Les entrailles du palais, à ses yeux cruels, ne contenaient que divertissements en devenir : des âmes mises sous clé, parfois doublement coupables de l'une à l'autre, attendant pour la plupart que la chute du couperet les libère de l'enfermement. Rien qui soit véritablement digne d'intérêt, jusqu'à ce qu'on tire de ces cellules sombres une prétendue innocence qui s'égosille – elles le font toutes – et qu'on place sa nuque traître sur le billaud pour l'amusement royal.

Les sous-sols lui semblaient quelque peu différents, à l'issue du Jour Dansant, maintenant que le Jabberwocky y payait son insubordination. Cet allié de toujours rongé par la colère, elle ne s'était pas encore résolue à le visiter, sans doute par crainte d'entendre les confidences qu'il pourrait livrer.

Ses talons claquent sur le dallage en un rythme glacial tandis qu'elle chemine à travers les couloirs sombres et bordés de cellules, précédée par deux gardes. Ceux-ci s'arrêtent devant une porte pourvue d'épais barreaux, derrière laquelle se devine une silhouette, dans la pénombre. Un sourire de satisfaction mauvaise étire ses lèvres noires alors qu'elle détaille cette forme mal en point, écartant ensuite les bras pour s'exclamer :



Elle s'approche de la grille, s'y collant presque malgré le danger potentiel et la moue crispée que son geste fait naître sur le visage des gardes. L'une de ses mains agrippe une barre métallique, et dans la semi obscurité, ses yeux incandescents luisent avec une pointe de sarcasme.



N'est-ce pas, croquemitaine ?

La question l'amuse et elle se met à ricaner avec un plaisir mauvais, son discordant qui fait serrer les mâchoires aux gardes dont elle ne se soucie plus de la présence. En cet instant, il n'y a plus qu'elle et toi, comme dans ce bureau du manoir hanté qui a été témoin d'une alliance désormais mise à mal.



Les chaînes cliquètent et depuis son côté des barreaux, l'oiseau de malheur se réjouit de voir le croquemitaine ainsi à genoux, l'orgueil refroidi sous ce revers du destin qui vise à rappeler qui, ici, détient la véritable force.

À la mention des conséquences du Jour Dansant, elle sent sa poitrine se pincer à l'idée des fers qui immobilisent son ami millénaire dans une cellule sombre semblable à celle-ci, mais donne le change en arborant un sourire éclatant, de ceux qu'on délivre face à un compliment plaisant.



Surtout pas après avoir empêché la fuite de la favorite royale. La loyauté de l'oiseau de mauvais augure n'est plus à prouver, et même si certaines décisions de la Reine dépassant son entendement, elle n'enorgueillit de posséder assez de jugeote pour ne pas le crier comme l'a fait le Jabberwocky.

Puis, au nom de cette détestation amicale qui vous lie, elle s'accroupit contre les barreaux afin de se placer à ta hauteur. Sa poigne, qui enserrait l'un des barreaux, s'abaisse également, et elle darde sur toi son regard incandescent. La victoire est appréciable, mais n'entame en rien le respect qu'elle porte à ton œuvre. Entre ses lippes noires, sa voix d'horreur se fait chuchotement amusé :



Toi qui prétend toujours posséder une longueur d'avance ?

Cette presque supplique déguisée lui arrache un éclat de rire, et elle contemple un instant cette silhouette certes amoindrie, que toutes les plaies et les contusions du monde semblent n'avoir entamé qu'en surface. Cet orgueil, cette détermination qu'elle respecte demeurent visibles en dépit des mauvais traitements – et puis n'est-ce pas le propre des condamnés, de chercher des miettes de liberté là où cette dernière n'est plus ?



Une diligence inattendue qui fait tiquer silencieusement les gardes, mais qu'importe ce qu'on en pense : lorsqu'on a l'éternité devant soi, tous les scénarios deviennent envisageables, et l'oiseau de malheur n'exclut pas qu'un jour, les rôles puissent se trouver inversés ; et alors, ces bribes de dignité qui sont à sa portée, ce sera elle qui les quémandera. Elle met l'ordre en branle d'un claquement de doigts en direction d'un des gardes, la voix ferme, ne souffrant aucune protestation :



Un de ses chaperons s'éloigne à contrecœur, tandis que le deuxième demeure en place, le regard fébrile. Posant un genou à terre pour soulager quelque peu son inconfortable posture, elle fait cliqueter ses ongles acérés contre le barreau qu'elle enserre de sa poigne ferme, en signe d'intérêt. Continue, semble souffler le rythme métallique qu'elle égrène du bout des doigts. Voilà qui m'intéresse.



Un hochement de tête accompagne ses mots ; en effet, c'est bien la quête d'une figure princière qui occupe la couronne, ces derniers jours. Elle ne te fait pas l'affront de te questionner, ne souhaitant pas interrompre le fil de ta réflexion qui commence à se dessiner dans son esprit vif. À ta question, toutefois, elle se fend d'une moue de déplaisir, contrariée de devoir admettre l'insuccès de sa tâche.

admet-elle du bout des lèvres.

Les prémisses de l'accord tombent, et ses yeux de feu se mettent à luire, profondément intéressés. Son autre main vient effleurer son menton, songeuse.



Serment d'immortelle.

La mine est pensive, imperméable tandis que l'esprit examine la proposition et tâche d'en déceler les failles. Alors que tout commence à se dessiner clairement, l'oiseau de malheur sent une bulle d'excitation se former peu à peu au creux de sa poitrine. C'est que les choses prennent un tour des plus intéressants ... Mais n'est-ce pas là votre propre, à vous agents du chaos, qui avez toujours su vous défaire de vos impostures avec une créativité à même d'apposer un peu de divertissement dans sa vie d'immortelle ? Un sourire satisfait s'étend lentement sur ses lippes sombres, et le doute ne la froisse pas : y a-t-il déjà eu une réelle confiance entre vous ?



À la mention de la lettre, ses ongles acérés se remettent à cliqueter contre la barre de métal, signe de réflexion. L'écrit sera examiné sitôt la dernière lettre tracée, bien entendu, mais cela suffirait-il à détecter la présence d'une manœuvre quelconque, d'un code connu seulement des agents de la secte qui retournerait l'entièreté de la situation ? Le doute est là, mais il ne lui appartient plus d'en juger seule.

Le plan s'étend devant elle avec la complétude des pensées longuement ressassées, et elle éclate de rire, amusée par ces lignes assurées.



Et les traits reprennent leur sérieux tandis qu'elle place l'index contre ses lèvres, ses yeux incandescents plongés dans les tiens. Me fais-tu confiance ?



Le ton ferme, sans équivoque. Le choix est fait. Elle lâche le barreau qu'elle enserrait et se redresse, entreprenant de lisser ses jupes du plat de la main.



Sur quoi elle s'éloigne sans un regard en arrière, ses talons claquant sur les pavés. Aux portes des sous-sols, son chemin croise celui du garde qui s'était retiré selon ses ordres, une bouteille en mains. Elle remonte alors les étages du palais, traversant les corridors jusqu'à approcher de la salle du trône et des appartements royaux, si éloignés des geôles. Les portes sont closes, signifiant qu'une entrevue avec les conseillers est probablement en cours, mais la nouvelle est importante. L'oiseau de malheur toque poliment avant de s'introduire dans la pièce, peu gênée par l'interruption qu'elle provoque.