Balade. Errance sans but si ce n’était celui du plaisir de marcher en suivant son instinct, de découvrir toujours plus ce nouvel univers pour qu’il soit mieux connu. Mais le serait-il jamais pleinement ? Même les habitants qui devaient y résider depuis maintes années apparaissaient surpris par certaines choses du quotidien. « Wonderland » ou le pays des merveilles avait toujours sous le coude de nouveaux phénomènes pour épater sa patrie… Enfin, ses patries car, comme on lui avait expliqué, il y avait différentes reines et donc différents royaumes en dehors de Dreamland.

Cela faisait un peu moins d’un mois que Lancelot s’était éveillé dans la forêt d’Hollywood et il s’était décidé à visiter d’autres coins plus éloignés, en commençant par Marmoreal dont on lui avait vanté le côté paisible. C’était parfait pour sa retraite, pour ces vieux jours où il commençait à perdre le nord. Il avait quitté le centre de la carte pour cette direction le matin même et le soleil — qui était encore à l’ouest à son départ vers 8h, à l’inverse de sur Terre — tentait de réguler la température. Quoi qu’il jugeait que c’était encore agréable cette douceur… et avec sa forme physique actuelle, il n’était pas pressé de gravir les monts enneigés de sucre. Cette image l’avait néanmoins amusé et, en inspirant à pleins poumons l'air de Marmoreal, il pouvait concéder que cette atmosphère gourmande lui donnait faim. Ou était-ce le soleil qui atteignait le zénith et son ventre qui témoignait du lointain petit-déjeuner ?

Il se sermonna qu’il pouvait bien patienter une heure de plus, se laissant porter d’une attraction touristique à l’autre : la vue du magnifique palais au mille éclats ou celle des soldats de pierre non moins impressionnants de la grande place. Il aurait bien aimé prendre des photographies mais il ne possédait pas encore d’appareil… Peut-être se laisserait-il tenter et en achèterait-il un parmi les nombreux commerces aperçus auparavant ? Il hésita à se diriger vers les maisons nacrées dont la blancheur de loin — il n’osait se l’avouer — le faisait plisser des yeux derrière ses lunettes… À moins que ce ne soit le bord de mer, lui évoquant les plages de son Kent natal, qui l’encouragerait à marcher plus longuement…

Alors qu’il tergiversait, il laissa ses pas le guider derrière le château, dans des coins plus reculés, moins indiqués. Il glissait peu à peu dans ses pensées, dans ce trop plein de souvenirs de sa tête percée. Trouée. Vidée. Ou presque. Il se demandait s’il se rappelait trop ou pas assez de sa vie passée sur Terre… mais il conclut que c’était trop car le manque de ses proches le faisait bien souffrir, malgré les sourires qu’il affichait au quotidien.

Il fixait le sol plus que les lieux environnants et poursuivait sa marche trop intensive pour son arthrite, surtout au vue du terrain accidenté. Du moins, jusqu’à ce que ses chaussures frôlassent l’eau. Il releva son regard bleutée sur l’étendue de même couleur, où des vestiges anciens débordaient à la surface. Il resta un moment ébahi, un temps hors du temps, où il apprécia chaque élément que sa vision lui permettait de saisir. Puis, plus tard, il sortit de la poche de son long manteau pourpre une liste qu’un habitant de Neverland lui avait écrite, remplie de conseils sur ce qu’il devait aller voir s’il tentait une expédition à la capitale du royaume d’Ivoire. Il relut rapidement pour lui-même :

— Blablabla… Ah ! Si d’aventure, tu as la foi d’aller au-delà du palais, enfouie au centre, sous l’eau, tu atteindras la fontaine aux vœux. S’il te reste quelques pièces, n’hésite pas à souhaiter quelque chose en y jetant une pièce…

Il quitta la feuille des yeux et se mordit la lèvre. Allait-il être assez en forme pour une nouvelle expérience risquée dans cette contrée submergée ? « Oui. » Il avait parlé à haute voix malgré lui, déterminé. Car, à présent, il savait qu’il avait besoin de cette étape pour prolonger son voyage sereinement. Il rangea dans sa poche le papier plié en quatre, remonta son pantalon pour éviter de le tremper et, d’un pas de moins en moins hésitant au fil des colonnes, il enjamba l’eau jusqu’au centre. Jusqu’à la fontaine.

Il ferma les yeux, immobile. Il inspira une grande goulée sucrée, visualisa son souhait le plus cher, perlant de larmes le coin de ses paupières, jeta une pièce qu'il extirpa de sa poche, ce qui fit un « ploc », puis expira. Il ouvrit subitement les yeux en entendant du bruit non loin de lui. Il n’était plus seul et sans pouvoir se retenir, il se retourna vers la direction du nouveau venu, l’œil chargé d’espoir, la voix pleine d’émotions : « Christopher ? »