La journée avait été longue. Longue et fastidieuse. Non seulement le trajet jusqu'à Crims t'avait déjà épuisé, mais t'avais aussi dû refaire un passage par Neverland qui n'était pas au programme. Les livraisons du jour précédents avaient prit du retard avec ton passage par la case prison . Ca faisait longtemps que t'avais pas merdé comme ça, et tu n'en appréciais guère les conséquences. Tu te serais bien passé d'avoir une dette envers Alastor, et encore plus de la rencontre avec Theodosius.

En sommes, t'avais plus que besoin d'un verre. Et si t'avais pas eu peur de te re-vomir dessus, t'aurais peut-être même poussé aussi loin que de donner une seconde chance à la poudre magique. Mais t'étais pas d'humeur à essuyer les dégâts si l'expérience donnait les même résultats que la première fois, alors aussi tôt ton tour terminé, tu avais suivi le chemin si familier qui menait au casino des menteurs. Et avant d'entrer, tu écrases cette énième cigarette de la journée, qui n'a, pas plus que les autres, réussi à te calmer les nerfs.

Le bruit assourdissant des machines à sous, l'écho des conversations qui résonne contre les murs du hall, l'odeur des émanations alcoolisées font un meilleur travail. On dit que les odeurs portent bien les souvenirs, et le bar fait revivre en ta mémoire des moments qui savent te relaxer. Le cocktail à base d'aquavit, de citron vert et de prosecco dans tes mains, tu l'espérais, achèverais ta mauvaise humeur.

La voix de Judas, elle, va même jusqu'à t'arracher un sourire. Discret, entre tes mèches détachées qui encadre ton visage, mais un sourire quand même, et tu ne pensais pas en sentir un sur tes lèvres aujourd'hui.  Tes hanches se glissent habilement entre la table et la chaise adjacente, et tu t'installes à cet emplacement que tu connais si bien à présent.

Mais si ce n'est pas mon chefton préféré.

Le sac de livraison viens se poser à tes pieds, quand tu te demandes si le bras droit du groupe a eu écho de tes petites mésaventures. Tu hésites un instant, te demandant si l'histoire le ferait rire ou souffler. Avec le nombre de fois où vous vous étiez doucement moqué des gaffe de vos collègues, tu pencherais plutôt pour la seconde option. Restes à savoir si tu seras assez sage après quelques verre pour ne pas tester la théorie.

Tu l'as dit. J'ai cru qu'elle n'en finirait jamais.

La coupe repose quelques secondes sur tes lèvres, le temps que le liquide verdâtre réchauffe ta trachée. Tu attendais cet instant depuis bien trop longtemps aujourd'hui. Si ça ne tenais qu'à toi, t'aurais probablement descendu ta première bouteille au petit déjeuner, mais tu avais trop de pain sur la planche et de problème à colmater pour te permettre une tournée ivre.

J'ai l'impression de faire le trajet jusqu'à Crims tous les deux jours. Si la Reine savais tout ce qui se consomme dans son palais, y aurait des têtes qui tomberaient.

Et accoudé au comptoir, tes doigts s'occupent en glissant sur le rebord de ta boisson tandis que tes prunelles se focalisent sur le rouquin. Autant le faire parler pour éviter d'avoir à en dire plus.

Et toi, cher Judas?  Qu'est ce que tu as besoin d'oublier, ce soir?

La proposition de Judas te fait lever les sourcils. T'es pas certain que des livreurs supplémentaires soient d'une quelconque utilité. Si c'était pour qu'ils se fassent attraper avec la marchandise sur le chemin de chez Absinthe et faire rattraper les pots cassés aux fabricants par derrière, tu préférais encore traverser tout Wonderland. Pire encore, tu aurais du mal à faire confiance au premier venu pour qu'il ne consomme pas un peu de poudre en chemin.

Te casse, je préfères autant m'en charger.

Ta conclusion s'accompagnes d'un levé de verre exaspéré, inspiré par l'idée que tu te fais des rapports d'une nouvelle brochette d'inopérants à ton service. Et tu ne peux qu'imaginer à quel point ton supérieur, qui y est bien plus confronté, s'en mordrait les doigts.  Le seul ton de sa réponse t'indique l'exaspération latente avec laquelle il travaille déjà. Les hauts gradés des Dark Shadows ont en grande majorité ce besoin chaotique et incontrôlable qui va mal de paire avec la rédaction de dossiers attendu par le roux, tu dois le reconnaître. Tu détestais toi-même avoir à te poser pour expliquer les enjeux et accidents, faire les comptes et détailler les transactions, mais ça faisait partie de l'intitulé du job, alors tu te pliais à l'exercice avec une diligence insoupçonnée.

