CARACTÈRE

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Certaines naissent avec un trône à leur mesure, des couronnes de lauriers, un sourire à faire fondre les cœurs, le besoin inhérent et impulsif d'aider ceux qui les entourent. Et puis il y avait elle. Pas de trône, pas de couronne, et un vide grandissant forgé dans la jalousie, épée d'argent plantée dans son cœur de pierre par le sourire trop ravissant d'une princesse moderne. "Pourquoi elle, et pas moi ?"

Katara est un monstre de jalousie. Même maintenant, elle semble incapable de se satisfaire de ce qu'elle possède déjà ; elle vit pour essayer d'être quelqu'un d'autre, dans une perfection aussi factice que sa bienveillance. Son grand sourire est une meilleure manière de vous dérober tous vos secrets, d'attirer vos confessions comme la lumière attirerait un papillon de nuit trop crédule. Elle ne peut supporter de ne pas être la personne la plus importante sur laquelle vous poserez les yeux. Après tout, elle n'a pas volé sa couronne pour qu'on ne la regarde encore que comme une simple domestique.

Les insécurités d'Elisa, l'ancienne, l'alice, se sont effacées peu à peu pour se changer en malveillance. Elle qui ne voulait qu'une chance de pouvoir être celle qui hantait ses complexes est devenue dépendante de la sensation de pouvoir que lui apportent ses mensonges. Si les gens n'entendent et ne voient que ce qu'ils veulent, alors elle pourra être ce qu'elle désire, n'est-ce pas plus simple ainsi ? L'égocentrisme exsude de chaque pore de sa peau comme un poison qu'elle s'inflige à elle-même. Elle veut être plus belle, plus puissante, plus étincelante que vous. Et, dans une certaine mesure, elle en est capable.

Jamais elle ne se présentera comme Elisa, et jamais elle ne se présentera comme autre chose qu'une princesse. Comme l'entité qu'elle est devenue, le mensonge roule sur sa langue avec une facilité déconcertante et la cruauté le suit, pernicieuse, car elle ne reculera devant rien pour protéger ses secrets. Essayer de l'espionner ou de démasquer un de ses mensonges est la meilleure manière de devenir un nouveau secret sur sa liste, du genre qui ne revient pas pour en parler.

Mais elle ne se salit pas les mains, non. Ça ne sera jamais de sa faute. Katara se prend pour une reine et, en tant que telle, elle ordonne, elle commande et elle s'attend à ce qu'on lui obéisse sans discuter. Un ordre bien placé à quelqu'un qui respecte assez sa façade pour la croire sur parole et lui obéir après un claquement de doigts, et elle s'efforcera de faire taire ceux qui la menacent. Tous les moyens sont bons, de la corruption au chantage en passant par de bien plus classiques menaces. Elle note vos secrets, vos défauts, vos vies entières pour pouvoir réutiliser tout à son avantage, contre vous ou pour elle.

Elle vit pour l'admiration des autres, et son absence peut la blesser aussi sûrement qu'un coup de poignard. Quiconque n'est pas au moins sous le charme de son visage d'ange a forcément un problème, n'est-ce pas ? Comment pourrait-il en être autrement ? Non, si vous ne l'aimez pas, c'est que vous êtes un ennemi ou pire, bien pire, que vous vous pensez meilleur qu'elle. Personne n'a le droit d'être meilleur qu'elle. Et elle le prouvera à tous lorsqu'elle règnera enfin sur ce monde. C'est cette pensée mégalomane qui la réveille parfois, la nuit. N'a-t-elle pas tout fait pour mériter ce droit ? Jusqu'à se draper d'or qui ne lui était pas destiné ?


