitement un doigt sous tes yeux dans une vaine tentative de tarir ces larmes qui ne cessent de couler

▬ Vous pleurez, votre Majesté dit en un souffle, comme par peur de briser quelque chose

Et il déteste, Elias, te voir dans cet état
déteste, Elias, cette vision que tu lui offres
déteste, Elias, ces sentiments qui s'embrouillent en lui
déteste, Elias, ne pas savoir ce que tu es à ses yeux
déteste, Elias, cette vérité qui émerge peu à peu depuis quelques temps à laquelle il se refuse de croire
par fierté
par peur surtout
peur de bien des choses, mais surtout quelque chose, lointain, avertissement sonnant comme funeste qu'il ne parvient à comprendre
(réminiscences d'une vie effacée)

Il ne se rend compte que trop tard de son geste et reste là, sa main sur ta joue, ne sachant que faire pour rattraper son geste déplacé
(de quel droit se permettait-il d'être aussi familier face à sa supérieure, face à la Reine en personne ?)

▬ V... Veuillez excuser mon geste déplacé, s'excuse-t-il en retirant sa main, je... je quoi ? Désolé.

Embarrassé, n'ose pas te regarder dans les yeux et s'empourpre encore ─ passe nerveusement la main fautive dans ses cheveux comme en tentative futile d'effacer son geste

Tu saisis sa main et la repose sur ta joue ─ est surpris, il est vrai, mais ne résiste pas et te laisse faire, trouve tout de même le contact bien doux
et comme tu l'ordonnes il continue, te caresse tendrement la joue, laisse sa main effleurer tes cheveux
il est embarrassé, c’est vrai, d'un tel geste mais en même temps...
il ne sait pas
et quand ton visage s'approche ah ! qu'il est tenté, tu sais, de poser ses lèvres sur les tiennes
mais bien vite chasse cette pensée incorrecte, inadmissible, contre toutes les règles de bienséance ─ non, il ne peut se permettre de tels écarts, il était déjà allé bien trop loin
(et pourtant quelque part au fond de lui il le sent, ce cœur qui s'emballe, les émotions confuses qui s'emmêlent encore et encore)

▬ Ça ne... vous gêne pas...?

Il se sent idiot, après coup ─ bien sûr que ça ne te gênait pas, tu en avais redemandé
Et il commence à comprendre, Elias, pourquoi il se sent aussi bien avec toi
pourquoi son être entier perdait sa froideur habituelle pour laisser place à une chaleur étrange, mais pourtant si douce, si agréable ; si familière, aussi, mais il ne parvient à dire où il avait ressenti de telles choses auparavant
(sûrement pas ici, selon sa mémoire traîtresse)

▬ Je... Mes plus plates excuses pour vous avoir fait pleuré, votre Majesté.

C'était impardonnable, indigne, mais il n'arrive pas à l'exprimer pleinement ─ mais ça se lit dans ses yeux
Et il commence à comprendre, Elias, ce que tu étais réellement à ses yeux
que tu n'es pas seulement la Reine qu'il sert
mais peut-être bien plus
il ne sait, Elias, si c'est vraiment ça, ou qu'il se fait des idées
(espère qu'il se fait des idées)
se demande, Elias, s'il ne confond pas simplement ça et une dévotion anormalement exacerbée
oui, c'est ça, ça doit l'être, pas vrai ?
Il ne sait pas, il s'embrouille encore plus dans ses élucubrations insensées ─ ah ! pensées traîtresses ! qu'il les déteste, qu'il hait s'égarer ainsi
Juliette, par quelle sorcellerie le met-tu dans cet état ?

Ton doigt lui intime de se taire et peu à peu ton visage se rapproche ─ il sent son cœur s'accélérer soudain, Elias ; n'est pas dupe quant à ton prochain geste, ne peut s'empêcher de l'espérer alors qu'il est si invraisemblable, tel un rêve, espoir ténu  renforcé par ton hésitation, auquel pourtant il ne peut s'empêcher de s'accrocher
(non, c'est n'importe quoi, tu ne te permettra pas, pas vrai ?)