Mais en particulier, cette fois, c'est une nouvelle disparition d'Alastor qu'il aborde. Et sa façon de t'interroger te fais sourire. Tu le vois arriver à des kilomètres. Judas à la pêche aux infos, nouvelle édition. Il serait mentir de dire que tu ne l'avais pas vu récemment, mais tu préférais garder les détails sous scellé pour ce soir. Tu étais là pour t'amuser, par pour te faire remonter les bretelle une fois de plus sur l'accident de la veille. Mais tu sais aussi que ton silence sera interprété de façon suspicieuse par le bras droit de l'organisation.

Oh, je l'ai croisé pas plus tard qu'hier. Il se portait comme un charme.

Tu pousses, Osvald. Sans en arriver à décrire la situation comme une merde sans nom, l'occasion était tout de même assez chaotique pour ne pas résumer ça de la sorte. Tu sais que tu ne fais que renforcer les doutes de ton interlocuteurs. Et peut-être que ça t'amuse. Peut-être que tu veux le mener sur la mauvaise piste, un instant. Pour lui apprendre que la prochaine fois qu'il a des choses à demander, il ferait mieux d'y aller franchement. Et de donner, lui aussi, quelque chose qui t'intéresse.

Il avait presque l'air content de me voir, et en ce qui me concerne, je dirais qu'on a passé un bon moment. Mais je ne pourrais pas te dire où il est parti depuis. J'avais mes petites affaires à régler.

Ton sourire te trahit, pourtant. Tu t'amuses trop, Oz, pour être prit au sérieux. Mais le sérieux n'est-il pas la spécialité de ton partenaire, ce soir?

Le rouquin ne manque pas tes petits arrangements avec la vérité, comme tu pouvais t'y attendre. Et tu imites son rictus amusé à sa dernière réflexion sur le sujet. Passant les mains entre tes mèches claires, tu conclus sur cette allusion que tu aurais préféré évité avec une dernière réflexion au ton évasif.

Tu liras le rapport bien assez tôt, de toute façon. Gardons l'énervement que ça te procurera pour une autre fois.

Et tu termine en amenant à nouveau la coupe à tes lèvres sans détacher ton regard du responsable de votre groupe, qui te propose de l'accompagner sur une bouteille. Evidemment, tu ne saurais refuser une telle proposition. Alors tu descends le reste de ton cocktail avec hâte, pour porter ton verre à présent vide à hauteur du visage de Judas.

Tu sais comment me parler.

L'alcool chauffe déjà ta trachée, affectant ta voix en la portant vers des graves un peu plus cassant. Ton esprit, lui, reste poutant tout aussi claire. L'habitude d'une consommation trop fréquente, et trop abondante.

Alors quand il lance la conversation, en attendant qu'on lui amène sa commande passée d'un simple signe de main, tu ne peux t'empêcher de te demander s'il y a un sens derrière sa question.

Je ne suis arrivé que quoi? Deux petites années avant que tu arrives à ton poste actuel. Enfin, pour ce que ça peut vouloir dire ici. Ca pourrait autant faire tout une vie avec les caprices de Time.

Faisant tourner ton verre vide par sa base entre ton pouce et ton indexe, tes prunelles dévies en direction des tables à proximité, pendant que tu compte machinalement les clients à proximité dans ta tête.

La routine de la vie dans les égouts fait facilement perdre pieds. En comparaison, j'ai l'impression que la décenie à gambader entre neverland et la jungle toxique est passé en un instant. Mais la sale gueule de Theodosius ne me manque pas.

Sourire crispé sur tes lèvres. Tu as eu l'occasion de constater à quel point tu vivais bien la distance avec le maire de la ville voisine lors de votre dernière rencontre houleuse. Et les marques de cette rencontre sur tes mains n'ont pas suffit à te défaire de la rancoeur que tu lui portais toujours.

Tu faisais quoi, toi, avant de nous pourchasser pour qu'on t'envoie ces putains de rapports au juste? Il en faut pour faire tomber un gars carré comme toi dans un secte, hm?

Le silence se prolonge, et il te sembles, dans la façon dont sa langué hésites à se délier, que tu as touché une corde sensible. Et il tu te dis que les raisons qui vous ont tous mené dans les rang  d'Alastor touchent, pour chacun d'entre vous, ce genre de chose qu'on hésite à partager. Qu'on soulève à peine quand on prétend se confier. Qu'on fait semblant d'avouer, dans un flou artistique qui n'a de sens qu'à nos yeux. Et tu reconnais dans les mots de Judas, dans son regard vaguement mélancolique, ce jeu auquel tu es le premier à jouer.