(tw harcèlement moral)
"On dirait toi en moins belle", c'est la phrase qu'elle a entendue toute sa vie. Katara, cheveux châtains à reflets d'or, magnifique yeux bleus, grand sourire aux dents bien alignées, silhouette svelte. Et à côté d'elle, Elisa sa petite voisine, bien plus banale avec ses cheveux noirs  et ses yeux bruns, ses dents écartées et ses kilos en trop. Toute sa vie, Katara a été son complexe, sa comparaison, l'objet de toute sa jalousie et de toute sa haine. Aux yeux de tous, son amie. Aux siens, une torture consciente pour lui rappeler qu'aussi jolis soient les traits de son visage, ils le seraient toujours moins que ceux de sa voisine. Plus riche, mieux nourrie, plus pomponnée : les dés étaient pipés depuis le départ.

Elles ont grandi dans la même école maternelle, le même quartier, amies par défaut au grand plaisir des autres filles qui s'amusaient en permanence à les comparer. C'est vrai, leurs visage se ressemblaient. Eut-elle fait le même poids et eut les mêmes couleurs, Elisa aurait sans doute été son clone parfait. Et pendant des années, cette idée a existé, pernicieuse, dans un coin de sa tête. Jusqu'au lycée. L'image  les réseaux sociaux, le contrôle qu'elle imposait sur sa vie, la facilité déconcertante qu'elle se découvrait à mentir. Après tout, qui le saurait ?

Harceler une fille comme Katara n'était pas bien diffiicile. Belle, riche et intelligente, elle se mettait en avant partout où elle le pouvait et cédait facilement à la flatterie. L'environnement protégé de sa famille puis de sa grande école privée ne l'avait pas préparée aux horreurs qui, parfois, n'attendent qu'à un pas de chez soi, cachées sous le masque d'une personne connue.

Une fausse séduction vénéneuse et des photos secrètes pour menacer d'exposer son homosexualité à ses parents ; une autre, en se faisant passer pour elle, pour faire peser sur elle le poids d'une rumeur de relation avec un professeur particulier. Photos, messages anonymes, signes évidents qu'elle pouvait entrer chez elle comme elle le voulait : Elisa a enroulé autour de Katara la corde oppressante de la terreur. "Je suis toujours là, et ta vie parfaite est entre mes mains." Elle pouvait la ruiner en un claquement de doigts, c'était l'information essentielle, le message qu'elle voulait faire passer. Mais jamais ses rumeurs et ses photos ne passèrent les portes de son école ni celle de sa maison.

Après plusieurs mois, terrifiée de ce qui pourrait arriver à ses proches et à elle-même, et saisissant le dernier espoir d'échapper à harceleur anonyme, Katara suivit le bienveillant conseil de son amie Elisa et emporta ses affaires pour fuir la ville, trouver un endroit où se cacher en espérant être tranquille. Elle le fut, car le but n'avait jamais été de lui faire du mal ; physiquement, du moins.

Débarrassée de sa rivale, Elisa fit tout pour lui ressembler. Elle trouva des lentilles imitant sa couleur à la perfection, teignit ses cheveux du même châtain clair aux pointes blond platine, s'empara de sa vie, de ses réseaux sociaux, jusqu'à, un jour, revenir "chez elle", amaigrie par une anorexie qui avait échappé à son contrôle des mois auparavant mais qui suffit à parfaire le subterfuge de la pauvre adolescente revenue d'une fugue. Alors elle devint Katara. Son école, ses amis, ses habitudes : elle qui connaissait déjà tout d'elle n'eut aucun mal à prendre sa place. Et "toi en moins belle" devint juste "toi".
Jusqu'à ce que la vraie Katara revienne.

Le manège d'Elisa dura deux ans. Quelques jours avant la remise des diplômes, Katara refit son apparition et elles se retrouvèrent face à face, devant chez elle. Pas un mot n'eut le temps de franchir la bouche de la fugueuse avant qu'Elisa ne parte en courant pour lui échapper, échapper à la discussion, à la réalité de leur ressemblance, au face à face avec ses mensonges. Il y eut une voiture. Puis juste après, Wonderland.