Et pourtant tu le fait, à sa grande
(joie)
surprise
Il se laisse faire, Elias, savoure ce contact inespéré ─ et face aux sentiments qui bouillent en lui est bien obligé d'enfin reconnaître ce qu'il ressentait pour toi
(mais a encore bien des scrupules à ne serait-ce que penser le mot, pourtant si simple, qui caractérise ces attirances si singulières, qui se fiche bien des conventions sociales et qui frappe sans jamais prévenir selon une logique connue de lui seul)

Tu rompt finalement le contact et lui reste figé, te regardant, n'osant encore y croire, à ce baiser ; ne sachant encore que faire, et ton ordre
(son désir)
ne se fait pas attendre ; attrape doucement ton visage de sa main pendant que la tienne vient caresser son cou
(frissonne malgré lui)
l'approche du sien et voilà que ses lèvres rencontrent à nouveau les tiennes ─ ferme les yeux pour s'imprégner du moment, n'a que faire, maintenant, de son environnement
(de vos conditions
de la raison première de sa présence ici
de vos statuts respectifs
de tout)
seul compte le moment présent
(ah ! qu'il est doux, qu'il est divin
et pourtant en lui quelque chose s'alarme, prend peur)

Il s'écarte finalement à regret après une éternité dans des rêves éveillés et plonge ses yeux dans les tiens, sans rien dire, ne pouvant briser le silence ─ ayant enfin compris ce qui le liait à toi, ces choses qu'il ne comprenait pas
(n'arrive à faire taire cette voix craintive en lui datant d'une époque révolue dont il ne se souvenait même plus)

C'est qu'ils avaient l'air idiots, à se regarder ainsi, attendant une révélation, sûrement, ou un autre événement, il ne saurait dire
Les sentiments qui se bousculent et qui s'emballent comme ce cœur aux abois et cette âme qui ne cesse de lui envoyer des messages contradictoires, cet inconscient qui lui hurle des avertissements assourdissants qu'il a bien du mal à saisir
(puzzle aux pièces manquantes perdues à jamais)
ah ! qu'il souhaiterait les faire taire, toutes ces choses qui rendent les choses bien plus compliquées qu'elles ne le sont, et pourtant...

Il ne sait plus, Elias, ce qu'il doit penser, ce qu'il doit faire, depuis bien longtemps
(a cessé d'y réfléchir par peur, sûrement, de se perdre encore plus)
Tu saisis sa main et la dépose sur ta taille, lui vient, en gestes qu'il ne contrôle plus, enrouler le bras et te serrer un peu plus contre lui
Il a cessé de se demander ce qu'il faisait, Elias, à partir du moment où vous vous étiez embrassés
Il sait très bien, aussi, que jamais il n'aurait du faire ça ─ aussi bien par bienséance que par principe ; car il sait très bien, Elias, qu'il était en train de franchir une limite, une ligne rouge de laquelle il aurait du toujours se tenir éloigné
(et pourtant le voilà à deux doigts d'aller encore plus loin et d'aller droit vers le point de non-retour)

Pardonnez-moi
C'est qu'on te pardonnera tout, tu sais
de tes caprices à tes colères, de tes désirs à tes pleurs
c'est qu'avec toi, on devient aveugle, c'est qu'avec toi, toutes les murailles qu'on avait érigées, plus ou moins consciemment, s'effondrent en un fracas amoureux
On te pardonnera tes emportements, on te pardonnera tes baisers interdits, on te pardonnera tes crimes, on te pardonnera tes crises, on te pardonnera tes failles
On te pardonnera tout et n'importe quoi, même le plus abjecte des actes
on trouvera une excuse à tous tes gestes et à tous tes dires, même les plus infâmes

Tes doigts dans ses cheveux, qui finalement les empoignent et revoilà tes lèvres sur les siennes en un baiser bien plus passionné, bien plus ardent
(étincelle qui vient embraser son être et faire exploser les sentiments)
le voilà à son tour qui passe sa main derrière ton crâne et qui te rend tes ardeurs
(sens-tu, toi aussi, à quel point il
t'aime
tient à toi ?)
te serre un peu plus dans ses bras, comme par peur que tu t'évapores
(toi et le rêve qu'il vit)
l'esprit déchiré entre passion et raison
(c'est que les deux n'ont jamais fait bon ménage)
le cœur et le corps qui ne désirent plus toi
l'esprit qui hurle de ne pas aller plus loin
Confus, perdu, ne sait plus qui écouter
alors doucement il se détache de toi, souffle court, l'une de ses mains toujours sur ta joue

▬ Je... Est-ce vraiment raisonnable, ce que... nous faisons...? chuchoté, craintif