La bouteille passe entre tes doigts, dès que l'autre a terminé de se servir. Verre bien rempli, te sais que c'est une conversation qui se vivra mieux si on peut se conforter dans l'idée que la personne en face l'aura peut-être oubliée au petit matin.

Et parce que tu ne peux pas comprendre l'expérience de Judas. Tu ne te souviens pas des détails, parce que ton ancienne vie a définitivement disparu dans les abîmes de Wonderland, mais tu as cette vive image de libération qui reste si présente dans tes veines depuis que tu as mis les pieds au pays des Merveilles. Tu sais, ou crois savoir, que ta vie ici est meilleure qu'elle ne l'étais avant. Qu'au contraire, ces terres de folies t'ont tout donné, et qu'elles continue à te propulser plus haut, une journée monotone à la fois.

Et si le rôle d'Alastor est aussi significatif dans ce développement, tu n'arrives pas à le voir de la même façon que ton supérieur. Tu n'arrives pas à le voir comme autre chose qu'un obstacle sur le chemin que tu t'imagines tout tracé. Et tu sais que l'allégeance de cette personne dont la vision du monde est si complémentaire en ferra aussi, un jour, une personne que tu devras affronter pour arriver au bout de tes ambitions.

Pourtant, tu ne peux te résoudre à voir dans ces oppositions profondes de vos êtres une des bases les plus solides de votre amitié. A des années lumières, et pourtant, aux expériences bien trop similaires. A l'entourage étrangement compatible.

Tu vois, Judas, c'est ça que j'ai du mal à comprendre.

Le verre porté à tes lèvres se couvre d'une légère buée quand tu prend la parole, avant même de l'avoir reposé sur la table. Impatiente curiosité, sur des choses que tu sais te resterons étrangère, qu'importe à quel point le roux accepte de se confiner.

Pourquoi tu t'infliges nos conneries, quand tu pourrais faire tellement plus si tu décidais de la jouer solo?

Peut-être que ta question révélais un peu trop tes propres intentions révolutionnaires. Peut-être étais-ce aussi un moyen de le pousser à expliquer cette loyauté qui te dépasse, quand tu n'as toujours eu que tes propres intérêts en tête.

C'est comme gravé dans ta peau, hein? De plier le genoux pour un autre? Pas de critique, mais je me demandais juste si tu réalisais que peut-être qu'Alastor est celui qui devrait avoir une dette envers toi.

Nouvelle gorgée pour réchauffé ta gorge jamais  pleinement rassasiée de ce feu liquide, mais ton regard, déjà, est distrait pas l'affluence du casino. Etrange de voir avec quelle nonchalance, tu peux aborder un manque de fidélité déroutant pour un haut gradé d'un culte de la personne.

Il confie ses incertitudes. Les doutes sur ses capacités, qui te dépasse. Judas faisait de loin partie des plus capable de la secte, et pourtant, il était celui qui pensait ne pas s'en sortir sans les autres. Vide d'ambition et de désir. Ca te semble si étrange, que tu soupçonnerai presque de la malhonnêteté de sa part, si tu n'avais pas à tant d'occasion constaté sa loyauté sans faille.

Des missions pour le satisfaire sans jamais lui donner l'idée de voler de ses propres ailes, hein? Tu souris à cette phrase, descendant une nouvelle gorgée du liquide, te demandant si l'objectif est réellement atteint si le principal concerné en a conscience. Le verre reste entre tes doigts, sans retrouver la table, suivant le mouvement circulaire de ton poignet qui fait tourner les glaçon dans un cliquetis agaçant. Et ça t'intrigues, Oz, sa façon d'admirer l'indépendance des autres sans jamais la pourchasser à son tours.

Pour quelqu'un qui rejoint une secte par ennui, c'est une drôle de façon de couler ses jours.

Ton regard glisse sur les tables d'à côté, l'attention déviant toujours à droite à gauche au gré des conversations. Si ce n'étais pour cette légère inclinaison de tes lèvres, on te croirait ennuyé par la tournure de la conversation. T'es juste incapable de tenir en place, et c'est en effet toujours sur ce sujet que tu enchaîne.

J'espère que ça ne veut pas dire que tu risque de finir par t'ennuyer de nous, en continuant sur la même voix d'obéissance.

Tu devrais bien savoir que non. Judas a pourtant été claire, mais quelque chose te dérange, sans que tu n'arrives dans un premier temps, à mettre les mots dessus. Tu te demandes même si ce n'est pas ta naturel intrinsèquement ambitieuse qui refuse juste de voir quelqu'un renier avant tant de ferveur une ascension qui lui serait toute destinée. Puis ça t'apparaît, Oz, dans la détresse de tous ceux qui vous entourent, dans ce lieu où l'ont vient pour oublier ses problèmes. Ceux dont vous n'êtes pas différents, finalement.

Ou as-tu trouvé quelque chose de particulier en ton nouveau maître? Je dois avouer que je suis curieux, de la façon dont tu peux à la fois te sentir si épanoui et serein à ses ordres tout en noyant ... quoi même? dans tout cet alcool?

Le lien qu'il vous unit, celui dont il parle, tu comprends. Tu comprends, malgré la façon dont tu prétends toujours être si détaché de la secte. Ca fait trop longtemps pour ne pas avoir développé de l'attachement pour chacun des membres de l'organisation, à ta façon. Même Ace et sa naïveté terriblement agaçante par moment avait fini par attirer ta sympathie. Sourire vaguement nostalgique sur tes lèvres, tu t'amuses du rapport de Judas à vous autres bien plus chaotiques. Son ricanement précédemment le nouveau verre qu'il fait couler dans sa gorge, le mouvement de ses doigts quand il déboutonne sa chemise. C'est là que ça devient intéressant.

Ses mots qui tombent un peu trop près du cœur, quand il plaide pour la pure folie d'Alastor. Tu te sens concerné, par sa tirade, au fond. T'as jamais été le plus honnête des gars sur tes intentions. Le plus honnête des gars tout court, même. Yeux qui roulent inconfortablement vers le plafond, piochant dans tes souvenirs mensonges et manipulations que tu avais plus ou moins bien mise en place depuis ton arrivée à Wonderland. Occasion de fuir son regard interrogateur. Mais de ta bouche de sort qu'un long bruit d'hésitation, et une pleutre réaction.

Vu comme ça...

Gorgée de réconfort, pendant que Judas se perd dans son verre. Il parle beaucoup, ce soir, et tu prend soigneusement note de ses affectations.  Menton reposé sur un index intéressé, tu le regarde se perdre dans ses pensées à découvert avec une nouvelle vague de curiosité. Il restait passionnant de voir comment votre opposition totale, sur toutes les valeurs, toutes les craintes et toutes les affections qu'il avait cité, vous aviez pu arriver au même endroit.

Intéressant.

Sa haine viscérale de Wonderland, et toute l'énergie qu'il mettait pour le détruire, s'oubliant dans les caprices d'Alastor et les gaffe à rattraper du reste de la secte, elle te semble si étrange, pour un Alice. Pourtant, t'aurais dû comprend, Oz. T'as été de ceux qui ont de suite voulu raser leur vie d'avant, vouloir appartenir à ce monde. T'as pas erré très longtemps, au fond, parce que la nouvelle chance que t'offrait cet endroit, c'était l'éternité loin, loin de celui que t'étais avant. T'avait rien à gagner à retourner d'où tu venais, parce que c'était ici chez toi. Parce que t'aimais cet endroit, mais pas ce qu'il était devenu.

La page blanche, ou presque. C'était ce que tu attendais du feu et du sang que semaient les Dark Shadows. Une pour tester autre chose, que tu ferais à nouveau cramer dès que tu t'en serai ennuyer. Tester toutes les déclinaisons possibles de ce monde qui compensait toutes ses limites terriblement brutales en n'en offrant aucune sur ce qu'il pourrait devenir.

Qu'est ce qu'il peut bien tant te faire peur au point de te pousser à rester si tu déteste tout ici? Qui soit plus difficile à réparer, que de foutre tout un monde à sac, je veux dire?

Recule pour t'adosser à la banquette, doigts qui se perdent sur les bouts de tes mèches aux couleur de celui que tu es devenu. Clochette. Entité qui t'avait laissé une très brève sensation d'amertume. Qui te fait te demander ce qu'il serait, Judas, s'il traînait ici trop longtemps. Qui s'acharne à prendre la forme d'un rouage pour un ensemble dont il ne fait pas partie. Qui tient tant à être cette petite pièce dans un grand tout. Insignifiante par elle-même, mais sans qui on n'obtiendrait jamais l'image entière. La satisfaction du travail fini.

Je ne suis pas là pour te pousser à la trahison, hein? Mais tu ressemble au genre de personne qui serait plus heureux de retourner d'où tu vient, que de passer une éternité dans un environnement que tu détestes, entouré de gens qui te font chier, au nom de l'honnêteté d'un malade qui t'utilise.