Non, ça ne l'était pas, il le savait très bien
(encore moins acceptable)
il cherche juste, dans tes paroles, un réconfort, quelque chose qui pardonne la folie qui emporte ses sens et sa raison
et il espère, Juliette, que tes mots calmeront ces émotions qui s'agitent en lui en tourbillons confus, qu'ils arrêtent enfin ce vertige qui le consume un peu plus à chaque seconde qui file

Je ne sais pas
Il aurait préféré que tu saches, que tu lui donne des ordres comme tu avais toujours su le faire
tes mots ne parviennent à le calmer et le voilà encore plus confus qu'au début
alors vous restez là, à ne pas savoir quoi faire

Le cœur lui hurle de continuer, l'esprit le supplie d'arrêter avant qu'il ne soit trop tard
il ne sait toujours pas qui écouter
c'est douloureux de se sentir se déchirer de l'intérieur
(pourquoi avait-il fallu que les sentiments finissent par s'en mêler (s'emmêler) ?)
alors comme pour trouver un compromis, il ose déposer ses lèvres sur les tiennes, encore, comme pour goûter une dernière fois à ce plaisir interdit ─ se laisse le temps, une dernière fois, de les savourer, avant de s'en détacher à regret

▬ Je... ne sais pas... enfin... je... pense qu'il est préférable... que personne ne sache... que...

qu'on se soit embrassés ?
qu'on a bravé les interdits ?
qu'on s'aime ?
il ne sait pas comment terminer sa phrase, Elias, alors il la laisse en suspens pour que tu puisses la compléter
(car, peut-être, que toi tu réussira à mettre les bons mots)
t'enlace et te blottit contre lui, laisse une pause avant de dire

▬ Je... je suis désolé.

Et encore il détourne le regard, essaie de calmer son cœur qui bat bien trop fort
il est désolé de tellement de choses, Elias, à commencer par ce qu'il venait de se passer
car il savait très bien que ce genre d’interaction ne sont jamais censées se produire
(et pourtant il recommencerait volontiers s'il en avait la possibilité)

C'est vrai, Juliette, rien ne dois sortir d'ici, personne ne doit savoir, si ce n'est eux ─ la pièce et le silence seront le tombeau de ce secret ô combien terrible, inavouable et interdit
(et pourtant on ne peut s'en empêcher de goûter aux fruits défendus tant ils sont tentants dans leur danger)

Ce n'est pas votre faute
Ces quelques mots qui, quelque part, apaisent un peu sa conscience, un peu sa raison, mais il y a toujours ce sentiment au fond de lui, mélange de peur et d'urgence, qu'il ne parvient décidément pas à comprendre ─ mais qu'importe ces avertissements aux mélodies étrangement familières, il veut juste être là, avec toi, même s'il ne le formule pas

Il te laisse déposer encore un baiser sur ses lèvres, et à tes paroles son cœur loupe un battement : tes désirs se mêlaient aux siens en une harmonie si parfaite qu'elle lui semblait quelque peu irréaliste, comme appartenant à un doux rêve.
Il se rend compte, Elias, que c'était bien la première fois que vous étiez aussi bien accordés dans vos volonté
(qu'il avait lui-même une volonté, peut-être)
Lui non plus, ne veut pas que ça s'arrête, il veut continuer ; au diable la raison, au diable la bienséance, qui, après tout, était là pour les observer ?

Sans attendre ses lèvres viennent encore rencontrer les tiennes, mais cette fois dans une passion libérée de tout scrupule ; il te serre plus fort contre lui, un bras passant autour de ta taille tel un serpent pour que plus jamais tu ne t'échappes, une autre dans les cheveux, qui glisse jusqu'à ta queue de cheval

▬ Moi non plus, je... ne veux pas vous quitter, souffle-t-il entre deux baisers sans réellement y penser
(mais pensait-il à quelque chose, depuis le début de cet échange amoureux ?)

Elle est dans le chemin, cette queue de cheval, alors sans vraiment réfléchir il prend l'élastique qui retient tes cheveux et tire dessus pour le retirer et enfin pouvoir passer librement sa main dans tes cheveux, sans obstacle. Il se détache ensuite quelques instants de tes lèvres, murmurant

▬ Votre Majesté, je... je t'aime, ne m'abandonne pas mais les mots refusent de franchir ce déni qui continue de semer le trouble dans son esprit, alors ... non, rien.

Et il repart passionnément à l'assaut de tes lèvres pour t'empêcher de répondre ; la main descend le long du visage et vient se glisser sur la nuque ─ ah ! qu'il aimerait que cet instant dure pour l'éternité